Roma (Netflix)
Netflix

Le nouveau film d’Alfonso Cuarón, bientôt disponible sur la plateforme de streaming, est une superbe évocation du Mexico des années 70.

Privé de Festival de Cannes en mai dernier, Netflix débarque en force à la Mostra de Venise, avec les nouveaux films d’Alfonso Cuarón, des frères Coen, de Paul Greengrass et carrément d’Orson Welles (le mythique et inachevé The Other Side of the Wind). Et c’est le Roma de Cuarón (le premier film mexicain de son auteur depuis Y tu mamá también) qui a ouvert le bal, à des hauteurs étourdissantes. Roma ? Le titre surprend car l’intrigue se déroule à Mexico mais aussi parce que c’est un autre Fellini que le film évoque, Amarcord. "Je me souviens"… Roma, dès ses premiers plans, a en effet la texture du souvenir. On comprend instantanément que le monde que Cuarón décrit ici (une maison bourgeoise dans le Mexico de 1970) est le sien, celui d’où il vient, ressurgi des limbes de sa mémoire. Ce sentiment de vérité retrouvée vibre et palpite dans l’image, pas seulement parce que le noir et blanc évoque l’idée du passé et de la remémoration, mais surtout parce que chaque plan est chargé de détails merveilleux, d’idées, de décors et de gestes tellement précis qu’on devine que Cuaron n'a pas eu besoin de les inventer. Ils sont vrais.

Soif d’aventures
On se glisse dans le film comme dans un rêve cotonneux. On y suit le parcours de Cleo, la femme de ménage/nounou d’une famille nombreuse de Mexico City (quatre enfants, une grand-mère, une maman, un papa qui va bientôt foutre le camp). Cleo tombe enceinte, et ça ne la réjouit pas. D’autant moins que les présages de morts se multiplient autour d’elle. Elle est l’héroïne du film, mais ce sont pourtant les enfants du foyer qui aiguise le regard du cinéaste. Comme si Cuarón, près de cinquante ans après, revenait sur les lieux de son enfance, pour comprendre et filmer ce qu’il n’avait fait qu’entrapercevoir quand il était môme : pourquoi maman a-t-elle l’air triste tout le temps ? Que signifient ces bruits d’engueulade étouffés qu’on entend derrière la porte ? Et Cleo, surtout : qui est-elle vraiment ? Quelles sont ses pensées secrètes ? A quoi ressemble sa vie, son monde intérieur, quand elle n’est pas en train d’étendre le linge, de ranger la chambre des gosses ou de ramasser les crottes du chien ? Toutes ces questions qu’on peut se poser enfant, qui passent comme des nuages, et auxquelles Cuarón, devenu grand (grand cinéaste), décide de répondre. Il veut filmer ce qu’il ne pouvait pas voir (pas comprendre) quand il était enfant. Roma sera une aventure du regard. C’est ce que suggérait le mystérieux teaser du film dévoilé cet été. Filmer le sol d’une cour d’’immeuble, ça n’a en soi rien d’intéressant. Mais jetez de l’eau dessus, elle agira comme un révélateur : vous verrez alors le ciel, puis un avion traverser celui-ci. Tout le film (tout le cinéma de Cuarón ?) est dans ce plan : l’élan mystique, et la soif d’aventures.

Pays natal

Roma est plein à craquer de cinéma, et d’hommages au cinéma – on y apprend notamment que La Grande Vadrouille remplissait les salles mexicaines des seventies. Mais le plus beau clin d’œil cinéphile est pour Les Naufragés de l’Espace (Marooned, 1969, avec Gregory Peck). Une citation qui permet de comprendre que Gravity était pour Cuarón un rêve de gosse. Et qu’après avoir réalisé ce rêve, il a naturellement eu envie de revenir au pays natal. Le film qu’il y a tourné est d’une ambition folle (à la fois thématiquement et techniquement), parcouru de visions poétiques déchirantes. Difficile à ce stade de dire s’il a une chance d’être au palmarès (la compétition commence à peine), mais on imagine le malaise du président du jury Guillermo Del Toro devant cette éclatante réussite signée par son copain Alfonso, gorgée de sentimentalité sud-américaine, et qui travaille des thèmes très proches de ceux de La Forme de l’eau : la féminité, l’héritage du catholicisme, la guerre au patriarcat. Va-t-on l’accuser de copinage s’il récompense ce film ? Del Toro peut dormir tranquille : Roma est suffisamment puissant pour que son jugement soit lavé de tout soupçon. Le film témoigne en tout cas, beaucoup plus qu’Okja et The Meyerowitz Stories (montrés à Cannes 2017), des ambitions de Netflix sur le terrain du grand cinéma d’auteur international. L’extraordinaire virtuosité technique du film, la majesté soufflante de ses panoramiques et plans-séquence shootés en 65 mm, vont inévitablement relancer le débat sur la nécessité de pouvoir voir des œuvres de cette ampleur en salles. Ironiquement, dans une scène-clé de Roma, les ennuis de Cleo commencent le jour où, alors qu’elle avait le choix, elle a décidé de ne pas aller au cinéma…

Roma, d’Alfonso Cuarón, avec Yalitza Aparicio… Prochainement sur Netflix.


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