Le Festival leur consacre cette année une exposition, intitulée Don't Skip.
Au Festival Séries Mania, qui se déroule du 17 au 24 mars à Lille, se tient cette année une exposition consacrée à l’art du générique de séries, balade ludique dans soixante-dix ans d’images, intitulée Don’t skip. Oeuvres miniatures, vitrines publicitaires, accroche-coeurs, les génériques raconteraient à eux seuls toute l’histoire des séries. La preuve en six opening credits emblématiques, décryptés par le concepteur de l’événement, le journaliste Olivier Joyard.
La Quatrième dimension : bienvenue dans un nouveau monde
« C’est l’un des premiers génériques à avoir été à ce point pensé, réfléchi. À l’origine, à la télé américaine, la fonction du générique était publicitaire. Le mot soap vient d’ailleurs de là, du fait que les feuilletons étaient sponsorisés par des marques de savon, de lessive… Avec le générique de La Quatrième Dimension, il y a un véritable effet de seuil, pour reprendre le terme qu’emploie Gérard Genette à propos des couvertures de livres, qui incarnent le passage vers la fiction, vers un autre monde. “Vous ouvrez cette porte avec la clé de l’imagination”, nous dit Rod Serling quand on pénètre dans la “Twilight Zone” : on nous annonce clairement qu’on entre dans une fiction. Au fond, ce générique nous explique à quoi sert un générique ! Des objets (une porte, une montre…) y flottent dans l’espace, la bande originale est étrange, quelque part entre un thème de science-fiction et de la musique contemporaine. C’est fort de s’affranchir de tout code à ce point. On ne promet rien d’autre au spectateur que de satisfaire son imagination. La Quatrième Dimension apparaît au moment où Saul Bass règne à Hollywood, avec ses génériques très graphiques pour Hitchcock, Preminger… C’est un moment d’affirmation de la forme télévisée, alors un art naissant. »
Mission Impossible : les séries mises en abyme
Mi-60s, l’époque est pop. La télé passe à la couleur. Star Trek, Les Envahisseurs, Le Prisonnier, Chapeau melon et bottes de cuir… Et au milieu de cette effervescence, Mission : Impossible allume une mèche, qui ne s’est jamais éteinte depuis.
« Cette mèche, c’est l’effet de seuil au sens propre. On l’allume et la série commence ! Cette idée graphique de la mèche au centre de l’écran, qui le coupe horizontalement, est vraiment géniale. À mes yeux, le générique de Mission : Impossible symbolise l’émancipation esthétique des séries. On est au coeur de l’essence de l’art sériel, qui est fait de répétition et de variations. La série est un rendez-vous, c’est une répétition au sens le plus strict du terme. Et cette continuité, cette régularité, est symbolisée par cette ligne au milieu de l’écran, qui avance, qui avance… Mais, en même temps, les images du générique changeaient chaque semaine, parce qu’elles annonçaient l’épisode du jour. Il y a donc à la fois la constante et la variation. C’était il y a presque soixante ans, mais les concepteurs de Mission : Impossible avaient compris à quel point il est important pour une série de marquer son territoire esthétique dès son générique. Et puis, bien sûr, il y a la musique de Lalo Schifrin… Les génériques sont des stimuli peut-être plus sonores encore que visuels. Des choses que l’on fredonne, des ritournelles, qui créent des effets d’intimité très fort. Il y a un effet doudou des génériques, qui passe avant tout par la musique. »
Hill Street Blues : gueules d’atmosphère
Quand on pense « séries des années 80 », on pense décontraction et bonne humeur. Mais les 80s, c’est aussi Hill Street Blues, la série que les historiens identifient comme la pierre angulaire de la télé moderne. Ceux qui la regardaient sur La Cinq à l’époque (sous le titre Capitaine Furillo) n’ont pas oublié son générique qui flanquait un bourdon pas possible…
« Ce que j’aime dans ce générique, c’est qu’il ne te vend pas du rêve ! Du point de vue de l’histoire des formes, la télé avait encore des choses à prouver. Le créateur de la série, Steven Bochco, s’inspirait du réalisme social du cinéma des années 70 et le plongeait dans un romanesque au long cours. Là aussi, c’était une émancipation. Il ne faut pas oublier que la télé a toujours été liée au marché et qu’elle l’était de façon très brutale dans les années 80. Hill Street Blues passait sur NBC, et NBC, c’était douze minutes de pub par heure. Les dirigeants de la chaîne ne voulaient pas de ce générique, ils disaient : « Qu’est-ce que c’est cette bagnole pourrie ? Qui sont ces gens qui font la gueule ? » Le générique reprend des codes classiques, avec ces plans “freezés” sur les personnages, et en même temps, on ne sait pas où vont ces voitures… Ce n’est pas la police triomphante qu’on pouvait voir au même moment dans Chips. C’est un générique presque anodin, il n’y a pas de performance graphique exceptionnelle, on te dit d’emblée que la série refusera la séduction facile… On ne te vend pas du rêve, non, plutôt un rythme, une atmosphère. »
Dream On : nos vies en séries
En 1990, quatre ans avant Friends, Marta Kaufman et David Crane créent Dream On, l’une des premières séries HBO, dont le générique raconte en une minute et des poussières le rapport au monde gentiment détraqué des mordus de télé.
« C’est l’invention du spectateur moderne. Le générique parle de lui-même : on pose un nourrisson devant un écran de télévision, puis on le voit grandir, passer de la petite enfance à l’âge de raison, jusqu’à l’âge adulte, où il s’endort devant la neige de l’écran – cette chose que les moins de 40 ans ne connaissent pas, et qui marquait la fin des programmes… Ça va contre l’idée que la télévision nous abrutit. Ça ne dit pas non plus pour autant que ça rend plus intelligent ! (Rires.) Mais disons que l’enfant a un rapport assez passionné et dynamique à ce qu’il regarde. À l’écran, il y a un mélange d’images de films et de séries, on comprend en le découvrant que la télé et le cinéma ont toujours marché main dans la main, que tout ça n’était peut-être pas aussi hiérarchique qu’on voulait nous le dire. C’est un générique très théorique. On peut d’ailleurs le regarder indépendamment de la série. C’est aussi l’affirmation de HBO comme “the place to be”. Ils allaient bientôt enchaîner avec Oz, Sex and the City, Les Soprano, Six Feet Under, The Wire… Ils ont compris tout de suite à quel point le générique était un élément essentiel du marketing des séries, en imposant ces ouvertures très sophistiquées, qui fonctionnent comme des courts métrages métaphoriques. C’est amusant de se dire que ça a commencé avec celui de Dream On, qui réfléchissait à ce qu’était un spectateur de télévision. »
Mad Men : l’art de la chute
Dans la foulée des séries HBO, Mad Men, en 2007, pousse l’art du générique à des sommets de raffinement. Une intro vertigineuse qui contribue au rayonnement culturel de la série qu’elle illustre, bien au-delà de ses seuls spectateurs.
« Pour moi, c’est quasiment le générique parfait, d’une élégance et d’une fluidité totales. Il présente la série sous une forme raccourcie, symbolique, mais sans rien dire de ce qui va être raconté. Il y a aussi l’idée, magnifique, de finir sur un plan du personnage de dos : on va explorer la vie d’un personnage, mais elle restera énigmatique, malgré le fait qu’il occupe l’espace à ce point. C’est un générique imaginé par Steve Fuller et Mark Gardner. Quelques années après celui de Six Feet Under, il marque la prise de pouvoir des agences de graphisme. Auparavant, les génériques étaient faits par des gens impliqués dans la série, désormais, ce sont des agences. Dans l’exposition, on va d’ailleurs présenter leur mood book, avec toutes leurs influences, qui vont d’une pub Volkswagen des années 60 à La Mort aux trousses, en passant par Saul Bass ou The Game de Fincher. L’expo entend aussi montrer comment travaillent ces gens qui sont à la frontière du design, de la narration et du marketing. C’est une petite usine en soi de fabriquer un générique comme celui-ci, ça implique beaucoup de dessins préparatoires, de story-boards… Et de conversations avec le créateur, car, avec ce genre de générique, c’est aussi la voix d’un créateur ou d’une créatrice qui s’exprime. »
Dark : un langage global
Un générique allemand pour finir, comme un symbole de l’internationalisation du langage des séries. À voir sur une plateforme, Netflix, qui a systématisé l’idée que l’on peut désormais « ignorer l’introduction »…
« C’est le paradoxe : Netflix a souvent des génériques assez longs – celui de House of Cards, par exemple, fait plus d’une minute trente, et la première chose qu’ils font, c’est de te proposer de le “skiper”. Ils sont contents que le générique existe, mais pas forcément qu’on le regarde de façon répétée ! Le générique de Dark me paraît symbolique de l’époque qu’on traverse, où il faut marquer les esprits, taper du poing sur la table – voir, dans le même registre, ceux de Game of Thrones ou The Crown. La différence, c’est qu’on est devant une série allemande. Or, aujourd’hui, il n’y a plus de raison que les génériques faits en dehors des États-Unis soient des trucs bricolés de façon artisanale. C’est ce qui restera de Netflix, je pense : l’idée que les séries ne viennent plus seulement d’Angleterre ou d’Amérique du Nord, mais du monde entier. Le générique de Dark est également emblématique dans le sens où toute série aujourd’hui peut se donner l’apparence d’un grand show ultra produit. Ça coûte moins cher de faire un générique sophistiqué que de mettre des millions de dollars dans un programme. Plus beau sera ton générique, plus désirable sera ta série. Dans un monde où il y a quinze fois plus de séries qu’il y a vingt ans, l’enjeu du générique, c’est de se démarquer. »
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