Première
par Thomas Agnelli
Soutenu par Diego Luna et Gael García Bernal, Miss Bala traîne une réputation d’uppercut de festivals. Autant dire que, dans le registre du gros film de petit malin, on redoutait le pire (film-dossier vériste, misérabilisme, voyeurisme, pathos, cultisme, indignation facile). Mais, miracle : le sujet, déjà puissant (une reine de beauté, obligée de pactiser avec le mal, découvre les arcanes d’un pays à feu et à sang), est développé comme une parabole dostoïevskienne sur la corruption d’une âme innocente par la société. Gerardo Naranjo ose une mise en scène aérienne, presque douce, pour traiter d’un sujet dur, enchaînant les plans-séquences comme son compatriote Alfonso Cuarón dans Les Fils de l’homme. Les mal-lunés crieront sans doute à l’exercice de style poseur. On leur aurait donné raison si cette virtuosité formelle n’épousait pas le point de vue de l’héroïne ambiguë (victime et complice malgré elle), si elle ne faisait pas décoller le récit d’une réalité « sang pour sang » noire et si elle ne proposait pas une approche onirique de dérive kafkaïenne, un peu dans la logique surréaliste du Dementia de John Parker (1955). Au-delà de la dénonciation du système et de la description d’une culture mexicaine imperméable à la loi, Miss Bala n’est ni plus ni moins qu’une variation contemporaine d’Alice au pays des merveilles dans laquelle une beauty queen, naguère cachée dans des pétales de rose, se perd avec nous
dans les dédales d’un songe horrible, une couronne de sang sur la tête, avant un réveil d’une cruauté inouïe.