GALERIE
Pan Européenne

Salam est un portrait-confession de l’ex-gloire du rap convertie à l’Islam. Entretien avec l’une de co-réalisatrices du film.

En 2009, sur son ultime album, S.O.S, Diam’s chante en guise de baroud d’honneur : « Mon avenir et mes rêves sont donc entre parenthèses. A l’heure actuelle, j’ai mis mes cicatrices en quarantaine. J’écris ce titre comme une fin de carrière. Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu, puis j’ai fait marche arrière… » Les raisons de cette « marche arrière » qui dans un mouvement parfaitement inversé lui a permis d’aller de l’avant, c’est le sujet de Salam, un documentaire à la première personne, coréalisé avec Houda Benyamina (Divines…) et Anne Cissé. Celle que l’on appelle désormais Mélanie, y parle donc de cet après. Celles et ceux qui voudraient goûter le récit d’une success-story avec son lot d’archives, peuvent aller voir ailleurs. Ou pas, bien-sûr. Depuis sa fin de sa carrière, plus de dix ans ont passé, la chanteuse ne l’est donc plus, et porte désormais un voile suite à sa conversion à l’Islam. La chose avait fait jaser avec les raccourcis afférents (embrigadement, intégrisme…) Le temps a un peu fait son œuvre mais le sujet reste touchy. Qu’importe, Mélanie a remonté la pente après un gros burn-out, s’est écartée des bruits parasites du showbiz, a entamé une psychothérapie et continue de vivre avec apaisement et (une relative) discrétion sa foi. En bout de chaîne, il fallait bien un film. Salam, produit par Brut a été montré en grandes pompes lors du dernier Festival de Cannes où le média était un tout jeune partenaire. Mélanie n’est pas venue défendre sa came sur le tapis rouge, elle s’est juste contentée de s’asseoir face à Augustin Trapenard le temps d’une interview-confession, filmée, montée et diffusée par Brut (!), producteur donc et bientôt diffuseur dudit film. Sur la croisette, c’est l’une des trois coréalisatrices du film, Anne Cissé, qui a assuré la promo de Salam

Salam, un portrait de Diam's trop sous contrôle pour convaincre [critique]

Salam est avant tout le film de Mélanie (Diam’s). Comment trouve-t-on sa place au sein d’une entreprise comme celle-là ?

Anne Cissé : Il n’y a jamais eu d’ambiguïté sur la teneur du projet. Quand j’ai rejoint Mélanie et Houda [Benyamina] sur le film, je savais où j’allais. A la base, il y avait en effet le désir de Mélanie de raconter sa propre histoire, à travers son propre récit... A partir de là, nous nous sommes misent à son service. C’est elle qui avait le final-cut. Mélanie reste fondamentalement une artiste dans l’âme avec une envie très forte de création. Elle a donc pris le film à bras le corps. En cela, Salam lui correspond totalement et véhicule les messages qu’elle voulait faire passer. Il lui est aussi arrivée aussi de s’effacer. Pour l’entretien avec sa mère par exemple, j’étais seule avec elle. Si nous avions convenu ensemble des thématiques à aborder, j’avais le champ libre pour poser les questions que je voulais.

Pourquoi faire ce film aujourd’hui avec le risque de déclencher de réactiver certains malentendus sur son mode de vie ?

Durant dix ans, Mélanie a été approchée par différentes sociétés de production qui voulaient faire une fiction à partir de son histoire. Or cette fiction était peu ou prou celle de l’ascension d’une jeune rappeuse, jusqu’à sa conversion à l’islam censée clore le récit. Mélanie voulait raconter ce qui passe après, comment elle est tombée, s’en est sortie... Elle a essayé de se raconter en écrivant des livres mais un film, on le sait, a plus d’impact.

Mélanie porte le voile. Ce choix n’est pas frontalement questionné dans le film…

… Le paradoxe, c’est qu’il est très présent. Il est là, tout le temps.Ce voile fait partie de son quotidien. Pour elle, ce n’est donc plus un sujet. Mélanie voulait juste réaffirmer ici qu’elle n’a pas été embrigadée, ni opprimée par un homme. C’est son choix et si elle y trouve une forme d’apaisement, tant mieux. Il y a dix ans, Paris Match faisait sa une avec Mélanie voilée dont le sous-texte était : « mariée, voilée. » C’était d’une violence inouïe ! Salam parle de la façon dont l’Islam est entré dans sa vie sans chercher à faire la promotion d’une quelconque religion. Mélanie ne veut pas être la porte-parole des femmes voilées. Elle parle en son nom. Les retours que nous avons jusqu’ici montrent que les spectateurs sont très touchés par la première partie du film autour de ses souffrances psychologiques et la façon dont elle a été obligée de stopper sa carrière d’artiste en pleine gloire.

… La religion, lui a permis de supporter un réel devenu intenable…

Elle ne voit pas les choses de cette façon. La religion n’est pas un remède à ses maux, elle lui permet, en revanche, de répondre à son questionnement sur le sens de la vie. Ce qui n’est pas tout à fait pareil. Elle ne cesse d’ailleurs de répéter que la vie est absurde en soi. Mélanie a toujours été obsédée par la mort. La religion a redonné du sens à la notion même d’existence. Elle a une vraie connaissance de l’Islam, a lu beaucoup d’ouvrages sur le sujet et continue de le faire…

Mélanie a frôlé la mort. Avant la religion, il y a eu aussi la dépression…

… La psychiatrie a été le premier recours pour la sauver. Mais ce n’est pas la religion d’un côté, la médecine de l’autre. Ce sont deux ensembles qui ne s’opposent pas. Mélanie a pris des cours de psychothérapie après sa conversion, preuve que le sujet l’intéresse. Il y a plus de dix ans, elle a été diagnostiquée bipolaire. Elle s’est faite interner, on lui a placé des électrodes sur la tête, on l’a assommée aux médicaments…

Sa mère et plus discrètement son père, sont au cœur du récit. Il est aussi question de ses enfants et des orphelins dont elle s’occupe via son association. Cette idée de filiation, de transmission est très forte chez elle…

Il y a clairement un manque à ce niveau-là. Le dialogue avec sa mère a été rendu possible grâce au film. Il n’avait pas vraiment eu lieu avant. La caméra a non seulement libéré une parole mais aussi, un regard. On s’est d’ailleurs concentré sur les yeux de sa mère pour cette raison. Elles se sont parlées, écoutées. La séquence d’après, nous voyons Mélanie à l’orphelinat au Mali. Elle est pleinement heureuse. Malgré les périodes sombres de sa vie évoquées dans la première partie du film, Mélanie est aujourd’hui quelqu’un de terriblement vivante. Elle rayonne, elle occupe l’espace… Cela va à l’encontre de l’image que les médias aiment donner de la femme voilée.

La caméra se tient très près des visages. Nous avons l’impression que les protagonistes sont comme déconnectés du monde qui les entoure…

En restant tout près des visages, nous voulions que le spectateur se focalise sur les regards et finissent par oublier le voile de Mélanie. Nous avons créé un contraste entre la façon de filmer Mélanie en pleine lumière et les autres intervenants baignés dans le noir. Ceux-ci s’exprimaient pour la première fois dans un film. Ils étaient comme les détenteurs d’un secret. J’évoquais plus haut comment Mélanie est fascinée par toutes formes de créations et par la beauté de la nature. Elle est heureuse au milieu des vastes étendues, là où tout ce qui l’entoure est plus grand qu’elle. Lorsqu’elle était une star, elle était aussi célèbre que Johnny Hallyday. C’était énorme. Depuis, elle a envie de se faire toute petite.

Le film n’utilise aucunes images d’archives, pourquoi ?

La question s’est évidemment posée. Comment faire le portrait d’une artiste sans se plonger dans les images de son passé ? Pour justement se détacher des nombreux reportages sur Diam’s ! Notre film parle d’une renaissance, de ce qui passe après la gloire… La gloire se devait donc de rester hors-champ.

La fragilité de Diam’s était-elle déjà perceptible dans ses textes ?  

Bien-sûr. Au-delà des morceaux très dansants, beaucoup de chansons étaient très sombres. Je pense notamment à T.S, sur sa tentative de suicide à quatorze ans. Prenez également, Ma souffrance, dans laquelle elle évoquait les violences conjugales dont elle a été victime ou Feuille blanche, sur l’état dans lequel elle pouvait se mettre pour créer… Son dernier album s’intitule S.O.S. Il est sorti au même moment que la couverture de Paris Match sur son prétendu embrigadement. Son propre récit lui a donc été confisqué. Elle se réapproprie les choses aujourd’hui.

Salam de Diam’s, Houda Benyamina, Anne Cissé. Pan Distribution. En salles le 1er Juillet