Rencontre avec Adam Price, créateur de Borgen, qui nous parle de sa nouvelle série, lancée ce soir sur Arte.
Présentée en compétition officielle au Festival Séries Mania l'an dernier, et sacrée récemment par un prix d'interprétation masculine (pour Lars Mikkelsen) aux International Emmy Awards, la très spirituelle série Au nom du Père (ou Ride upon a Storm) débarque ce soir en France, sur Arte.
Ce nouveau drama danois signé Adam Price, créateur de Borgen, se concentre sur le quotidien de la famille Krogh issue d’une longue lignée de pasteurs protestants. Johannes le père est un pasteur séduisant, engagé mais dont on va vite découvrir les nombreuses failles… Son fils aîné cherche sa voie tandis que le cadet, le fils prodigue, marche sur les traces de son papa. Evidemment, tout part en vrille : le père trompe sa femme, le fils ainé trompe son meilleur ami et le cadet trompe son père (et sa foi ?). Entretien avec la star des séries nordiques.
Durant le festival Séries Mania, l'an dernier, vous avez dit : «En tant qu’athée, je m’adresse aux croyants : écoutez et regardez cette série sans préjugés ». C’est une drôle d’introduction, non ?
Adam Price : Je ne crois pas. Je ne fais pas cette série pour les croyants ou pour les athées. Je ne cherche surtout pas à vous faire croire plus ou à vous faire croire moins ! Je veux juste parler de religion. Ride upon the storm est un voyage mû par mon envie de découverte, ma profonde curiosité. J’essaie de comprendre ; de discuter. Je crois… je crois que si nous discutons, si nous discutons vraiment des croyances de chacun, alors on n’arrêtera de construire des murs et de creuser des tranchées. Je viens d’une culture qui aime le débat. Les Danois adorent ça. Notre système politique est fondé sur le débat, et le compromis. Tant qu’on peut discuter on ne se tue pas. On a laissé la scène aux extrémistes et eux… eux, ne discutent pas
C’est pour ça, pour le plaisir de la discussion, que vous avez voulu préciser d’où vous parlez ? Préciser que vous êtes athée ?
Oui ! Par franchise. Et pour que ce soit bien clair : je ne veux pas endoctriner les gens. Personnellement, je ne crois pas à la réalité d’un Dieu qui a tout créé et qui écoute nos prières. MAIS, je respecte énormément les gens qui y croient. Je ne veux pas m’attaquer à Dieu ni aux fidèles, mais je veux être honnête. Et ce serait tricher que de ne pas afficher ma couleur, sur un sujet aussi intime. Donc est-ce que je crois en Dieu ? Non. Mais je ne suis pas le seul. Et si je ne crois pas en Dieu, ça ne veut pas dire que je ne crois en rien. Il y a une spiritualité, des choses qui transcendent les frontières, le temps, l’espace. Nous avons tous soif de sens. Nous aimerions tous comprendre ce qui dépasse la rationalité scientifique. Parfois nous sommes juste apeurés, et si la science répond à de nombreuses interrogations, on a tous vécu des moments dans nos vies qui montrent qu’il y a sans doute autre chose…
Au bout de deux épisodes, je n’étais pas très sûr : la série parle-t-elle de la religion ou du besoin métaphysique qui nous rassemble tous ?
Les deux. Parce que le religieux et le métaphysique sont liés. Si je dis que je crois à Jésus, je suis religieux, si je dis qu’un chat noir est une malédiction, je suis superstitieux. Mais les deux choses sont magiques, étranges. On croit en Jésus, le fils d’une vierge qui aurait ressuscité et aurait transformé l’eau en vin et…
Oui, mais on ne peut pas mettre ça sur le même plan. D’un côté, une superstition de l’autre un phénomène socio-culturel qui a façonné des civilisations entières (en bien comme en mal).
Evidemment ! Mais ce qui m’intéresse, c’est que la plupart des gens ont construit une structure métaphysique de leur vie avec des éléments catholiques ou musulmans, un peu bouddhiste, le tout dans un grand mélange… Ça, ça m’intéresse. Comment percevons-nous le monde ? Comment appréhende-t-on le sensible ?
C’est la scène du deuxième épisode, où la mère voit sa tasse bouger et son fils, à des milliers de kilomètres de là, observe le même phénomène…
Exactement. Vous serez d’accord avec moi pour dire que ça n’a rien à voir avec le christianisme. C’est quoi ? De la superstition ? La puissance de l’amour ? Dieu ? J’aimerais pouvoir répondre à cette question. Et la série tente d’examiner ça. La foi. Ce en quoi nous croyons.
Pourquoi avoir choisi de situer l’action dans une famille de prêtres protestants ?
Parce que cette foi est structurée par un système ancien et qu’on connaît bien. Mais ces prêtres ont beaucoup de démons. Ce qui en fait parfois des bons prêtres et parfois de très mauvais prêtres ; parfois de belles personnes, parfois des salauds. La série parle finalement des attentes, de l’espérance. Mais je vous rassure : plus la série progresse, plus l’univers religieux progresse également. On ne reste pas confiné au protestantisme.
La série semble opposer les hommes et les femmes…
Ah non, je ne trouve pas…
Les femmes sont, comme dans Borgen, plus libres, plus fortes. Les hommes eux sont rongés par leurs « démons ». Ce sont elles qui conduisent leurs vies et même d’une certaine manière l’intrigue. Après Borgen, Ride Upon The Storm semble explorer la masculinité - dans ses failles
Ah, sur ce plan ? alors oui ! Vous savez, j’ai passé 30 épisodes avec Byrgitte Nyborg, une femme très forte, exceptionnelle. Et j’avais envie de m’intéresser à la masculinité comme vous dites. La relation entre une mère et sa fille est basée sur l’émotion, le rapport père-fils sur l’attente (expectation). C’est ça que je voulais creuser. D’ailleurs, ça rejoint ce que je vous disais sur cette famille de prêtres : dans la Bible comme dans la culture catholique, le rapport père-fils est primordial. RUTS est aussi un show sur la famille.
Comment expliquez-vous le retour de la foi au cinéma ou en série ? On a vu récemment The Young Pope, The Leftovers, Scorsese a signé Silence…
La religion ou plus généralement le spirituel est un phénomène capital dans nos vies aujourd’hui. Même si nous vivons dans un environnement qu’on croit séculaire. Le religieux est partout. Quand on parle d’immigrations, des réfugiés… au fond le sujet, c’est le fossé entre l’Islam et le catholicisme. Demandez au danois s’ils sont religieux, ils répondront à une large majorité non. Mais il y a une croix sur le drapeau national, on ouvre les sessions parlementaires par une prière… Tout est basé sur le religieux ! C’est une structure essentielle de notre société. Je ne vais pas rentrer dans une interprétation politique de la Bible, pas ici, mais c’est aussi un sujet que je traite dans la série.
Vous auriez pu faire le même show avec des prêtres catholiques ?
Non ! Parce que la famille est au centre du show. Et les prêtres ne peuvent pas encore avoir de familles. Pas encore – peut-être que le Pape François changera ce statut-là. Mais protestant ou catholique, ce qu’on projette dans la figure du prêtre est souvent identique : c’est une figure qui doit être digne, morale, irréprochable. Ca en fait des personnages de fiction fascinants. Les prêtres sont notoirement habités par des démons intérieurs – on a vu ça sur le plan criminel notamment... Ils divorcent, ce sont des alcooliques. Mais pourquoi ?
Parce qu’ils sont humains ?
Exactement. Et le hiatus entre leurs vies réelles et leur position d’intermédiaire avec le sacré ou le divin, ça c’est formidable. Et un réservoir d’intrigue ou de questionnements inépuisable.
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