Grignan ne serait qu’une adorable petite ville de la Drôme provençale si ce n’est la présence surplombante d’un superbe château, forteresse médiévale transformée en palais de plaisance à la Renaissance, célèbre pour avoir abrité au XVIIème siècle la Marquise de Sévigné, femme de lettres connue pour sa longue et prolixe correspondance avec sa fille, comtesse de Grignan. Depuis, la ville abrite en ses murs deux événements culturels d’envergure drainant un public nombreux venu de toute la France : le Festival de la Correspondance qui a lieu tous les ans depuis 1996 au mois de Juillet et accueille comédiens, metteurs en scène, auteurs, réunis autour de la célébration de l’art épistolaire ; et les Fêtes Nocturnes, qui depuis 25 ans proposent chaque été un spectacle en plein air dont la façade du château constitue le décor unique, une toile de fond historique exceptionnelle. C’est dans ce cadre grandiose que le metteur en scène québécois Denis Marleau a été invité à mettre en scène Les Femmes savantes, réjouissante pièce de Molière. Visiblement inspiré par la portée du lieu, il l’intègre totalement à l’espace de jeu : projections vidéo sur les fenêtres du premier étage, lignes de fuite du regard et de l’imaginaire grâce aux portes et fenêtres ouvertes sur l’intérieur de la demeure, vaste perron offrant un plateau de jeu naturel aux dimensions idéales, bassin d’eau dont le rebord constitue en lui-même une estrade scénique supplémentaire. Les costumes signés Ginette Noiseux, seyants, homogènes et de très bon goût, sont une référence explicite aux années 50, période tout à fait pertinente au vu du sujet de la pièce, en ce qu’elle précède de peu la révolution du féminisme et la libération de la femme. Car il est question de femmes avant tout dans cette comédie de mœurs toute de satire et de tendresse cousue. C’est là le génie délicat de Molière. Ses portraits de femmes, précieuses de l’intellect à la fois ridicules et naïves, mais aussi louables dans leur volonté de s’affranchir de leur statut de potiche, du destin unique du mariage, de leur condition de femme ou mère au foyer, ont l’ambivalence de la complexité du regard que Molière pose sur elles en fin penseur autant qu’amuseur de haut vol. Ces femmes ont compris avant l’heure que la culture et l’art sont des outils de libération, que l’éducation n’est pas l’apanage des hommes. Elles ne sont risibles que dans la radicalité de leurs positions et leur peu de jugement qui les conduit à s’enticher béatement d’un piètre poète, imposteur et séducteur. Quant à Henriette, totalement indifférente aux lubies de sa mère et de sa sœur et qui n’aspire qu’à se marier, celle-ci n’est pas cruche pour un sou. Encore moins Martine, la servante pleine de bon sens. Mais s’il se moque des travers de pédanterie et des dérives d’une pensée obtuse, Molière ne condamne aucun de ses personnages et ne prend parti pour ou contre aucun car le corps et l’esprit en définitive ne s’excluent en rien. Sa peinture familiale, derrière l’exagération des caractères et des relations, est criante de justesse... et de tendresse. Le dénouement heureux, en résolvant le conflit qui divisait la famille, en témoigne. Denis Marleau a perçu avec finesse les subtilités de la pièce et sa mise en scène, claire, précise, rythmée avec doigtée, la sert avec bonheur pour faire de ces Femmes savantes un régal de spectacle estival et familial sous le ciel provençal.Par Marie Plantin.
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Les Femmes savantes dans le fief de la Marquise de Sévigné
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