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Selon les auteurs de Moi, Tonya, l'affaire Tonya Harding/Nancy Kerrigan semble avoir suffisamment marqué la psyché américaine pour que leur film prenne ce fait divers comme un acquis culturel. Vous étiez trop jeune à l’époque de l’agression de Kerrigan et des soupçons qui pesèrent en retour sur Harding ? Pas grave. Même si vous êtes nés après 1993, le film est suffisamment bien emballé pour vous intéresser. Voici donc l'histoire de Tonya Harding, patineuse artistique élevée à la dure par une mère alcoolique, qui va se faire un nom sur les patinoires au début des années 90 avant de connaître une chute brutale.
Cas social
Dans son portrait des Américains white trash (le terme est traduit par « cas sociaux » dans le sous-titrage), Moi, Tonya ne fait pas dans la dentelle. Son réalisateur, Craig Gillespie, avait signé, après son banal remake de Fright Night un très joli Disney sur le sauvetage maritime, The Finest Hours, où il faisait preuve d'une remarquable maîtrise hollywoodienne. Ici, la subtilité est au garage (même si Gillespie a bien emballé les scènes de patinage où le visage de Margot Robbie est « greffé » sur le corps d'une cascadeuse). Moi, Tonya joue la carte de la comédie trash, et dans ce domaine, le film est d'une efficacité remarquablement aiguisée. Malgré la violence du sujet -comment une femme se fait violenter successivement par sa mère et par son mari pendant la quasi totalité de son existence - ce n'est pas la sociologie qui intéresse Gillespie, ni une quelconque posture morale. On ne trouvera pas ici d'autopsie de la violence familiale. La photo de Nicolas Karakatsanis, fidèle de Michaël Roskam (Bullhead, Quand vient la nuit), qui mélange effets de réalisme blafard et flashs colorés « années 80 », n'esquisse pourtant pas un écartèlement artistique. Qu'on ne s'y trompe pas : le but, l'essence profonde, de Moi, Tonya est de divertir.Fun, fun, fun
Pour nous divertir, donc, le script utilise les effets du faux documentaire postmoderne : les personnages, interviewés face caméra, donnent parfois leur avis au spectateur en plein milieu d'une scène de fiction. Cette subjectivité assumée le fait ressembler à un cousin white trash du No Pain No Gain de Michael Bay, avec sa galerie de ploucs plus ou moins limités intellectuellement qui montent un coup fumant au dépit de tout bon sens. Si Sebastian Stan est presque trop beau (dans un sens hollywoodien du terme) pour son rôle de mari violent, Margot Robbie est parfaite en Tonya Harding, qu'elle joue très justement comme un personnage de fiction « bigger than life », car elle ignorait à la lecture du scénario que le film racontait une histoire vraie. L'Australienne -également productrice- incarne le rôle-titre avec son énergie habituelle, mais elle ne bouffe jamais l'écran aux dépens de ses partenaires, tous aussi bons les uns que les autres. Moi, Tonyamalgré son titre nombriliste prend des allures de film choral. Les fans de A la Maison Blanche le savaient depuis longtemps, mais Allison Janney mérite bien tous les trophées du monde, ici pour son incarnation hallucinante d'une mère hardcore, au vocabulaire digne d'un adjudant-chef. Mais la vraie trouvaille du film, c'est Paul Walter Hauser, jusqu'ici cantonné à des petits rôles à la télé, génial en mythomane conspirationniste fils à maman. A la fin du film, Tonya Harding s'embarque vers un nouvel horizon professionnel et on se dit qu'on verrait bien une suite, si la vie de la patineuse continue à ce rythme dans ce monde de tarés. C'est à ce moment-là que Moi, Tonya devient un pur film hollywoodien ; quand l'histoire vraie, aussi sombre et violente soit-elle, devient une source de divertissement inépuisable.