Tenet
Warner Bros

En tentant de retrouver l'évidence d'Inception, Christopher Nolan se repose sur des tics et ses gimmicks. Et finit par réaliser un James Bond.

Tenet arrive en clair à la télévision : dimanche soir, TF1 le proposera au public à partir de 21h10. A cette occasion, nous republions notre critique, initialement mise en ligne pour sa sortie au cinéma, en août 2020.

Avertissement : même si cette critique a été rédigée en évitant au maximum de révéler les moments importants de Tenet, si vous voulez voir le film de Christopher Nolan vierge de toute information, mieux vaut s'arrêter là.


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"Ce que je cherchais, ce n'était pas à faire un James Bond en tant que tel. Je voulais plutôt retrouver mes sentiments d'enfant face à ces films. Une sensation. Tenet, c'est ça : ma tentative de recréer l'excitation que j'avais face à ces divertissements à grande échelle, ce que j'ai pu ressentir en découvrant ces films. C'était le souvenir d'une émotion plus que les codes des films eux-mêmes." Voilà ce que répondait Christopher Nolan quand on lui a demandé -dans les colonnes du dernier numéro de Première- pourquoi ne pas avoir tourné un James Bond officiel plutôt que Tenet. Sa réponse est donc claire : tenter de reproduire la sensation, l'émotion d'un spy thriller à gros budget plutôt que les codes. Et pourtant, ce qui saute aux yeux dans Tenet, ce sont justement ces codes : Tenet parle de la lutte d'un super-espion américain aussi cool que classe face à un grand méchant russe ("oligarque", milliardaire, cruel, doté d'une femme sublime, évidemment) autour d'une terrible menace contre l'équilibre du monde. On n'en dira pas plus sur le scénario, mais ses codes structurent le film autant que dans un James Bond. Il ne s'agit pas de les détourner ou de les twister. Nolan n'est pas assez cynique pour cela.

Son ambition est ici de s'attaquer aux fondements même de la physique au sens strict du terme puisque -spoiler alert !- Tenet tourne autour de l'inversion du temps. Des objets, des personnages, des actions vont dans un sens ou dans l'autre. Le temps, suivant les principes de l’entropie, devient une matière qu’on arpente dans tous les sens, qui se tord et qui se maitrise. C'est un concept à la fois simple et extrêmement compliqué : Nolan a donc recours à de très longues plages de dialogues pour que des personnages tentent d'expliquer les règles (du jeu) de Tenet au héros (et accessoirement aux spectateurs). Drôlement paradoxal pour un cinéaste acclamé pour sa maîtrise supposée des moyens de cinéma pur. Inception devait, dans une mesure moindre, résoudre la même équation, le même problème explicatif. Dunkerque aussi. Mais Tenet n'a au final pas l'évidence d'Inception, ou la forme épurée de Dunkerque, décidément l'un de ses meilleurs films. Nolan ne parvient ici jamais à traduire clairement, en termes de cinéma, l’idée métaphysique au coeur de son film. Même après l'avoir exposée en long, en large et en travers. On est toujours paumés, sans jamais éprouvé le plaisir de la dissolution au sein d'un labyrinthe, comme il nous perdait dans les architectures impossibles d'Inception. Notre regard est perdu, et pas captivé, par le principe du "reverse" sur lequel est bâti le film. L'image ne suit pas, n'illustre pas la parole. La théorie, mais pas l'exemple. Le gimmick, mais le cinoche ?

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Le meilleur du film est alors à chercher ailleurs. Robert Pattinson (absolument génial) incarne un sosie de Nolan, espion trouble diplômé de physique qui annonce, organise et met en scène les climax spectaculaires -en IMAX évidemment- qui ponctuent le film et doivent garantir aux spectateurs d'en avoir pour son argent. N'en dévoilons pas trop : signalons juste aux producteurs hollywoodiens que planter un boeing grandeur nature dans un vrai bâtiment ne semble pas plus onéreux que de créer la cascade à l'aide d'une horde d'artistes numériques, d'autant que le résultat est beaucoup plus satisfaisant. Là, Nolan réussit son coup : on ressent "l'excitation face à un divertissement à grande échelle", la joie pure de la destruction, le frisson du réel. Le reste du temps, Tenet se repose un peu trop sur les effets du cinéaste, qui n'ont sûrement jamais été aussi visibles : montage alterné, ronde de steadycam... Mais John David Washington représente un nouveau souffle formidable dans son cinéma, en incarnant un héros plus cool qu'à l'accoutumée, qui s'amuse à faire du saut à l'élastique à l'envers et à mettre KO les seconds rôles à l'aide de punchlines bien senties.

Tenet, une révolution de cinéma, un sommet ? Non. Mais un blockbuster, souvent spectaculaire, mais plus bavard et classique que prévu : au fond, Tenet est profondément nolanien. En sortant, on se souvient qu'un certain film de Tony Scott avec Denzel Washington (père de John David Washington, tiens donc) avait déjà exploré les mécanismes de Tenet : un film qui tordait les règles du temps -et du blockbuster hollywoodien- et qui s'appelait, ça ne s'invente pas, Déjà vu.

Tenet : tentative d’explication et éléments de réponse sur le scénario (spoilers)