On avait laissé les Wachowski sur "Cloud Atlas", leur fresque démesurée, où le post-apocalyptique côtoyait le cyberpunk et l’expérimental dans un film à sketchs allant du pire (les moumoutes de Tom Hanks, le pompiérisme indigent) au somptueux (l’oraison de Sonmi ou la mélancolie du segment musical). Revoici le tandem aux commandes d’une oeuvre folle qui cherche à redéfinir la forme moderne du space opera et s’attaque à la mythologie "Star Wars". Le chasseur de primes nonchalant (Channing Tatum, génial), son histoire d’amour avec la princesse prédestinée (Mila Kunis, parfaite) prouvent que les cinéastes regardent George Lucas dans le blanc des yeux. Mais leur film est avant tout une nouvelle synthèse de leurs obsessions. Il y est question d’une élue, d’interconnexion mystique, de mythologie révolutionnaire, de l’affranchissement humain… Et de cinéma. En un sublime précipité de grammaire wachowskienne. Monstrueux trip visuel, montagnes russes alternant course-poursuite endiablée, dialogue ésotérique et combat spatial éblouissant, ce film procure une jouissance de cinéma que peu de blockbusters offrent encore. Comme d’habitude, la mise en scène, ne ressemble à rien de connu : soap intergalactique à la direction artistique jusqu’au-boutiste frisant le mauvais goût (le look de Tatum, les lézards géants, les comédiens « portemanteaux'" qui s’avoinent mollement) pour tutoyer le sublime, le film organise constamment son propre vertige. L’intrigue repose sur l’opposition entre le trivial douteux et le shakespearien fantastique. Une dame pipi projetée dans un univers SF multiplie les blagues limites avant de se faire absorber dans une tragédie classique. On retrouve là le sens étourdissant du mash-up des Wachowski. Et on perçoit cette audace mégalo et ado doublée d’un formalisme visionnaire et profus qui fait leur force et derrière laquelle s’exprime un idéalisme devenu rare au coeur du système. Les pirates de Hollywood ont encore frappé.