A l’occasion de sa diffusion ce soir sur Arte, retour sur ce que nous avait confié la réalisatrice pour la sortie de son adaptation du livre de Thomas P. Cullinan
"Jamais". Telle fut la réponse de Sofia Coppola à sa directrice artistique Ann Ross quand celle-ci lui a suggéré de se lancer dans un remake des Proies de Don Siegel. Pour une réalisatrice à la légitimité souvent contestée, il n'y avait en effet sur le papier que des coups à prendre e. Mais elle a eu l'audace de faire fi de ces obstacles. "En revoyant le film de Don Siegel, j'y ai retrouvé quelque chose de Virgin suicides. Alors j'ai commencé à réfléchir à une manière de raconter cette histoire différemment." Pour cela, elle se replonge dans le roman de Thomas P. Cullinan, paru en 1966. Et y trouve la clé. Sa version des Proies reviendra à la source du livre : une intrigue racontée à travers le regard de ses personnages féminins, les pensionnaires et la directrice de ce pensionnat pour jeunes filles qui, alors que la guerre de Sécession fait rage dans la Virginie de 1864, demeure totalement en dehors des conflits. Logique pour celle qui n'aime rien tant qu'explorer l'éveil à la sensualité de femmes en des lieux où celle-ci est totalement réprimée. Alors, pour inscrire cette histoire dans sa propre histoire de réalisatrice, son adaptation se déleste de certains personnages (un esclave...) et se concentre sur les relations hommes-femmes en s'efforçant de tendre vers plus de naturalisme. "Dans le roman, la sexualité m'apparaissait montrée de manière trop hystérisée et étrange. J'ai cherché à connecter chaque personnage à une réalité."
Sofia Coppola n'a jamais envisagé ses Proies comme une oeuvre féministe. Mais en donnant les commandes du récit à ses personnages féminins, elle gomme le côté misanthrope du film de Siegel. "J'ai voulu créer à l'écran un groupe qui fasse planer une menace collective autant qu'individuelle en montrant comment chacune, en fonction de son âge et de sa personnalité, va séduire ce soldat esseulé et essayer de triompher de ses rivales". Pour cela, Les Proies joue avec les différents corps de ces héroïnes trahissant leur trouble grandissant impossible à formuler par des mots dans le monde cadenassé où elles vivent. Sofia Coppola confirme sa capacité à mettre en valeur des talents naissants (Angourie Rice, Addison Riecke, Oona Laurence), tout en écrivant un nouveau chapitre de son histoire commune avec Kirsten Dunst et Elle Fanning. Et en faisant rentrer dans son univers Nicole Kidman , avec en tête sa composition géniale en présentatrice météo manipulatrice dans Prête à tout.
Les Proies marque la première incursion de Sofia Coppola dans le film de genre. Avec son chef op' Philippe Le Sourd (nommé aux Oscars pour The Grandmaster de Wong Kar- wai), elle crée une atmosphère claustro à souhait. "Cette maison, personnage essentiel de cette intrigue, protège évidemment les personnages du monde extérieur en plein chaos à cause de la guerre de Sécession. Mais elle les enferme tout autant puisqu'ils ne peuvent pas s'en échapper." C'est donc tout sauf un hasard si, dans les rares plans d'extérieurs de ce huis clos, la nature apparaît écrasante de beauté. Ou si, hormis le personnage campé par Colin Farrell, on ne voit jamais les visages d'autres soldats filmés tels des ombres ou des fantômes. Comme toujours chez la réalisatrice, tout est plus suggéré que montré. Les scènes d'amour comme de violence.
À l'image de la B.O. de Phoenix, qui accompagne le récit au lieu d'en surligner les moments saillants, l'horreur ne se fabrique pas chez Sofia Coppola, elle s'insinue insidieusement. Cet art (délicat) de la discrétion élégante avait séduit le festival de Cannes, dont le jury présidé par Pedro Almodóvar lui a décerné le prix de la mise en scène lors de l’édition 2017
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