Chris Pratt, Chris Evans, Paul Rudd ou Kumail Nanjiani ont transformé leur corps en acceptant de jouer un super-héros. Pour le meilleur et pour le pire ?
Au sein du livre MCU : The Reign of Marvel Studios, qui relate les coulisses des quinze premières années du Marvel Cinematic Universe, les auteurs Joanna Robinson, Dave Gonzales et Gavin Edwards donnent évidemment la parole au producteur Kevin Feige, le cerveau de la construction globale de cette saga. Sarah Halley Finn, la directrice de casting embauchée dès Iron Man, en 2008, pour choisir les interprètes de tous les super-héros et de leurs adversaires au sein de la franchise, détaille elle aussi sa façon de travailler. Comment a-t-elle choisi Chris Evans pour Captain America, pourquoi a-t-elle hésité entre Tom Hiddleston, Chris Hemsworth et son frère Liam pour le rôle de Thor ? Comment a-t-elle imposé Robert Downey Jr. et Scarlett Johansson en Iron Man et Black Widow ? Pourquoi a-t-elle dû tant insister pour que James Gunn auditionne Chris Pratt ? Elle livre des tas de secrets sur ses méthodes de casting.
Parmi les nombreuses anecdotes et révélations du livre, le trio de journalistes met aussi le doigt sur des sujets qui fâchent. Comme le fait de proposer des contrats de neuf films aux comédiens, par exemple, puis de leur imposer des régimes alimentaires et des entraînements physiques importants, sur une longue durée, pour obtenir une musculature de super-héros spectaculaire et la conserver ensuite de film en film.
"Heureusement, ce n'est pas mon boulot (de superviser la transformation des acteurs choisis pour jouer des super-héros, ndlr), commente Finn, relayée par Vanity Fair, qui a tiré un article particulièrement dense de cet ouvrage. Moi, je suis chargée de choisir la personne qui saura incarner un personnage. Leur apparence est due à quelqu'un d'autre. Mais je dirais que cela participe au processus, non ? Il faut accepter de se soumettre à une certaine rigueur, il faut avoir cela en vous."
Plusieurs stars de chez Marvel reviennent alors sur les difficultés qu'ils ont rencontrées en suivant ce type de régime couplé à des séances de sport intensives. La question de la prise de stéroïdes pour obtenir rapidement des "musculatures parfaites" est aussi évoquée.
Chris Hemsworth dans Thor : Ragnarok (2017).
De grands pouvoirs impliquent de grandes musculatures
"S'ils ne sont pas réels, les super-pouvoirs doivent fonctionner de la manière voulue par leurs créateurs, que ce soit dans les comics ou leurs adaptations au cinéma : c'est un choix délibéré d'affirmer que de grands pouvoirs impliquent de grandes musculatures.
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Au cours de son histoire, Hollywood a vendu le corps des femmes aux spectateurs. De jeunes actrices se sont affamées et ont modifié leurs corps par la chirurgie esthétique pour essayer d'atteindre des idéaux de beauté impossibles. Les studios Marvel n'ont pas proposé les premiers films à mettre en avant le corps des hommes, mais le fait de ciseler leurs super-héros de plus en plus, d'un blockbuster à l'autre, a participé à créer un monde dans lequel la forme d'un homme est aussi malléable que celle d'une femme. Et présenté de façon routinière comme un objet de fantaisie. Comme le Dr. Abraham Erskine avec son sérum de Super Soldat (une référence à Captain America, ndlr), Marvel a décidé qu'elle pourrait créer des êtres supérieurs de l'humanité et en tirer des bénéfices."
Le magazine Vanity Fair n'est pas tendre avec la firme en ce qui concerne l'image des super-héros qu'elle véhicule depuis quinze ans. Il faut dire que les exemples de transformations drastiques de corps de comédiens sont nombreux. Le plus frappant, Hugh Jackman en Wolverine, n'est pas cité ici puisqu'il a tourné ses adaptations de comics Marvel chez la 20th Century Fox, et non au sein du MCU. Mais la franchise a bien orchestré la transformation de nombreux acteurs en quinze ans.
Chris Hemwsorth raconte par exemple dans le livre sur le MCU avoir suivi un entraînement physique si intense à partir du moment où il a été choisi pour incarner Thor qu'il ne rentrait plus dans son costume quelques semaines plus tard, au moment des essayages. Ses bras étaient devenus si balèzes qu'il était trop serré et lui bloquait la circulation du sang. C'était en 2010, et John Krasinski, qui faisait des essais pour le rôle de Steve Rogers au moment où le comédien australien venait de se muscler pour jouer le Dieu de la foudre, a carrément complexé face à son corps transformé. "Je ne suis sans doute pas prêt pour ça", s'est-il dit en pleine audition.
Même constat pour Sebastian Stan, qui a signé pour neuf apparitions dans le rôle de Bucky Barnes/le Soldat de l'Hiver à partir de Captain America : First Avengers, sorti en 2011 au cinéma. "Je me sentais si mal à l'aise entouré de tous ces mecs si musclés, raconte-t-il à propos du tournage de Civil War, le troisième volet de la saga, sur les écrans cinq ans plus tard. J'ai commencé à soulever de la fonte vraiment lourde et à manger énormément. Je me souviens que quand je suis arrivé sur ce plateau, j'étais un peu plus costaud que sur le film précédent, Le Soldat de l'Hiver. Ma prothèse de bras était trop serrée, ça me bloquait la circulation du sang."
Chris Evans s'est publiquement plaint de son régime à base de riz et de blanc de poulet pour avaler un maximum de calories. Sa transformation en Captain America est spectaculaire, mais à quel prix ? "On doit manger tout le temps, littéralement, détaille-t-il ici. Vous pourriez croire que c'est sympa, mais ce n'est pas comme si on avalait des cheeseburgers. On doit manger ces blancs de poulet et du riz, sans assaisonnement. Après chaque repas, vous êtes si plein. C'est une sensation vraiment désagréable."
Certains acteurs expliquent en revanche avoir trouvé une meilleure hygiène de vie grâce aux régimes suivis pour leur films de super-héros. C'est le cas de Paul Rudd, choisi pour incarner Ant-Man, à partir de 2015. "Je crois bien que ça a changé ma vie, raconte-t-il. Ma façon de manger est différente. Ma manière de faire du sport, aussi. Je n'avais jamais vraiment fait attention au fitness, ni fait de régime, ce n'était pas un but dans ma vie. Aujourd'hui, je me sens vraiment mieux physiquement. La franchise m'a peut-être fait gagner quelques années de vie ?"
Robert Downey Jr. dans Iron Man 3, en 2013.
Avant de signer avec Marvel, Robert Downey Jr. a souffert de diverses addictions, et quand il est arrivé sur la saga, il était déjà sportif : il faisait déjà du yoga et des arts martiaux. Il faisait également attention à son poids, mais sur cette saga, il a commencé à prendre du muscle, même si Tony Stark n'est jamais aussi impressionnant physiquement que Thor ou Cap'. "Je me suis dit que j'allais être bien pendant 5-7 ans, puis qu'après ça, il y aurait bien des effets numériques assez modernes pour faire en sorte que je puisse avoir l'air plus beau", répond-il avec une touche d'humour. Il botte en touche, mais en revoyant des photos de la saga, on constate qu'il a lui aussi transformé son corps, par exemple pour Iron Man 3, sorti cinq ans après le début de la saga.
Pour Chadwick Boseman, disparu prématurément en août 2020, victime d'un cancer du colon à seulement 43 ans, le plus difficile fut de changer de poids et de musculature entre deux films. En pleine forme pour jouer Black Panther, puis plus maigre pour un autre rôle, avant de se remuscler. Ce qui demandait d'être suivi par un coach et un nutritionniste en continu, explique l'acteur qui est aussi apparu dans Captain America 3 ou Avengers 4 : "Même si vous changez de régime -disons que vous acceptez un plus petit rôle, puis que vous devez vous remsucler ensuite pour cette saga- il y a certaines choses que vous continuez de faire entre les tournages."
Aaron Williamson, un entraîneur sportif embauché notamment sur Les Quatre fantastiques ou Terminator Genisys, considère à ce propos : "Les acteurs veulent bluffer tout le monde. Ils feront tout pour avoir l'air 'super-humain'. Quelqu'un peut très bien être engagé pour un rôle 'normal', puis enchaîner avec un super-film, et se muscler à fond pour obtenir ce look dingue de super-héros. C'est impossible d'aller d'un extrême à l'autre sans aide."
Chris Pratt dans Les Guardiens de la Galaxie Vol.1, en 2014.
L'"exemple" de Chris Pratt
Quand Chris Pratt a été embauché pour incarner Star-Lord dans Les Gardiens de la Galaxie (sorti en 2014 au cinéma), la production lui a immédiatement fait rencontrer Philip Goglia, le nutritionniste phare du studio, et Duffy Gaver, l'un de leurs coachs sportifs. Car juste avant d'obtenir ce rôle de super-héros, le comédien avait pris du poids pour sa série comique Parks and Recreation. A peine avait-il signé qu'il devait manger 4000 calories par jour et boire un verre d'eau à chaque fois qu'il prenait un pound (un peu moins de 500 grammes). "Cette partie du régime, ce fut un cauchemar, se souvient-il. Je pissais toute la journée, pendant plusieurs jours d'affilée."
Associée à du sport quotidien, cette pratique a si bien marché que lors de la saison finale dans la peau d'Andy Dwyer, il n'a pu enlever son t-shirt tellement il avait changé d'apparence en peu de temps. "On a réalisé qu'on ne pouvait pas le faire, tout simplement, raconte Michael Schur, le showrunner de Parks & Rec. Andy, ce n'est pas un mec au corps parfait, il ne devait pas avoir ces abdos bien dessinés, ni ces biceps gigantesques !"
En préparant le premier opus des Gardiens, Chris Pratt a posté une photo de lui torse-nu, justement pour dévoiler au monde ses nouveaux abdos. "Six mois sans bière", a-t-il alors commenté le 7 juillet 2013. Et ce post a cassé internet. C'est la première fois dans l'histoire de Marvel qu'une transformation physique créait le buzz. Duffy Gaver n'en est pas peu fier. Il montre Pratt comme un exemple à ses autres clients, et commente : "Marvel engage des gens pour des années, donc ils veulent des personnes qui seront très disciplinées et qui se dévoueront pleinement. Quand je reçois un coup de fil pour entraîner un acteur chez eux, il a déjà passé un test de motivation pour en arriver là."
Une transformation rapide...
L'une des plus impressionnantes est celle de Kumail Nanjiani pour Les Eternels, en 2019. Elle fut également très rapide, ce qui pose la question de la prise de stéroïdes ou d'hormones pour accélérer le processus. "Je garderai mes opinions pour moi, réagit l'un de ses collègues anonymement, mais oui, il est vraiment balèze. Incroyablement musclé."
Dès 2013, le Hollywood Reporter tirait la sonnette d'alarme à ce sujet en expliquant que l'utilisation de stéroïdes était "le secret le moins bien gardé d'Hollywood." Le professeur Todd Schroeder, qui travaille justement sur ce thème au sein d'une université de biologie californienne, estime dans le livre sur le MCU qu'au moins la moitié des acteurs de Marvel ont consommé des drogues pour obtenir les physiques qu'ils voulaient. "Au moins sur le court terme, précise-t-il. Je dirais qu'il y en a entre 50 et 75%."
Interrogé sur la prise de produits stupéfiants pour augmenter une musculature rapidement dans le milieu du cinéma, il ajoute : "De nos jours, c'est plutôt bien accepté, et si c'est fait sous la supervision d'un médecin, encore plus. Beaucoup de comédiens n'en parleront jamais publiquement, mais ils travaillent avec un physicien, un nutritionniste et un coach sportif. Ils bossent en équipe. Ce ne serait pas malin pour un acteur de se lancer là-dedans tout seul. Le truc, c'est que vous pouvez prendre des stéroïdes, de la testostérone, différents androgènes ou hormones durant une période courte sans que cela ait d'effets secondaires de longue date sur votre corps. Ce n'est pas comme si vous alliez devenir accro." Sauf si, psychologiquement, le comédien aime tant sa nouvelle musculature qu'il va tout faire pour la conserver.
Et de longue durée !
Car l'un des dangers, en obtenant un corps de super-héros, serait de vouloir le conserver durant plusieurs années. Ce qui peut être le cas en signant des contrats de neuf films d'un coup. "C'est surtout difficile en vieillissant, ajoute le Dr. Schroeder. Comme pour Robert Downey Jr. vu tous les films qu'il a faits. Dans certains, il est en bonne forme physique, mais maintenir ce niveau-là, c'est un challenge. On vit dans un monde difficile, les gens attendent de vous une certaine apparence, qu'il faudra ensuite conserver. Je me sens mal pour les acteurs, surtout pour ceux qui acceptent un rôle chez Marvel pour de multiples films."
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