Compton, 1985. Dans ce coupe-gorge du Sud de Los Angeles, O’Shea Jackson, 16 ans, griffonne des textes dans un bus régulièrement arrêté par des gangsters, tandis que Eric Wright, 22 ans, vend de la dope et qu’Andre Young, 20 ans, tente de nourrir son fils en mixant dans une boîte de nuit. Personne ne peut alors se douter du séisme provoqué quelques mois plus tard par ces jeunes Afro-Américains plus connus sous les noms d’Ice Cube, Eazy-E et Dr. Dre. Avec MC Ren et DJ Yella, ils vont faire de leur premier album "Straight Outta Compton" un classique de l’histoire du hip-hop : très cru, il hurle la violence des gangs et le racisme, avec une rage et un degré de réalisme inédits. Le morceau "Fuck Tha Police", qui préfigure les émeutes de Los Angeles en 1992 (à la suite de l’acquittement des policiers ayant tabassé Rodney King) mais aussi les récents événements à Ferguson et Baltimore, leur vaudra carrément une assignation de la part du FBI. Mais qu’importe, la machine est enclenchée. On est en 1988. Cinq ans plus tard, 3 millions d’exemplaires du disque se sont écoulés, pourtant le groupe a implosé. F. Gary Gray retrace ce parcours fulgurant avec une énergie contagieuse, loin de la platitude de "Notorious B.I.G" (George Tillman Jr.). Dynamique et brute, sa mise en scène vise moins le brio formel que l’efficacité dramatique, au service d’une histoire racontée chronologiquement (riche en embardées) et de ses personnages (hauts en couleur). Et c’est réussi, puisqu’on s’attache très vite aux trois principaux membres de N.W.A., que Gray s’échine à humaniser (ils étaient à l’époque diabolisés par les médias conservateurs qui leur reprochaient de "glamouriser" les flingues et le trafic de drogue). Car il faut du cran pour échapper au déterminisme social quand on est Noir et qu’on vient d’un coin comme Compton : une simple pause sur le trottoir lors d’une session d’enregistrement peut facilement dégénérer en démonstration de force policière. Le réalisateur de "Friday" ne sombre pas dans l’angélisme pour autant. Bien que supervisé par Dr. Dre et Ice Cube, cet "autobiopic" esquive l’écueil de l’hagiographie en s’immisçant dans les zones d’ombre. Jalousies (Ice Cube voulant être calife à la place d’Eazy-E), ambitions personnelles (départ de Dr. Dre qui cofonde avec Suge Knight le label Death Row Records, Mecque du G-funk), histoires de fric (ambiguïté permanente du manager Jerry Heller, sorte de vampire pygmalion), clashes internes (illustré par un morceau vengeur d’Ice Cube contre ses ex-collègues) et coups de pression (effrayant Suge Knight, superbe méchant de cinéma) jalonnent leurs parcours chaotiques. Ce qui n’empêche pas l’humour ni l’émotion, notamment lors d’un rabibochage au téléphone entre Dr. Dre et Eazy-E (quelques mois avant sa mort tragique) touchant de gaucherie virile. Bref du solide, à l’instar de la BO funky et chromée signée Dr. Dre.