Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus
United Artists

Au milieu des années 60, en pleine Nouvelle Vague, le western retrouve une seconde jeunesse grâce à Sergio Leone et ses cow-boys crasseux. Adieu John Wayne, place à Clint Eastwood, sur la sublime musique d’Ennio Morricone.

Quelques jours après Pour une poignée de dollars, France 3 rediffusera ce soir Et pour quelques dollars de plus, à partir de 21h10. Et lundi prochain, place au Bon, la brute et le truand. Soit la "Trilogie du dollar", toujours aussi populaire une soixantaine d'années après sa création.

Cigarillo au coin des lèvres, regard plissé, barbe de huit jours, poncho douteux, le pistolero qui descend de sa mule ridicule n’a rien du cow-boy classieux, héros de l’âge d’or d’Hollywood dont John Wayne reste l’archétype. Dès la scène d’ouverture de Pour une poignée de dollars, le ton iconoclaste est donné. Dans la guerre pour la suprématie qui oppose les deux clans de la ville, les Baxter et les Rodos, l’étranger mutique (il tire aussi plus vite que son ombre) entend jouer sa carte en solo. De prime abord, ce sombre héros sans nom n’a rien du justicier modèle de droiture cher à la tradition de l’Ouest. Contre toute attente, en dégainant en 1964 Pour une poignée de dollars, film désargenté et premier opus de sa cultissime trilogie, Sergio Leone jette les bases d’un genre nouveau : le western spaghetti. Avec pour complices Ennio Morricone à la musique et Clint Eastwood au six coups.


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Lorsque le tournage débute dans le sud de l’Espagne, dans la région d’Almeria, l’ambiance chaotique sur le plateau (Leone est un sanguin) et le manque de moyens ne laissent pas augurer le succès à venir. Personne ne croit à ce film de cow-boys venu du pays du péplum. À tel point que Leone prend le pseudonyme de Bob Robertson et son acteur, Gian Maria Volonte, celui de John Wells. Sur le plateau, Eastwood, vedette de la série télé américaine Rawhide, paraît dubitatif. "Il semblait détaché. Quand on devait tourner, on allait le chercher puis il repartait aussitôt dans son coin. Je crois qu’il nous prenait pour des fous et il y avait de quoi", se souvient Fernando Di Leo, l’un des scénaristes. Mais le réalisateur sait parfaitement où il va avec ce néo-western inspiré de Yojimbo (Le garde du corps) du japonais Akira Kurosawa. Il en transpose la trame de l’univers des samouraïs à celui de l’Ouest sauvage : un justicier solitaire précipite la chute de deux clans rivaux qui terrorisent des villageois. Objectif avoué de Leone : dépoussiérer le bon vieux western US. Aucune culpabilité et zéro complexe puisque "c’est Homère qui a inventé le western", explique-t-il. Exit le canevas manichéen d’antan, la violence et le sang électrisent l’écran. L’humour aussi. Teinté de noir de préférence. Oubliés les bons shérifs tirés à quatre épingles même après une chevauchée dans le désert. Place aux pistoleros crados à la morale aléatoire. Il les filme droits dans les yeux et pousse à son paroxysme la dramaturgie des scènes de duels au son d’une musique inimitable signée Ennio Morricone.

Après Pour une poignée de dollars, rien ne sera plus pareil au nord du Rio Grande. Paradoxalement, c’est en dynamitant les codes du western que Leone va lui offrir un salutaire deuxième souffle. Devenu une star mondiale grâce à ce rôle de lonesome cow-boy, Clint Eastwood n’oubliera pas les leçons du maestro italien lorsqu’il mettra en scène à son tour plusieurs westerns d’anthologie.
Julien Barcilon


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