Mourir peut attendre
Eon Productions

Comment dire adieu à 007 ? A l’occasion de la sortie de Mourir peut attendre, retour sur la façon dont les interprètes successifs de James Bond ont géré (ou pas) leur départ de la franchise.

George Lazenby – Au service secret de sa Majesté (1969)

L’état du Bond
Un cas unique dans l’histoire de la saga. George Lazenby est le seul interprète de 007 dont le premier film soit aussi le dernier – sauf si on décide de prendre en compte le David Niven du Casino Royale parodique de 1967, ou l’oublié Barry Nelson, le tout premier James Bond de l’histoire, dans le téléfilm Casino Royale de 1954. Héritant à la fin des sixties de l’impossible mission de succéder à Sean Connery, George Lazenby va débarquer dans l’univers bondien comme un chien dans un jeu de quilles. Playboy et mannequin australien dont la seule véritable expérience dans l’art dramatique se résume à des pubs pour des barres chocolatées, le débutant de 29 ans a largement exagéré ses capacités d’acteur et d’athlète lors du casting. Au cours du tournage, ses relations avec le réalisateur Peter Hunt et les producteurs Saltzman et Broccoli vont rapidement se détériorer. Au moment de la sortie du film, Lazenby a déjà tourné la page – il débarque à la première du film barbu, mal embouché, et fait remarquer aux journalistes que James Bond est un dinosaure dans le monde du flower power. « Bond est une brute. Il est déjà loin derrière moi. Je ne le jouerai plus jamais. Peace man – c’est le message désormais ! ». Lazenby, en fait, n’était pas prêt pour le succès. « Ça paraît quand même très difficile, en fait impossible, de passer de l’anonymat total au fait de jouer le personnage le plus célèbre du moment sans problème », analysera plus tard Barbara Broccoli.

L’état de la franchise
Sorti en décembre 69, Au Service Secret de Sa Majesté est un semi-échec. Le film semble écartelé entre le souvenir de Connery et l’intronisation de Lazenby, entre son ton romantique audacieux et ses incursions méta (la fameuse réplique : « Ce ne serait jamais arrivé à l’autre gars »). Les spectateurs sont décontenancés. Comme le résumera Vic Armstrong, cascadeur et doublure de Lazenby : « Le public avait besoin d’un agneau sacrificiel. Avec n’importe qui d’autre dans le costume, ça aurait été pareil : on l’aurait haï de la même manière. ». Que faire après ça ? Broccoli et Saltzman vont devoir sortir leur chéquier pour convaincre Sean Connery de renfiler le smoking de l’espion.

Au Service Secret de sa majesté
MGM

Sa dernière réplique
« There’s no hurry, you see. We have all the time in the world. » (« Rien ne presse. Nous avons l’éternité devant nous. ») La réplique la plus déchirante de toute la saga. 

Et après ?
Parti en claquant la porte, le punk Lazenby va passer sa vie à s’en mordre les doigts, apparaissant régulièrement dans des rôles de simili-007 (notamment dans le téléfilm Le retour des agents très spéciaux, en 1983). Aujourd’hui, il continue d’entretenir la légende, sur Twitter ou dans le documentaire Becoming Bond. Grandement aidé par le fait qu’Au Service Secret de Sa Majesté soit passé au fil du temps du statut de canard boiteux de la saga à pépite adorée des puristes (Christopher Nolan en tête), véritable pierre angulaire du mythe 007. Sean Connery et Roger Moore n’étant plus là, Lazenby est devenu contre toute attente une sorte de gardien du temple, le dernier lien direct avec l’âge d’or. Il n’est certainement pas le meilleur Bond, mais son « Bond » à lui est l’un des meilleurs. C’est peut-être à ça qu’il pensait quand il disait qu’il avait « all the time in the world. »

Sean Connery – Les Diamants sont éternels (1971)

L’état du Bond
Sean Connery est tellement fort qu’il a carrément trois « derniers » Bond à son actif. On ne vit que deux fois, d’abord, en 1967, quand il abandonne le rôle une première fois, par lassitude et par peur d’être identifié à vie au personnage. Il y aura aussi le Bond « pirate » de 1983, Jamais plus jamais, qui le verra perdre la bagarre du box-office contre le Roger Moore d’Octopussy. Mais son dernier Bond canonique, c’est Les Diamants sont éternels, en 71, où il apparaît moumouté, légèrement empâté, franchement désinvesti. La magie des débuts s’est envolée.

L’état de la franchise
George Lazenby n’ayant pas convaincu, Sean Connery revient sauver les meubles mais repart aussi sec. Après huit films et deux interprètes, on se pose en 1971 la même question qu’en 1967 : James Bond peut-il survivre à Sean Connery ?

 

LES DIAMANTS SONT ETERNELS ; DIAMONDS ARE FOREVER (1971)
PRODUCTION / DANJAQ / EON PRODUCTIONS

Sa dernière réplique
Dans On ne vit que deux fois, Bond/Connery, dans un canot de sauvetage au milieu du Pacifique, rassure sa fiancée du moment : « Ils ne nous trouveront pas ici » – juste avant que le sous-marin du MI6 n’émerge de sous les flots. Belle allégorie de ce qui arrivera à l’acteur : Connery, malgré ses désirs d’évasion, finira lui aussi par reprendre du service… Dans Les Diamants sont éternels, c’est la Bond girl Jill St John qui a le dernier mot. Sean se rattrapera dans Jamais plus jamais : à Rowan Atkinson, qui lui demande de revenir bosser pour M, il répond : « Plus jamais ! ». « Jamais ? », demande Kim Basinger. Puis Sean l’embrasse virilement avant d’adresser un petit clin d’œil à la caméra, laissant la porte ouverte à d’autres aventures (qui n’auront jamais lieu).

Et après ?
Modèle pour tous les acteurs qui veulent jouer James Bond, Sean Connery est aussi le modèle pour tous les acteurs qui veulent survivre à James Bond. Il passa en effet trois décennies post-007 à enchaîner les chefs-d’œuvre (L’Homme qui voulut être roi, A la poursuite d’Octobre Rouge…) et les rôles iconiques (dans Highlander, Le Nom de la Rose, Les Incorruptibles…), s’offrant une seconde carrière aussi flamboyante et populaire que la première. On ne vit que deux fois, en effet.

 

Roger Moore – Dangereusement vôtre (1985)

L’état du Bond
Trop. Vieux. La plupart des critiques de Dangereusement vôtre en 1985 ne parlent que de l’âge du Commander – 57 ans au moment du tournage (soit cinq de plus que Connery pendant celui de Jamais plus jamais et six de plus que Daniel Craig sur celui de Mourir peut attendre). C’est vrai que James Bond commence à avoir du mal à lever la patte et que ses briefings avec M et Q ont des airs de réunions du club de bridge (ce sera d’ailleurs également le dernier Bond de Lois « Miss Moneypenny » Maxwell, après 23 ans de Bond et loyaux services). Roger Moore quitte officiellement ses fonctions le 3 décembre 1985, quelques mois après la sortie du film. « J’avais à peu près 400 ans de trop pour le rôle », résumera l’intéressé plus tard.

L’état de la franchise
En douze années de classe rigolarde et de flegme à toute épreuve, Roger Moore aura réussi à prouver qu’il y avait une vie pour Bond après Sean Connery. Mais la franchise fait quand même face à l’inconnu : le film s’achève avec la mention « James Bond reviendra » mais, pour la première fois, sans préciser le titre du film suivant. Suspense…

Dangereusement Votre
Eon Productions

Sa dernière réplique
James Bond est porté disparu, Miss Moneypenny est en larmes. Mais tout va bien en réalité : le super espion est en train de prendre une douche avec Tanya Roberts. Et ça donne, en VF :

  • « Voilà la petite savonnette, qui monte, qui monte. Flûte, elle m’échappe ! »
  • « Je la rattrape, James. »
  • « ça, c’est pas la savonnette… »

La grande classe. Allez, envoyez Duran Duran !

Et après ? Après avoir été Ivanhoé, le Saint, Lord Brett Sinclair et 007, Sir Roger Moore peut passer ses années post-Bond à se reposer sur ses lauriers, cachetonner sans complexe et régaler la bondophilie mondiale de ses souvenirs, bons mots et pensées diverses – « Sean était un killer, moi, j’étais un lover. » 

 

Timothy Dalton – Permis de tuer (1989)

L'état du BondDès 1968, alors qu'il n'a qu'une vingtaine d'années, Timothy Dalton tape dans l'œil du producteur de James Bond, Albert Broccoli. Sean Connery est encore la star de la franchise, pour quelques mois encore. Dalton, lui, s'apprête à tourner son premier rôle important au cinéma, dans Marie Stuart, reine d'Écosse (1971). Mais quand l'entourage de 007 le contacte concrètement pour reprendre le job, il décline : "Je ne voulais pas succéder à Sean Connery. Il était beaucoup trop bon, il était merveilleux. Et j'étais trop jeune à cette époque", avouera-t-il plus tard. Il faudra donc une quinzaine d'années pour que le Gallois dise enfin oui. Nous sommes en 1986. Roger Moore n’est plus au service de Sa Majesté. Pierce Brosnan, alors favori n°1 pour le job, est déjà pris contractuellement par sa série Remington Steele. C'est l'heure de Timothy Dalton. Il devient officiellement l'espion britannique en 1987, dans Tuer n'est pas jouer. L’acteur, qui est avant tout un comédien de théâtre qui incarne Marc Antoine dans des pièces du West End, veut revenir à des intrigues plus réalistes, moins fantasques. Mais son 007 plus sombre et torturé va avoir du mal à s’imposer. L'aventure va vite s’arrêter, après deux années et deux films seulement. Permis de tuer, en 1989, est déjà son dernier James Bond.

L'état de la franchise
En fait, Permis de tuer sera le dernier Bond de beaucoup de monde : ce 16ème film de la franchise est le cinquième et dernier réalisé par John Glen, mais aussi le dernier avec les acteurs Robert Brown (dans le rôle de M) et Caroline Bliss (dans le rôle de Miss Moneypenny). Permis de tuer marque aussi l'ultime participation du scénariste historique Richard Maibaum et est surtout le dernier James Bond d'Albert R. Broccoli, qui meurt en 1996. Au-delà des critiques autour du virage réaliste pris par la saga, en coulisses, c'est un litige juridique qui oppose Eon Productions et la MGM. L'opus suivant est ainsi repoussé de six ans, permettant aux rumeurs de circuler allègrement sur le remplacement de Timothy Dalton, qui approche alors la cinquantaine. En avril 1994, il refuse officiellement de reprendre le rôle, laissant la place à Pierce Brosnan.
 

DR

Sa dernière réplique
Lorsqu'il tourne Permis de tuer, Dalton ne sait pas encore qu'il s'agira de son dernier James Bond. Pourtant, le script regorge de clins d'œil aux adieux. C'est en effet l'un des rares James Bond où 007 agit en dehors du MI6, en mission solo pour venger la femme assassinée de son ami, l'agent de la CIA Felix Leiter. Un opus dans lequel Bond donne sa démission à M avec cette réplique hommage à Fleming : "Ça sera donc... un adieu aux armes". Mais la toute dernière phrase de Timothy Dalton dans la peau du personnage est prononcée dans une piscine. Alors qu'il vient de buter le drug lord Franz Sanchez, il plonge pour retrouver les bras de la belle Pam Bouvier (Carey Lowell). Il l’embrasse sans attendre, avec passion, mais elle se recule et lui lance :  "Vous pourriez au moins attendre qu'on vous le demande !" Et Bond de rétorquer avec son assurance habituelle : "Alors pourquoi ne me le demandez-vous pas ?" Un ultime baiser fougueux, et rideau.

Et après ?
Oublié par le cinéma dans les années 1990, Timothy Dalton est rapidement retourné au théâtre. Malgré des apparitions dans Les Looney Tunes passent à l'action ou Hot Fuzz, c'est surtout le petit écran qui a redonné du souffle à sa carrière. L'acteur britannique a fait un passage remarqué dans plusieurs séries, de Doctor Who à Doom Patrol, en passant par Chuck ou Penny Dreadful. Souvent dans le rôle du vieux sage, usé par ses années sur le terrain, mais au flegme toujours aussi conquérant.

 

Pierce Brosnan – Meurs un autre jour (2002)


L'état du Bond

Juin 1994 : Pierce Brosnan porte la barbe lorsqu’il est révélé comme le visage du prochain James Bond. Le public le connaissait surtout pour la série télé Remington Steele – et pour avoir été l’infect rival de Robin Williams dans Mrs Doubtfire. Il est engagé après que Liam Neeson, Hugh Grant ou encore Mel Gibson ont refusé le job… et il fait faire à 007 un come-back retentissant avec GoldenEye, qui remet la franchise en pleine forme. Suivront Demain ne meurt jamais et Le Monde ne suffit pas, des Bond en fin de compte très classiques où Brosnan peine à exister face à des JB Girls fabuleuses comme Michelle Yeoh, Sophie Marceau et surtout Judi Dench, qui prend le contrôle du MI6. C’est qui la patronne ?

L'état de la franchise

Pour fêter les quarante ans de la franchise, Meurs un autre jour veut lancer James Bond dans le 21ème siècle, en tentant de se mesurer à Matrix et Mission : Impossible 2. Mais dès l’ouverture (le gun barrel pimpé d’une balle en 3D, 007 qui fait du surf…), on entre plutôt dans un monde d’excès en tous genres qui rappelle le pire de la carrière de Roger Moore. Dernier Bond pour le cascadeur et réalisateur deuxième équipe Vic Armstrong, Meurs un autre jour démarre sur une chanson de Madonna en mode full vocoder et déborde de gadgets, de décors et d’engins improbables. A l’arrivée, on dirait que la production s’est autant inspirée de Moonraker que de xXx avec Vin Diesel (Lee Tamahori signera d’ailleurs trois ans plus tard xXx 2 : The Next Level). Ceci dit, le film cartonne : Meurs un autre jour est le sixième plus gros succès mondial de l’année 2002, derrière une série de poids lourds (Les Deux Tours, Harry Potter et la Chambre des secrets, Spider-Man, L’Attaque des clones et Men in Black II). Mieux, le film réalise les meilleures recettes de l’histoire de la franchise ! Ça n’empêchera pas la production de sentir que le vent avait tourné. En décembre 2002, on annonçait Jinx, un spin-off de Meurs un autre jour consacré au personnage de Halle Berry, une espèce de "JO d’hiver de la franchise Bond" qui fut annulé en octobre 2003 (personne ne voulait mettre de fric dans un film d’action avec une héroïne noire, d’après Halle Berry). Les temps avaient changé. Les triomphes de La Mémoire dans la peau et de la série 24 établissaient un nouveau type de héros d’action. En 2005, le succès de Batman Begins lançait la mode des origin stories. Bond était prêt à se rebooter…

Meurs un autre jour
Eon Productions

Sa dernière réplique

Jinx et 007 viennent de tout faire péter, et font des choses érotiques sur un tapis de débris et de diamants - Bond glisse d’ailleurs des pierres précieuses dans le nombril de Jinx. C’est l’occasion de dialogues à sous-entendus bien lourdauds, qui s’achève par cet échange : "Je suis très bonne. - Surtout quand tu es vilaine." ("I’m so good. - Especially when you’re bad.") Générique. Sans commentaire. 

Et après ?

Début 2004, Pierce Brosnan est aux Bahamas en train de tourner Coup d’éclat, où il incarne un élégant cambrioleur pourchassé par le FBI. Pierce reçoit le coup de téléphone fatal. "Mes agents m’ont appelé pour me dire que les négociations avaient été stoppées. Ils m’ont dit : « Les producteurs Barbara Broccoli and Michael G. Wilson ne sont pas sûrs de ce qu’ils veulent. Ils te rappelleront jeudi prochain »", se rappelle l’acteur dans un livre de 2015 consacré aux making of des films 007. "Je me suis posé dans le bungalow bahamien de Richard Harris, et Barbara et Michael m’ont rappelé pour me dire qu’ils étaient désolés, Barbara pleurait, Michael est resté de marbre en disant : "Tu as été un super James Bond. Merci beaucoup." J’ai répondu : "Merci beaucoup. Au revoir." Et voilà, c’était terminé. J’étais dans un état de choc. La façon dont ça s’est passé m’a foutu en l’air." Depuis, Brosnan vit plutôt bien avec l’ombre de 007. Si l’on passe ses inévitables cachetons d’action où les producteurs recrutent un ex-00 plutôt qu’un acteur, il a épinglé quelques très beaux rôles à son CV, comme le méchant du Ghost Writer de Polanski, et l’un des bad guys du Dernier pub avant la fin du monde d’Edgar Wright.

 

Daniel Craig – Mourir peut attendre (2021)

L’état du Bond : 15 ans au service de 007, de la sortie de Casino Royale en 2006 à celle de Mourir peut attendre aujourd’hui. C’est plus que Connery, plus que Moore, plus que n’importe qui – pas mal pour un acteur qui débarquait dans le rôle en disant : « Il paraît que les double 0 ont une espérance de vie limitée ». Raccord avec sa réinvention du personnage en butor masochiste qui casse les murs et broie du noir, Craig aura passé ces dernières années à dire qu’il en avait ras-le-bol de son job. 007 Spectre, déjà, devait être le dernier. Ce sera finalement Mourir peut attendre – un film dont l’enjeu numéro 1 est la manière dont Craig va prendre congé du personnage.

L’état de la franchise : En attendant la réponse du box-office à Mourir peut attendre, on peut affirmer que James Bond, pendant le run de Craig, n’aura été jamais été aussi puissant et fantasmatique que depuis l’ère Sean Connery. Casino Royale reste le reboot suprême dans un monde avide de prequels et d’origin stories, et Skyfall vient désormais chatouiller Goldfinger dans les classements des meilleurs James Bond de tous les temps. Daniel Craig s’en va, OK, mais il ne fait aucun doute que James Bond reviendra.

Mourir peut attendre
Universal Pictures

Sa dernière réplique : #SpoilerDoitAttendre

Et après ?
Daniel Craig est le seul Bond de l’histoire à quitter la franchise avec une autre incarnation déjà fixée dans l’esprit du grand public. Le deal signé avec Netflix pour les deux suites d’A Couteaux Tirés fait qu’on sait déjà où, quand et dans quel costume on va retrouver l’acteur : désormais, son nom sera Blanc, Benoit Blanc.