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Avant Sicario : comment Denis Villeneuve est devenu un immense cinéaste

2015 : Sicario

<p>La mue aura pris cinq films : <em>Polytechnique</em> pour tout casser, <em>Incendies</em> pour s’échapper, <em>Enemy</em> pour laisser son double « mauvais » derrière lui, <em>Prisoners</em> pour se prouver qu’il pouvait aller aux USA sans s’y perdre et enfin <em>Sicario</em>, pour se prouver qu’il pouvait s’y trouver... </p><p>Dans ce film, tout se met en place comme par enchantement : le désert, les tunnels, le point de vue féminin, la violence du monde, la vengeance, sa transmission, les bombes à retardement qui explosent quand on s’y attend le moins, les déserts existentiels, les parcours moraux. <em>« C’est pour cela que je n’hésite pas à dire que c’est un film très personnel. »</em> Villeneuve s’est cherché longtemps et a fini par resurgir là- bas, au bout du désert, de l’autre côté du tunnel. Si Fincher ou Mann avaient réalisé <em>Sicario</em> (et ils aimeraient bien), personne ne dirait qu’il est bon grâce au script ou parce que le chef opérateur a du talent. On n’oserait pas. Mais ce serait aussi parce qu’ils auraient forcément eu la main plus lourde, le style moins translucide, moins organique, moins simple, moins évident. Faites comme si j’étais pas là... On comprend mieux. Un immense cinéaste naît ici.</p><p><em>Sicario</em> sort en salles le 7 octobre.</p>

1998 : Un 32 août sur Terre

<p>Après un accident, une jeune femme fait le point sur sa vie : il faut tout changer, tout quitter et faire un enfant avec son meilleur ami. Celui-ci accepte de faire l’amour avec elle à condition d’aller « dans le désert ». Un peu neuneu (exprès), un peu joli (exprès aussi), un film d’amour lyrique et triste qui fait semblant d’être une comédie loufoque.</p>

2000 : Maelström

<p>Des poissons découpés par un bourreau sorti du <em>Carne</em> de Gaspar Noé nous racontent l’histoire d’une jeune femme qui écrase un semi-clodo et tombe ensuite amoureuse de son fils. Charles Aznavour, Tom Waits et la voix off des poissons à l’agonie se partagent la bande-son. Le goût naïf des chansons populaires, une étrangeté assumée (les poissons qui parlent en guise de pompons), et un style généreux que l’on peut qualifier de « surréalisme naturaliste », bourré d’idées mais manquant de direction. </p><p>Après <em>Maelström</em>, Villeneuve se voit dans l’impasse, perdu sous le poids de ses ambitions et la surcharge d’un style au grand cœur qui noie l’intimité recherchée sous une débauche d’émotions mal maîtrisées (ça ne s’appelle pas Maelström pour rien). En crise, il se réfugie dans la pub et mettra neuf ans à revenir au cinéma.</p>

2009 : Polytechnique

<p>Neuf ans après une histoire de mass murder à la fac exécuté comme un exercice de style traumatique : plans sublimes, mouvements de caméra et fétichisme brutal, froid et difficilement soutenable de l’ultraviolence. La réinvention commence ici.</p><p>Dans cette reconstitution minutieuse d’un massacre dans une fac de Montréal en 1989, un maboul angoissé vis-à-vis de sa masculinité, traumatisé par les filles et le féminisme, allonge des étudiantes en fond d’amphi, face contre terre, et les abat froidement. <em>« Sans doute le seul film que j’ai réalisé avec exclusivement le public québécois en tête. »</em> L’affirmation est forte, presque insensée, au vu de la violence déchaînée mais tellement ciblée d’un film qui fonctionne davantage comme un exutoire que comme un requiem. Villeneuve y règle-t-il inconsciemment ses comptes avec ses propres frustrations et l’étroitesse suffocante de sa société ?</p>

2010 : Incendies

<p>Occupe le point de rencontre possible entre le mélo mondialisé à la Iñárritu/Arriaga et le mélo moins mondialisé à la Susanne Bier. Alambiqué, sur-signifiant, sur-stylisé, sur-métaphorisé (le mal qui s’inflige, se transmet et se pardonne d’une génération à l’autre, en un cycle perpétuel), bref, sur la corde raide. Qu’on aime ou pas, on peut admirer.</p><p>En deux films, Villeneuve a découvert une forme de fétichisme de la violence, démoli de l’intérieur sa claustrophobie montréalaise et s’est réinventé (provisoire- ment) en Iñárritu du Grand Nord, en quête d’émotions fortes et de femmes suppliciées.</p>

2013 : Enemy

<p>Deux fois Jake Gyllenhaal, une fois Mélanie Laurent, et plusieurs fois une araignée géante : un film «personnel», où le héros finit débarrassé de son double, autre lui-même infidèle, tordu et encombrant. Il fallait manifestement que Villeneuve sorte ça de son système pour devenir le cinéaste implacable et droit au but de <em>Sicario</em>.</p>

2013 : Prisoners

<p>Un revenge movie qui fait mine de réfléchir contre ses protagonistes tout en leur donnant 100 % raison. Somptueux visuellement, le film combine les thèmes (et les styles) de <em>Se7en</em>, <em>Mystic River</em> et <em>Le Silence des agneaux.</em> Villeneuve en sort avec un carton US (et mondial) sans s’être renié et avec la conviction que son style (mais lequel ?) est compatible avec Hollywood.</p><p>À l’inverse du chemin habituel, Villeneuve a fait le grand saut hollywoodien dans le but de sortir de lui-même, de ses propres règles, de ses propres idées reçues. Comme s’il lui fallait coûte que coûte se « libérer de sa liberté » pour réussir des films paradoxalement mille fois plus personnels, parce qu’il y apporte sa façon de voir, sa mise en scène plus que ses prétentions auteurisantes.</p>

Denis Villeneuve avant Sicario

<p><link object_id="4201022">Sicario</link>, que nous considérons <link target="_blank" node_id="4180912">comme un chef d'oeuvre</link>, est l'aboutissement de la démarche d'un cinéaste qui a décidé, il y a cinq ans, de se réinventer de fond en comble.</p><p>A l'origine, <strong><link object_id="61617">Denis Villeneuve</link></strong> est un pur produit de l'école québécoise, cinéma marqué par une certaine idée de la poésie post-Prévert, qui tenterait la synthèse entre Beneix, Carax, Jaco Van Dormael et le Jean-Claude Lauzon de <em>Léolo</em>. A l'arrivée, un immense cinéaste dont le style translucide, organique, simple, <em>évident</em>, fait d'un film de commande (ce qu'est <em>Sicario</em> au départ) une oeuvre personnelle. Un chef d'oeuvre.</p><p></p><p>Entre les deux ? Parcours en six films.</p><p></p><p><strong>Léonard Haddad</strong></p>

Sicario, que nous considérons comme un chef d'oeuvre, est l'aboutissement de la démarche d'un cinéaste qui a décidé, il y a cinq ans, de se réinventer de fond en comble.A l'origine, Denis Villeneuve est un pur produit de l'école québécoise, cinéma marqué par une certaine idée de la poésie post-Prévert, qui tenterait la synthèse entre Beneix, Carax, Jaco Van Dormael et le Jean-Claude Lauzon de Léolo. A l'arrivée, un immense cinéaste dont le style translucide, organique, simple, évident, fait d'un film de commande (ce qu'est Sicario au départ) une oeuvre personnelle. Un chef d'oeuvre.Entre les deux ? Parcours en six films.Léonard Haddad