Comment Elie Wajeman a réussi à éviter la pâtisserie Belle époque avec Les Anarchistes.
Les Anarchistes est « un petit film qui voit grand, très grand, et il aurait tort de se gêner », écrit notre camarade Frédéric Foubert dans sa critique du deuxième long-métrage d'Elie Wajeman (Alyah), avec Tahar Rahim en flic infiltré dans une bande d'anars hantant le Paris de 1899 et tombant amoureux d'Adèle Exarchopoulos. Sur le papier ça aurait pu être un polar numérique post-Europa Corp façon Les Brigades du Tigre (le film, pas la série) ; à l'arrivée c'est un film refusant courageusement le chromo : pas un film d'époque situant précisément son intrigue dans un contexte géopolitique gonflant ; pas de « based on a true story ». Le monde des Anarchistes est imaginaire.
On est dans le roman psychologique plutôt que le feuilleton ; à Eugène Sue le littéraire Wajeman semble préférer L'Agent secret de Conrad. Et aux pâtisseries 19ème comme Arsène Lupin de Salomé ou Vidocq de Pitof, Wajeman préfère dialoguer avec Traître sur commande de Martin Ritt, et The Yards de James Gray -la référence constante de son cinéma. « Je suis sensible à cette idée du grand film pris par en-dessous », explique Wajeman dans les colonnes du dernier numéro de Première quand on lui parle de The Yards. Les Anarchistes attaque par en-dessous, de côté, de travers (l'utilisation anachronique du blues comme dans L'Apollonide de Bonello), à l'image de la « guerre irrégulière » pratiquée par les héros du film.
>>> Les Anarchistes, un film sous influence
Wajeman a été inspiré aussi par Esther Kahn de Desplechin, dont il a retenu trois choses : « l'utilisation de la caméra à l'épaule dans des espaces exigus ; le choix des décors naturels et l'envie de faire dire des « choses impossibles » aux acteurs. » explique le réalisateur. « Ils jouent L'Illusion comique qu théâtre, pourquoi leur faire dire des banalités au cinéma ? » Dire des choses impossibles : est-ce que c'est l'ultime secret des Anarchistes ? La clef qui permet de comprendre comment le film fonctionne si bien ? Le film fait du cinéma de théâtre, traite ses acteurs -tous superbes comme Swann Arlaud ou Karim Leklou- comme une troupe, leur fait dire des grandes phrases immenses et complètes tout en les shootant en gros et longs plans (les séquences face caméra où les anars se confessent qui rythment le métrage), en les enfermant dans le cadre et dans le décor exigu d'un appart hausmannien vide, d'un bistrot d'époque, d'une maison de campagne pourrave.
Desplechin, Bonello, Gray, le théâtre, les dialogues, le huis clos : n'ayez pas peur quand même, Les Anarchistes n'est pas un théorème grisâtre passionnant mais chiant façon théâtre subventionné on tape. Wajeman ne se prive pas d'électrifier son film avec des scènes de thriller pur, tout en se concluant avec une scène d'action hyper sèche, d'une efficacité folle, qui en remonte à bien des polars de braquage frenchy bien bourrins. Tout comme ses héros, Les Anarchistes garde en tête une obsession, une idée cohérente et forte, plus forte que tout : une idée de cinéma.
Bande-annonce des Anarchistes :
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