Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
BEAU IS AFRAID ★★★★★
De Ari Aster
L’essentiel
Autoportrait hystérique, épopée dépressive, farce psychotique : le troisième film d’Ari Aster semble irréductible à la question du genre et impose avec une autorité stupéfiante ses visions, son humour et sa violence.
Beau is Afraid est un film où, après Hérédité et Midsommar le tout jeune Aster, 35 ans, semble vouloir ne pas céder aux injonctions (de son fan-club, de l’industrie) et reprendre cette liberté (de ton, de mouvement) qui faisait le génie de ses courts. Ce qui est frappant c’est qu’il organise sa propre émancipation tout en racontant celle d’un gentil quinqua bedonnant terrorisé par le monde qui l’entoure et contraint d’entamer un long voyage jusqu’à… chez lui. Il expose ici une dérive mentale à la manière d’une épopée, il étire les très serrés After Hours et Série noire pour une nuit blanche comme de longs morceaux de caoutchouc. Il déplace le Locataire à l’air libre et rejoue la samba dystopique du Brazil sur une rythmique prog-rock. La maestria éclabousse à chaque plan, mais il semble qu’il est avant tout question ici de raconter intimement un parcours, un cheminement, une quête d’identité - en poussant si possible tous les curseurs dans le rouge.
Beau is afraid est cependant avant tout une comédie. On peut ajouter « noire », « grinçante » ; « freudienne » ou « cauchemardesque » comme le fait son auteur, mais tout y est d’abord conçu pour nous faire marrer. Ça n’empêche pas le film d’être traversée par de visions de pur effrou mais elles agissent comme un contrepoint, une décharge électrique - de la même manière que le burlesque s’invitait dans Midsommar pour en dynamiter le ronron folk-horror.
François Grelet
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A BEAUCOUP AIME
MISANTHROPE ★★★★☆
De Damian Szifron
Voici donc Damian Szifron, de retour aux affaires après une longue absence (Les Nouveaux Sauvages remonte à 2014). Un soir de Saint-Sylvestre, alors que les nantis de Baltimore sabrent le champagne sur les rooftops de la ville, un sniper invisible commence à tirer sur des gens au hasard. Szifron impose d’emblée un passionnant suspense « géométrique », jouant sur les perspectives, les lignes de fuite, la sensation de vertige. En une poignée de minutes sans dialogue, seulement rythmées par les bruits de la fête, t est formulé par une mise en scène à la fois démiurgique et ludique, qui entend, dans sa fluidité graphique, ordonnancer le chaos du monde. L’enquête pour attraper le « mass murderer », constellée de séquences sous tension, formellement brillantes, sera aussi le portrait croisé de deux flics : Shailene Woodley, en policière novice, et Ben Mendelsohn, super agent du FBI tiré à quatre épingles. Et s’il manque sans doute à Misanthrope LA scène, l’équivalent du moment où Clarice Starling raconte ses terreurs enfantines à Hannibal Lecter dans Le Silence des Agneaux, pour déployer entièrement la puissance émotionnelle qu’il recherche, reste le pur plaisir, donc, et le talent de Damian Szifron pour raconter un monde, le nôtre, désespéré et brutal.
Frédéric Foubert
Lire la critique en intégralitéBURNING DAYS ★★★★☆
De Emin Alper
Dans ce premier vrai film politique du turc Emin Alper, on suit un jeune procureur muté dans une petite ville reculée, percutée par la crise de l’eau qui pousse la classe dominante à jouer sur la peur pour conserver son emprise et ses privilèges. A commencer par son maire qui a créé un système de corruption à tous les étages auquel va donc s’attaquer ce chevalier blanc déterminé. Burning days raconte le choc tellurique entre Turquie d’en haut et d’en bas, entre progressisme et populisme, où tous les coups semblent permis pour que rien ne change, sur fond de masculinité toxique. Le tout dans une ambiance de pur cauchemar où, par une réalisation inspirée, le réalisme flirte régulièrement avec le fantastique. Le ministère de la Culture turc a demandé le remboursement des aides accordées à Burning days, arguant de changements au scénario, dont… l’évocation d’une romance homosexuelle. La preuve qu’Alper a touché juste.
Thierry Cheze
MAD GOD ★★★★☆
De Phil Tippett
C’est un film de miniaturiste, imaginé il y a trente ans dans le garage de son créateur, abandonné puis repris, monté par petits bouts et finalement achevé à l’ère numérique grâce à une campagne de financement participatif. Et c’est un véritable cauchemar, quelque part entre Jérôme Bosch et les BD de Richard Corben : un petit bonhomme muet, harnaché comme un combattant de 14-18, plonge dans les tréfonds d’un monde infernal peuplé de monstres et de machines grotesques, passant d’un mécanisme à un autre comme dans un grand jeu de marabout dont les matières seraient la merde, le sang et le métal. La technique du film, ultra minutieuse, fait de Mad God une œuvre de véritable artisan qui pense et maîtrise chaque seconde de son travail. Le résultat affirme que chaque goutte de sueur versée pendant trente jours, trente mois ou trente ans pourra donner naissance à un pandémonium cosmique. Une œuvre comme un manifeste.
Sylvestre Picard
L’AMITIE ★★★★☆
De Alain Cavalier
Avec L’Amitié, Alain Cavalier portrait successif de trois proches d’Alain Cavalier : le parolier Boris Bergman (Vertige de l’amour, le producteur Maurice Bernard (Thérèse) et le coursier Thierry Labelle, acteur non professionnel de son Libera Me. Trois hommes mais aussi trois femmes, puisque cette Amitié aurait aussi pu s’appeler L’Amour. Cavalier cherche à inclure dans le cadre les compagnes de ses protagonistes (Massako, Florence et Malika) et se faire raconter les premières rencontres. Il filme l’instant, converse avec ses « sujets », enfreint les cloisons de l’intime, construit un récit qui pourrait bien ne pas en être un et par le détail saisit des morceaux d’universalité, avec cette sensation que chez le filmeur, l’écran n’est pas une frontière encore moins une surface, mais une fenêtre offrant « des petites révélations du monde. ». Ce cinéma-là tient du miracle.
Thomas Baurez
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A AIME
LE JEUNE IMAM ★★★☆☆
De Kim Chapiron
Dans la France de 2023 où la religion musulmane paraît source de tous les fantasmes, débarquer avec un film intitulé Le Jeune Imam pourrait avoir tout du geste kamikaze… si aux commandes, il n’y avait pas un cinéaste qui, justement, ne va jamais chercher à se faire chroniqueur sociétal et privilégier le prisme de l’intime. Car Le Jeune Imam est d’abord l’histoire d’un rapport mère- fils et d’un lien distendu quand à 14 ans, voyant son ado à la dérive, cette femme d’origine africaine qui l’élève seule l’envoie au Mali pour finir son éducation. Pour elle, c’est la seule manière de le sauver. Pour lui, une punition qui rime avec abandon et le poussera, à son retour, dix ans plus tard, à tout faire pour l’épater. Et quoi de mieux pour cela que devenir l’imam de la cité ! Est- il sincère ou machiavélique ? Cette interrogation entraîne Le Jeune Imam vers le thriller quand celui- ci décide d’organiser le pèlerinage à la Mecque de fidèles prêts à y sacrifier leurs maigres économies, avant d’être piégé par des arnaqueurs. Un geste effectué avec une maîtrise qui fait de ce Jeune imam le plus passionnant des quatre films de l’auteur de Sheitan.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéQUAND TU SERAS GRAND ★★★☆☆
De Andréa Bescond et Eric Metayer
Thierry Cheze
NOEMIE DIT OUI ★★★☆☆
De Geneviève Albert
Noémie a 15 ans et quand elle comprend que sa mère, incapable de l’élever, ne la reprendra pas, elle décide de fuguer de son centre d’accueil pour rejoindre une amie, sans se douter qu’elle va mettre le droit dans une spirale infernale où elle tombe amoureuse d’un jeune délinquant et accepte, à sa demande, de faire l’escort pour gagner un peu d’argent. Le parti pris clinique dans la mise en scène des différentes passes, la manière de raconter la violence sans se vautrer dans la facilité de l’hypersexualisation et surtout cette façon de ne jamais enfermer Noémie dans un statut de victime mais de montrer une jeune femme qui se bat, forcent ici l’admiration. Tout comme la manière insensée dont Kelly Depeault se glisse dans la peau de cette ado. L’intensité et le charisme qu’elle dégage n’étouffent jamais la fragilité de son personnage mais renforcent le ton qui domine le film : un refus de tout pathos.
Thierry Cheze
AMEL & LES FAUVES ★★★☆☆
De Mehdi Hmili
Après Lofty Nathan (Harka) et Youssef Chebbi (Ashkal), c’est au tour de Mehdi Hmili de témoigner de l’état de Tunisie, treize ans après le Printemps Arabe, dans un thriller social centré sur une femme seule contre tous. Une ouvrière qui, en allant voir un homme d’affaires pour aider son fils, footballeur doué, à intégrer le club local, va se retrouver prisonnière d’une spirale infernale, quand elle se fait surprendre par la police alors que l’homme en question tente d’abuser elle. Et dans ce pays où toute femme mariée surprise en compagnie d’un homme dans un espace clos encourt 5 ans de prison, elle va être mise derrière les barreaux avant de se lancer, quand elle en sort, à la recherche de son fils, pris dans les filets des nuits underground de Tunis où les prédateurs rôdent. C’est une Tunisie loin des images d’Epinal que nous montrent ces deux heures intenses où confrontée à une société patriarcale, machiste, totalement corrompue et soumise à la Loi du plus fort, cette mère- courage va devoir elle- même faire des choix impossibles, donnant du relief et de l’âpreté à un film maniant l’ambiguïté comme une arme de précision.
Thierry Cheze
DIRTY, DIFFICULT, DANGEROUS ★★★☆☆
De Wissam Charaf
Ahmed et Mehdia, un réfugié syrien et une femme de ménage éthiopienne s’aiment d’un amour fou au Liban où ils doivent affronter une xénophobie rampante avant qu’un autre élément ne vienne handicaper leur relation : un mal mystérieux qui transforme le corps d’Ahmed en métal. Il y a du Suleiman chez Wissam Charaf : ce même désir passer par le prisme de l’absurde – teinté de fantastique - pour raconter une réalité violente : le sort douloureux des exilés. Et le geste est joliment orchestré.
Thierry Cheze
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
HOKUSAI ★★☆☆☆
De Hajime Hashimoto
Ahmed et Mehdia, un réfugié syrien et une femme de ménage éthiopienne s’aiment d’un amour fou au Liban où ils doivent affronter une xénophobie rampante avant qu’un autre élément ne vienne handicaper leur relation : un mal mystérieux qui transforme le corps d’Ahmed en métal. Il y a du Suleiman chez Wissam Charaf : ce même désir passer par le prisme de l’absurde – teinté de fantastique - pour raconter une réalité violente : le sort douloureux des exilés. Et le geste est joliment orchestré.
Thierry Cheze
PREMIÈRE N’A PAS AIME
MA LANGUE AU CHAT ★☆☆☆☆
De Cécile Telerman
Une bande d’amis réunis dans une sublime maison du sud de la France pour un anniversaire qui va tourner au règlement de compte. Non, le nouveau Cécile Telerman n’est pas la suite de Barbecue et Plancha mais y ressemble comme deux gouttes d’eau tant on croit l’avoir déjà vu 1000 fois. Il y est question d’un petit chat qui disparaît, d’adultère(s), de trahisons et d’un zeste de maladie grave, balancée comme un cheveu sur la soupe pour faire pleurer dans les chaumières. Bref, un ratage.
Thierry Cheze
LA BELLE VILLE ★☆☆☆☆
De Manon Turina et François Marques
Manon et François sont deux Toulousains. Ils sont jeunes, la trentaine à peine, en couple, portent casquette et sneakers et viennent (après la remise en question post-covid) de quitter leur job. Ils ont décidé de sillonner la planète (bonjour l’empreinte carbone) pour imaginer la ville de demain. Conclusions (très novatrices !) : il faut végétaliser nos tours et « se reconnecter à la nature ». La Belle ville ressemble à la parodie du Palmashow de l’écolo Demain. Le second degré en moins.
Estelle Aubin
Et aussi
C’est normal !, de Frédéric Touchard
Notre tout petit petit mariage, de Frédéric Quiring
Reprises
Les bourreaux meurent aussi, de Fritz Lang
L’Etrange Monsieur Victor, de Jean Gremillon
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