L’autrice de BD passe pour la première fois à la réalisation avec le savoureux Playlist. Elle nous raconte ce qui l’a conduite vers le septième art.
Comment est née chez vous le goût du cinéma ?
Nine Antico: Très jeune est d’abord née chez moi l'envie d'être illustratrice pour enfants. Puis vers 16 ans, j'ai reçu une sorte de coup de poing grâce à Marlon Brando dans Un tramway nommé désir. Mon père, cinéphile, avait pas mal de K7 vidéo de vieux films. Cet été- là, je m'étais engueulée avec une bande d'amis et je me suis retrouvée à piocher dans ces K7. C'est le titre qui a dû m'attirer. Et ce fut sidérant pour moi de découvrir qu'un film en noir et blanc pouvait véhiculer une telle sensualité, une telle sexualité. Ca m’a conduite à découvrir Sur les quais du même Elia Kazan et d'autres adaptations de Tennesse Williams comme La Chatte sur un toit brûlant avec Paul Newman. C'est la moiteur au coeur de ses oeuvres qui m'a fascinée. J'ai alors commencé à lire des bouquins sur les acteurs de cette époque. Puis j'ai fait une fac de cinéma à Saint- Denis pendant un an. Je n'allais pas aux examens car je n'avais plus le goût d'être notée. Mais j'ai adoré me retrouver dans des salles noires à 8 heures du matin et bouffer du cinéma. Par contre, j'étais frustrée qu'on ne nous propose rien côté fabrication de films.
Comment avez- vous comblé ce manque ?
En était serveuse à Pizza Hut ! Car j 'ai fait la connaissance d'un autre serveur plus âgé que moi qui réalisait des courts métrages. C'est grâce à lui que je me suis retrouvée à bosser sur des courts, en faisant un peu tout. Ca a été une deuxième claque. Car tous les bras cassés que nous étions avions la volonté de faire des choses ensemble. Et cela m’a même conduit à réaliser un court que je n'ai jamais monté, inspiré du Goût des autres, Semblant de rien autour de la gêne d'un homme et d'une femme qui se retrouvent dans un café après des années d'éloignement et plus précisément de la gêne de cette femme quand elle découvre que l'homme en question n'a désormais plus qu'un bras qui ne sait pas comment réagir
Mais le dessin va ensuite reprendre le dessus sur le cinéma...
Oui, j'avais boudé le dessin à chaque échec à rentrer dans une école d'art mais à chaque fois le désir de dessiner revenait. Et je me suis dit que si je me concentrais sur le dessin, le cinéma aussi reviendrait. Pas forcément d'ailleurs en tant que réalisatrice car ce que je voulais c'était avant tout être sur le tournage et faire partie d'une équipe.
Et comment a-t’il fini par revenir ?
Grâce au producteur Thomas Verhaegue, alors associé à Alain Benguigui dans Sombrero Productions. Thomas est venu me voir au moment où je publiais une de mes BD, Girls don't cry, pour me proposer son adaptation et me demander si j'avais envie d'écrire le cinéma. Je lui ai répondu que oui j’avais envie de faire du cinéma mais pas en adaptant une de mes BD. Car quand je pense une histoire en BD, c’est parce que je trouve qu’il s’agit la forme la plus adaptée pour elle. Sans compter que les personnages de Girls don't cry avaient la vingtaine alors que j'avais envie d'aborder des personnages à l'aube de la trentaine. Mais avec Thomas et Alain, on a commencé à se voir régulièrement et échanger. Ils m'ont demandé pour qui j'aimerais écrire. Et spontanément, je pensais à des cinéastes qui sont aussi auteur et n'ont donc pas besoin d'une scénariste. Ils m’ont alors proposé de réaliser moi- même. Et longtemps je dis non. Par peur de mal faire. Par manque de légitimité. Et puis je vais commencer par réaliser un court métrage Oui, énormément, un manque de légitimité aussi. Mais j'ai fini par leur dire oui. J'ai d'abord réalisé un court métrage, Tonite, en 2012 avant de ma lancer dans l’écriture de Playlist.
PLAYLIST: UN PREMIER LONG LUDIQUE ET DRÔLE [CRITIQUE]
Qu'est-ce-que ce que ce court métrage vous a apporté ?
Je pensais qu’il allait me convaincre soit de continuer soit d'abandonner. Et ce ne fut pas vraiment le cas. J'avais l'impression d'avoir été appliquée, sérieuse. Je n'avais pas malaxé mon sujet comme je peux le faire en BD. J’étais donc un peu frustrée. Mais ce qui m'a aidé pour me décider à continuer, ce sont des amies proches, la monteuse Carole Le Page avec qui j'ai fait mes deux courts, la chef opératrice Julie Conte avec qui j'en ai co- réalisé un autre auto- produit... C'est savoir que je voulais travailler avec elle qui m'a poussé à passer au long. Thomas qui s'est ensuite associé à son frère Mathieu pour créer leur société Atelier de Production ont compris comment je fonctionnais et ma méfiance qu'on me demande de faire des choses qui ne sont pas moi. Alors que la BD est très autonome. Je ne voulais pas me décevoir et décevoir ceux qui aiment mon univers. Je ne voulais pas gâcher cette chance démente de faire un film. Je voulais en profiter car je pensais qu'il n'y en aurait qu'un.
Ca se traduit comment concrètement ?
Tout le long de l'écriture, j'avais pleinement conscience que j'allais moi- même réaliser ce film. Chaque scène devait donc être à ma hauteur de mon envie bien sûr mais aussi de ma capacité à la faire exister. Je ne sais faire que des choses dont j'ai très envie. Au début, l’histoire de Playlist était moins proche de moi. J'avais commencé par une co-écriture et je pense que c'était un mauvais calcul. J’ai donc rapproché cette histoire de moi pour la rendre plus viscérale quand je m'en suis réemparée. J'ai bossé dessus pendant plusieurs années en donnant d'abord la priorité aux BD jusqu'au moment où j'ai commencé à voir que je tenais quelque chose. Quand j'ai compris que j'ai eu envie de parler de cette période entre 20 et 25 ans que j'ai vécue comme enragée et que j'ai reportée pour que ce soit plus "dramatique" à la petite trentaine. Ce truc de vouloir percer dans un milieu artistique en se demandant, après de multiples portes fermées, si on continue ou on arrête dans l'inconnu. Le tout accompagné d'une quête de l'amour. C'est une période où j'ai été très fonceuse pour avancer alors que tout était bancal. Où l'on vit des petites blessures et des petites cicatrices. C'est ce que je raconte dans Playlist.
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