Le réalisateur de Blancanieves signe son premier film d’animation avec cette histoire d’amour aussi joyeuse que déchirante entre un chien et un robot dans le New- York des 80’s. Rencontre.
Qu’est ce qui vous a donné envie de vous aventurer pour la première fois sur le terrain de l’animation ?
Pablo Berger : Tout part vraiment de la découverte de Robot dreams, le roman graphique de Sara Varon. Je suis tombé sur lui en 2010, trois ans après sa publication et j’ai tout de suite adoré le style graphique, les personnages, l'humour qu'il y avait dans cette histoire d’amitié à rebondissements entre un chien et un robot qu’il a commandé pour rompre avec sa solitude. J’ai ensuite réalisé Blancanieves et Abracadabra mais quand j’ai commencé à réfléchir à ce que pourrait être mon quatrième long, je me suis replongé dans ce roman graphique. Et j’ai de nouveau accroché. Plus encore qu’à la première lecture ! En le refermant, je n'étais pas ému mais totalement bouleversé. C’est ce qui m’a définitivement décidé de me lancer dans cette grande aventure qu'est l'animation. Et j’ai eu la grande chance évidemment que des producteurs en Espagne et en France me suivent. Car le processus est forcément très long. Il a pris cinq ans !
Avec Blancanieves, vous vous étiez emparé du conte de Blanche- Neige dans un film muet et en noir et blanc. Et, de nouveau ici, Mon ami robot se passe entièrement de dialogues. On imagine que c’est tout sauf un hasard…
La période de cinéma qui me fascine le plus, c'est vraiment les années 20. Elle représente pour moi l'âge d'or du cinéma avec une poésie visuelle incroyable. Si je me suis lancé dans Blancanieves, c’est aussi parce que je sentais que la poésie de cette période était un peu oubliée. J’ai voulu la remettre en valeur. Et la réponse exceptionnelle du public m’a prouvé que je ne m’étais pas trompé. Pour moi, le cinéma constitue une expérience sensorielle, pas cérébrale. Aller au cinéma, c'est comme rêver éveillé. On voyage dans le temps, dans l'espace. Et ce qui compte en effet pour moi, c’est l’image. J’écris en images donc je peux me passer allègrement de dialogues. Mon ami robot a donc suivi la même logique.
Vous aimez aussi parsemer vos films de clins d’œil à d’autres films – en l’occurrence dans Mon ami robot, de Pierre Etaix au Magicien d’Oz – mais sans que cela ne vienne empiéter sur votre récit. Comment réussissez- vous à maintenir cet équilibre ?
Avant d'être un réalisateur, je suis un spectateur. Je dirai même que je préfère voir du cinéma qu’en faire. Parce qu’en faire, c'est épuisant ! (rires) Je vis à travers les films que je vois et c’est donc de manière naturelle que mon cinéma se nourrit de celui des autres. Mais je prends garde à ce que ces hommages ne prennent jamais le pas sur l’histoire. Ils constituent simplement des couches supplémentaires mais sans que ce soit gênant si on passe à côté. Prenez l’affiche de Yoyo qui se trouve dans l’appartement de Dog, le héros de mon film. Si vous connaissez et aimez Pierre Etaix, ça vous fera sourire. Mais si vous ne le connaissez pas, vous n’y verrez qu’une affiche avec un clown qui sourit et ça ne gêne en rien votre compréhension du personnage ou de l’intrigue. J’ai vraiment imaginé Mon ami robot comme un film tout public, pour petits et grands, pour cinéphiles ou béotiens en septième art. Je déteste compartimenter les choses, je n’ai aucun esprit de chapelle. Je veux parler à tout le monde !
MON AMI ROBOT: LE FEU D'ARTIFICE EMOTIONNEL DE LA FIN 2023 [CRITIQUE]
Pourquoi avoir situé l’action dans le New- York de 1982 alors que le roman graphique ne précisait ni lieu, ni époque précis ?
J’ai vécu dix ans à New- York où j’ai suivi un master de réalisation à la Tisch School of the Arts. Et l'appartement de Dog est la réplique exacte du dernier appartement dans lequel j'ai vécu. Ce qu'on voit par la fenêtre, c'est ce je voyais. Mon ami robot est donc aussi ma lettre d’amour à New- York et à tout ce que j’ai pu y vivre. J’ai voulu replonger dans ce New York des années 80 et 90 qui n'existe plus. Pré- globalisation. Pré- internet. Dans ce quartier de l’East Village où nous étions de nombreux artistes à vivre, à aller dans les mêmes bars, à fréquenter les mêmes concerts, ce qui poussait à des collaborations. Alors qu’aujourd'hui, tout nous pousse à vivre chacun chez soi. Avec Mon ami robot, j’ai voulu ressusciter ce New- York- là et la musique variée que j’entendais dans la rue dès que je sortais de chez moi : des airs cubains au punk rock en passant par le hip hop. Avec comme cerise sur le gâteau, September du groupe vraiment phare de la disco funky de ces années- là, Earth wind and fire. Elle commence par « Do you remember 21st night of september ? ». Quoi de mieux pour symboliser le voyage dans le temps et l’espace que propose Mon ami robot ?
Qu’avez- vous trouvé le plus complexe dans cette première aventure sur le terrain de l’animation ?
Monter et gérer deux studios d'animation, l’un à Madrid et l’autre à Pampelune, avec une centaine de personnes à diriger. Mais je dirai que le plus excitant, pour mon directeur artistique Jose Luis Agreda et moi, a aussi été… de travailler avec eux pendant plus de deux ans. Je ne suis pas un technicien ou un expert en animation, donc j’ai parlé à ces animateurs comme je parle à des acteurs. Et eux ont su traduire mes mots en images et m’ont permis de faire des choses que je n'avais jamais faites avant. Comme si tous mes films précédents avaient été une préparation à ce que j'ai découvert là. Dans Mon ami robot, j’ai pu tourner une scène de comédie musicale à la Busby Berkeley ou encore une course de traîneau à la James Bond ou à la Ben-Hur… Ca, je n’aurais jamais pu le faire dans un film en prise de vues réelles. Avec Mon ami robot, j’ai vécu un rêve éveillé !
Mon ami robot. De Pablo Berger. Durée : 1h51. Sortie le 27 décembre 2023.
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