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Mieux qu'un espace mental, Moon invente un huis clos du dédoublement dans un temps délinéarisé qui à l'écran demeure linéaire. Chaque Sam devient un miroir renvoyant autant au passé, présent que futur du personnage. Impossible d'oublier cette scène où Rockwell et Rockwell découvrent successivement un élément clé de leur histoire. Le film crée alors une image inédite et schizo : la répétition d'un sentiment identique et à la fois différent parce que vécu par un autre corps pourtant similaire. Ce qui est en jeu ici est bien sûr d'abord la mémoire comme somme des expériences avec lesquelles se construire. Et sa nouveauté, quoique dickienne, est de situer l'humain dans chaque forme d'intelligence pour comprendre ce qui nous définit. D'où la place faite aussi au robot aidant Sam, version réussie du HAL de Kubrick. De cette mécanique des affects dont on pourrait tirer une théorie du cinéma, Jones élabore une vision de l'homme et de la conscience qui, passant par Bergson ou Deleuze, renvoie aussi à un monde obsédé par l'énergie, son commerce, sa dépense. Et s'il allie la dimension paranoïaque chère à K. Dick (ici le complot industriel) aux questions éthiques sur l'eugénisme, il traite d'abord du sujet pour sa portée métaphysique et sensible. En découle une œuvre troublante, ciselée, intelligente et qui confirme la naissance d'un grand cinéaste.