Après avoir remonté Justice League et lavé l’affront fait à son film, Zack Snyder revient à la source avec Army of the Dead. Un film de casse où un groupe de mercenaires tente de braquer un casino de Las Vegas au milieu des zombies. Le réalisateur nous parle de son rapport aux fans, aux studios, aux morts-vivants… et à Napoléon Bonaparte.
Ce qui s’est passé avec votre nouveau montage de Justice League est pratiquement inédit dans l’histoire de Hollywood. Qu’est-ce que ça raconte du combat entre les créatifs et les studios ?
C’est compliqué pour moi de vous répondre parce que Justice League est bien plus qu’un film à mes yeux. Ça me touche personnellement, et en même temps, je vois bien en quoi ça peut avoir un impact sur l’industrie… J’ai envie de vous dire qu’on ne sait pas encore. Les fans ont été très présents pour moi et je trouve que cette foi envers les créatifs est saine. Certains dans le milieu en tireront certainement des leçons… Pour autant, je suis incapable de vous détailler quels seront les effets à long terme, et même s’il y en aura. Mais de mon point de vue, tout ça a été formidablement cathartique.
Vous avez l’impression d’avoir réparé une injustice ? Après Batman v Superman, les studios ne croyaient plus en vous. Leur prouver que vous aviez raison, ça doit quand même faire du bien à l’ego…
Non, je ne le vois pas comme ça. Ce n’est pas une vengeance. Ce que je trouve intéressant, c’est que le public est resté à nos côtés alors que ces films [Man of Steel, Batman v Superman et Justice League] ont pris des années à se faire. Beaucoup de gens pensaient que ce montage de Justice League ne verrait jamais le jour et je remercie les fans pour leur patience.
Ils ont fait ardemment campagne sur les réseaux sociaux et ont poussé Warner à vous laisser vous réapproprier votre film. Ça soulève quelque chose d’un peu dérangeant, une puissance démesurée des fans sur l’industrie. Aujourd’hui ils sont avec vous, demain ils seront peut-être contre vous…
De mon point de vue de créateur, je me dis qu’ils ne me demandent pas de modifier mon film, juste de faire comme je l’entends. Mais je suis conscient que les fans restent avant tout des consommateurs. C’est juste la loi de l’offre et de la demande. Et comme on vit dans un monde où le consommateur a un accès direct au créateur
Mais ça ne vous dérange pas plus que ça ? Vous n’y voyez pas quelque chose de potentiellement toxique pour les réalisateurs ou l’industrie ?
En tout cas, je ne l’ai pas encore vécu ainsi. Enfin, j’ai quand même senti le vent tourner avec Batman v Superman. (Rires.) « Je n’aime pas du tout ce que tu as fait ! Ce que je veux, c’est ÇA. » Mais au final, ça a changé quoi ? Rien du tout. Bon, voilà ce que je crois : c’est très compliqué de faire un film pour contenter les gens. Je fais d’abord le cinéma dont j’ai envie, et j’espère que les gens vont aimer. Est-ce qu’un peintre a déjà fait un tableau par souci de popularité ?
J’imagine que oui…
OK, c’est peut-être arrivé, mais très peu. Moi, je m’exprime, et j’espère qu’il y aura une pureté dans cette expression qui parlera au public. Au contraire de certains films pensés par des comités d’exécutifs, qui eux sont de purs produits.
Zack Snyder’s Justice League est un film sur le sacrifice, le deuil… Aviez-vous en tête l’idée d’en faire une double expérience cathartique, un objet qui parlerait à la fois de la mort de votre fille [qui s’est suicidée en 2017] et de ce film qu’on vous a volé ?
Absolument. C’était une façon de guérir. Et plus on avançait, plus il devenait évident que le film me parlait également à un niveau très intime… Mais ce qui m’a le plus touché, ce sont tous ces gens qui m’ont parlé de leur combat contre la maladie mentale. De nombreuses personnes m’ont contacté pour me dire qu’elles vivaient des moments difficiles et qu’elles se retrouvaient dans cette trilogie. Parfois, on a juste besoin d’un signe, et il se trouve que cette série de films a pu en donner à certains. Tant mieux.
Army of the Dead sonne comme un retour aux sources, puisque votre premier long métrage, Dawn of the Dead, état déjà un film de zombies. Y a-t-il un message symbolique là-dedans, comme la conclusion d’un chapitre de votre carrière ?
Honnêtement, je ne suis pas assez doué pour avoir ce genre de réflexion. (Rires.) Je ne me suis pas dit : « Hey, je vais refaire un film de zombies pour boucler la boucle, ça fera bien, les journalistes vont y lire un truc métatextuel sur ma carrière. » La vérité, c’est juste que c’était une idée cool ! J’aime bien votre interprétation et je ne dis pas qu’elle ne marche pas symboliquement. Mais quand même, ça reste juste un film marrant avec des zombies !
Alors, qu’est-ce qui vous amusait dans ce projet ? Jouer avec les clichés et les codes du film de zombies en y ajoutant ceux du film de casse ?
Oui, exactement. J’ai un mal fou à tourner des films qui ne soient pas conscients d’eux-mêmes. Même dans Justice League, il y a des moments où le film semble savoir d’où il vient, où il est lucide sur ses liens avec les comics et le cinéma. Ce qui est génial avec Army of the Dead, c’est que je peux me permettre d’aller encore plus loin avec les tropes. Ça donne une sorte de mélange qui cite aussi bien New York 1997, Aliens, The Thing ou même Ocean’s Eleven. Regardez l’épisode Vol au-dessus d’un nid de Morty de la série Rick et Morty [saison 4, épisode 3], et vous aurez une bonne idée de ce à quoi ressemble Army of the Dead.
Le film de zombies est traditionnellement politique. Est-il encore possible d’avoir un point de vue qui ne soit pas totalement éculé ? On n’a pas encore fait le tour depuis La Nuit des morts-vivants ?
Non, je ne crois pas. D’ailleurs, à la base, Army of the Dead était une réflexion sur le mur de Donald Trump à la frontière mexicaine et les camps de réfugiés. Mais avec la pandémie, malgré nous, la nature du film a changé. On est désormais habitués à se faire prendre la température toutes les trois minutes et puis, évidemment, il y a eu les confinements. Donc le film est devenu une sorte de discussion sur ce qu’on vit en ce moment, avec plusieurs niveaux de lecture. Et puis, je ne crois pas que le public se lasse des zombies, même si le genre est devenu extrêmement populaire. D’autant qu’Army of the Dead est tellement dingue qu’il dépasse ce cadre. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a lancé très rapidement un prequel et une série d’animation. Cet univers a énormément de potentiel. J’avais tellement réfléchi au passé des personnages et à l’origine de l’épidémie de zombies qu’une série faisait complètement sens. Vous verrez quand elle sortira, il y aurait même de quoi faire une suite à Army of the Dead, un truc à la fois très bizarre et très cool !
Vous êtes à tous les postes sur le film, à la fois réalisateur, producteur, coscénariste et même directeur de la photo, ce qui est plus rare…
Ce n’est pas tout à fait nouveau pour moi, parce que j’ai été chef opérateur pendant onze ans, à l’époque où je réalisais des publicités. Pour Army of the Dead, j’avais vraiment envie de m’y remettre. La réalité hollywoodienne, c’est que plus le film est gros, plus le réalisateur s’éloigne de la caméra. Mes longs-métrages étaient devenus si énormes et si abstraits que j’avais besoin qu’on me mette une caméra entre les mains pour que je puisse à nouveau filmer quelque chose.
Est-ce que ça a un effet concret sur le film ?
Complètement. J’ai eu l’impression de me retrouver en tant que réalisateur. Vous savez, à force de ne pas filmer soi-même, tout devient un peu théorique. Et puis j’en ai profité pour expérimenter avec des caméras numériques (Il se lève, va en chercher plusieurs qui se trouvent sur une étagère derrière lui, nous détaille les avantages et les inconvénients de chacune et nous montre ses objectifs et lentilles faits maison). Grâce à certaines, on a pu tourner avec une lumière très faible, au crépuscule par exemple. Et je peux vous dire que c’est compliqué de jouer avec l’exposition ! Mais les caméras numériques me permettaient d’avoir un retour immédiat et de tourner comme si c’était un film à relativement petit budget. Franchement, c’était super marrant, ce genre de trucs m’éclate.
L’utilisation massive des effets spéciaux numériques fait partie intégrante de votre cinéma et de votre style. C’est d’ailleurs souvent là-dessus qu’on vous fait des reproches…
Qu’est-ce que vous voulez ? Je fais des films avec des concepts très éloignés de la réalité. Donc, la plupart du temps, mes longs métrages sont basés sur des choses qui n’existent pas. Il faut bien leur donner vie, pas le choix ! Les effets spéciaux sont un bac à sable et je crois que… (Son téléphone sonne, il le regarde et rigole.) Excusez-moi, je viens de recevoir un texto marrant de Jared Leto.
Qu’est-ce qu’il vous dit ?
Rien, c’est une photo. Je ne vous la montrerai pas ! Bref, j’imagine des mondes incroyables, je ne peux pas avoir peur de les créer pour l’écran, même si ça veut dire utiliser beaucoup d’effets spéciaux numériques. Army of the Dead n’est pas différent des autres. Ce qui est intéressant, c’est que c’est du cinéma « organique », mais à une échelle dingue, avec plus de 100 000 zombies dans une ville dévastée. Cependant, toutes les scènes qui se déroulent en dehors de Las Vegas ne sont rien de plus que du cinéma indé. Mon idée est de maintenir ce sentiment chez le spectateur, pour qu’il ne voit pas le film comme un blockbuster hollywoodien mais comme un vrai projet de réalisateur.
Army of the Dead est un projet que vous aviez en tête depuis des années et que Warner Bros. a plusieurs fois refusé de financer. Par contre, Netflix a dit oui immédiatement. Vu ce qu’il s’est passé avec Justice League, est-ce que vous vous voyez encore travailler avec les studios historiques ?
(Petit silence.) Je… Je ne sais pas. Écoutez, ce sont avant tout des gens qui dirigent les studios et leur donnent leur propre personnalité, qui évolue avec le temps, les départs, les arrivées… La réalité, c’est que Netflix est l’un des plus gros studios au monde aujourd’hui, ils font plus de films que n’importe qui sur la planète. Mais pour moi, en tant que réalisateur, c’est transparent, parce que le processus est très similaire. Ce qui change, par contre, c’est la distribution. Et là-dessus, ils sont imbattables. Il y a je ne sais combien de centaines de millions d’abonnés à Netflix qui attendent Army of the Dead, là, tranquillement, chez eux. Et quand Netflix appuiera sur un bouton, tous ces gens pourront le voir. C’est incroyable comme modèle de distribution. Plus globalement, je crois qu’une relation symbiotique entre les streamers et les studios va se mettre en place prochainement.
Vous avez de nombreux projets en cours, plus ou moins avancés, et l’un d’eux est un film sur Napoléon. Je vous avoue ne pas trop voir le lien avec votre cinéma…
(Rires.) Je comprends. Pour vous résumer, c’est très Scarface dans l’esprit. Très moderne. Le script est de Jeremy Doner [producteur et scénariste américain qui a notamment travaillé sur des épisodes de The Killing ou Damages et coécrit L’Arnacœur et Sur la piste du Marsupilami] et il a imaginé un Napoléon pour le public d’aujourd’hui. Vous ne l’avez jamais vu comme ça, dans aucune fiction. J’ai tout lu d’une traite, je ne pouvais plus poser le scénario.
Il va falloir m’expliquer le côté Scarface.
Je dis ça parce que c’est un peu l’ascension d’un immigré parti de rien et qui, quelques années plus tard, devient le putain d’empereur ! C’est quand même une sacrée histoire. Voilà un type ultra-charismatique qui comprenait parfaitement son époque et a su se l’approprier. Le script est fou et j’ai tout de suite vu ce que je pourrais en tirer visuellement. Un truc vraiment extravagant.
Un Zack Snyder’s Napoleon, quoi.
Voilà. (Rires.) Mais je ne sais pas si ce sera mon prochain film, Ridley Scott fait déjà le sien sur le même sujet, on verra. Et j’ai pas mal d’autres choses sur le feu !
Army of the Dead, disponible sur Netflix.
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