L’acteur-réalisateur suit le chemin tracé par le Honkytonk Man.
La première image qui nous a mis la puce à l’oreille est visible dans le trailer de A Star is Born : c’est ce plan où Bradley Cooper, barbu, lessivé, chapeau de cow-boy vissé sur le crâne, grimpe dans sa limousine après un concert et s’agrippe à sa bouteille de whisky comme un naufragé à sa bouée. L’image est une citation directe d’un plan similaire de la précédente version d’Une Etoile est Née (réalisée par Frank Pierson et produite par Barbra Streisand en 1976) mais, bizarrement, ce n’est pas tant son prédécesseur Kris Kristofferson que Bradley Cooper évoque à ce moment-là, ni même le Jeff Bridges de Crazy Heart, que le Clint Eastwood de Honkytonk Man. Difficile d’expliquer précisément pourquoi. C’est d’abord une question de feeling. D’attitude et d’incarnation. Peut-être aussi parce que Honkytonk Man, voyage terminal et fantomatique d’un chanteur loser déterminé à passer l’audition du Grand Ole Opry, était, d’une certaine façon, un anti-Une Etoile est née – quelque chose comme Une Etoile est morte. Et on ne peut pas s’empêcher d’imaginer que Bradley Cooper y a puisé un tas d’idées pour jouer à son tour (et superbement) sa partition de musicien country-rock spectral et décavé.
Maître et disciple
Revendiquer l’héritage eastwoodien est un réflexe naturel (très souvent, un énorme cliché) pour n’importe quelle star de cinéma qui passe derrière la caméra après quarante ans. Ben Affleck, par exemple, parle quasi systématiquement d’Eastwood quand il est en promo pour une de ses réalisations. Normal. Mais avec Bradley Cooper, la filiation symbolique prend encore plus de sens. Déjà parce que c’est le carton monstre d’American Sniper (signé Eastwood en 2014) qui a donné les coudées franches à l’acteur pour réaliser le film de ses rêves (un mélo musical ultra ambitieux, presque un vanity project, où il ferait tout : écrire, produire, réaliser, chanter, jouer la comédie et de la guitare). Ensuite parce que A Star is Born est réalisé au sein de Warner Bros., maison mère de tous les Eastwood depuis quarante ans. Enfin parce que ce film, Eastwood lui-même projetait de le tourner il y a quelques années, avec Beyoncé dans le rôle finalement tenu par Lady Gaga. C’était un projet éminemment eastwoodien, étant donné que l’auteur du premier Une Etoile est née (en 1937) n’est autre que William Wellman, soit l’un des deux ou trois cinéastes préférés de Clint. Plutôt que de remaker l’un de ses maîtres, l’intéressé a finalement confié le film à l'un de ses disciples.
Feeling mélo
Pour ses débuts de réalisateur (Un Frisson dans la nuit, 1971), Eastwood avait truffé son film de ses obsessions jazz, de Errol Garner à Johnny Otis. Et c’est également la musique qui aiguillonne tout le projet A Star is Born : le plaisir de Bradley Cooper de se métamorphoser en rock-star, de monter sur scène « pour de vrai » à Glastonburry pour les besoins du film (Un Frisson dans la nuit, lui, comportait des séquences live mises en boîte au festival de Monterey), de nourrir son film de l’expérience emmagasinée backstage aux concerts de ses copains Lars Ulrich (batteur de Metallica) et Eddie Vedder (frontman de Pearl Jam). C’est une évidence à la vision du film : Bradley règle son pas sur celui de Clint (les deux hommes ont d’ailleurs eu le temps ces derniers mois de tourner The Mule, le prochain Eastwood, attendu en fin d’année aux Etats-Unis). Si le geste de A Star is Born évoque Un Frisson dans la nuit, et le look du personnage de Jackson Maine Honkytonk Man, le feeling mélo du film, lui, son classicisme tranquille, élégant, pas effarouché à l’idée de faire pleurer son spectateur à chaudes larmes, descend en droite ligne de Sur la route de Madison. Mais la meilleure preuve que Cooper suit le chemin tracé par Eastwood se mesure peut-être à la tiédeur de la réception de son film par une partie de la critique française. Soit exactement ce qu’a encaissé Eastwood pendant tout le début de sa carrière de cinéaste… Si tout se passe bien pour lui, Bradley Cooper, d'ici deux décennies, sera considéré comme un grand réalisateur. Et son premier film comme un classique.
A Star is Born, de Bradley Cooper, en salles le 3 octobre. Bande-annonce :
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