Jean-Pierre Léaud entouré d’enfants, retrouve toutes ses couleurs. Joie.
Avec Jean-Pierre Léaud dans le cadre, qui filme-t-on au juste ? L’interprète aux mille conquêtes ou son double plus ou moins fantasmé ? Léaud c’est un peu notre Brando, une figure totémique qui charrie avec lui un monde en celluloïd imperméable à tous les assauts de la fiction. L’homme est là, du haut de sa démesure fatiguée et s’impose sans forcer. Hier encore, Soleil, dans La Mort de Louis XIV d’Albert Serra où écrasé sous une montagne de cheveux royaux il parvenait à être beaucoup plus que son personnage. Aujourd’hui “lion” pour le nippon francophile Nobuhiro Suwa (Yuki & Nina, Un couple parfait…). Il est tel qu’en lui-même, un acteur en tournage qui attend patiemment l’heure du moteur dans une sublime première séquence. Une séquence inaugurale dont on craint tout de même qu’elle participe à un processus de déification de Léaud. Et puis, non Le lion est mort ce soir est le récit d’une fuite, d’une vacance.
Ghost stories
L’acteur en question - Jean c’est son prénom - quitte le plateau et s’en va visiter une maison vide à la rencontre d’un amour perdu. Le fantôme est là (Pauline Etienne). Il y a aussi des enfants qui eux sont bien réels. Et soudain c’est la fraîcheur, une certaine innocence non souillée, qui submerge Jean. L’homme retrouve des couleurs, celles d’un visage presque éteint et celles du cinéma. Les enfants veulent faire un film avec les moyens du bord et profitent de la présence de ce corps étranger pour l’imprimer sur la rétine de leur petite caméra. Au contact des enfants Léaud comme dégagé du poids qu’il représente à l’écran, sourit, ne joue plus tout à fait, se laisse enivrer par cette aurore inconnue. Le spectre de la mort ne fait plus peur. Dans le noir du cinéma, nous sommes tous des fantômes. Assis sur des marches, le Lion entouré d’enfants, assiste à une projection du film in progress des bambins sur un drap blanc tendu à la hâte. Jean commente ces essais, pose des questions à un jeune auditoire charmé. Truffaut adorait l’enfance, filmait comme personne l’esprit vagabond et poétique des culottes courtes. Léaud est ici à sa place. On croirait par moment entendre la voix de l’auteur des 400 coups. Un trouble qui enivre, plus qu’il ne convoque une quelconque nostalgie cinéphile. Léaud entouré d’enfants c’est aussi un peu Brando dans Apocalypse Now Redux de Coppola, il trône dans un monde protégé, retiré de la violence des Hommes. Nobuhiro Suwa n’a rien d’un embaumeur, il réinvente le comédien en allant chercher au plus profond de son modèle une vitalité qui ne demandait qu’à s’exprimer à nouveau. L’indomptable, le redoutable Léaud est bien vivant. Ce soir et tous les autres jours. Bien loin du crépuscule.
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