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On le sait, Olivier Assayas est obsédé par la mode, la nouveauté, l’envie de saisir l’esprit du temps. Ça fait peut-être de lui un éternel jeune homme moderne, mais ça condamne également nombre de ses films à vieillir plus vite que la moyenne, à ne s’apprécier que comme des témoignages sur l’époque de leur tournage. Cet écueil semblait particulièrement guetter Doubles Vies, qui traite de l’inquiétude, hyper contemporaine, d’une poignée d’intellectuels quant à la fin de la civilisation de l’écrit et au triomphe des écrans. Dit comme ça, c’est sûr, ce n’est pas très engageant. Mais le film possède une forme de radicalité que n’a pas, disons, le premier Noah Baumbach venu : ici, les scènes sont systématiquement charpentées par d’impressionnants tunnels de dialogues, et les personnages uniquement caractérisés par la façon dont ils se déterminent par rapport au sujet du film (Twitter, l’essor des blogs d’écrivains, la mode des audiobooks, le succès des liseuses, tout y passe). C’est du Tarantino hypokhâgneux. Si des chercheurs ou des extraterrestres, dans une centaine d’années, se demandent ce qui intéressait les intellos parisiens pendant l’hiver 2018-2019, ce film sera sans doute une précieuse archive. La trame de marivaudage bourgeois qu’Assayas greffe par-dessus est très convenue (Canet trompe Binoche, qui le trompe avec Macaigne), mais sauvée par une forme d’autodérision et de décontraction plutôt inhabituelles chez l’auteur de Demonlover, qui décortique ici de façon amusante le « culturellement correct » dont il est l’un des emblèmes.