Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
LE DAIM ★★☆☆☆
De Quentin Dupieux
L’essentiel
Jean Dujardin est sous l’emprise d’un blouson en daim. Vous avez dit absurde ?
Fils caché de Bertrand Blier, des ZAZ et de Sam Raimi, le stakhanoviste Quentin Dupieux a réalisé sept films en douze ans. Sept films marqués du sceau de l’absurde, du gore et du grotesque qu’il décline avec l’amour et la précision de l’artisan -il cumule les postes de réalisateur, scénariste, chef op’ et monteur. Plus d’un film tous les deux ans, n’est-ce pas trop pour un seul homme, aussi talentueux soit-il ?
Christophe Narbonne
PREMIÈRE A ADORÉ
SILENCE ★★★★☆
De Masahiro Shinoda
Le Silence de Martin Scorsese n’était pas à proprement parler un remake. Plutôt une nouvelle adaptation du magnifique roman de Shusaku Endo (1966) racontant la traque de missionnaires jésuites dans le Japon du XVIIe siècle. En découvrant aujourd’hui seulement le film de Masahiro Shinoda (présenté au Festival de Cannes en 1972 mais resté inédit dans les salles françaises), on est pourtant frappé par la ressemblance entre les deux œuvres, leur évidente gémellité. Ça ne signifie pas que Scorsese a réalisé un copier-coller en cachette, non (il y a quelques différences de taille entre les deux films, notamment leurs conclusions), mais on comprend en les regardant en miroir que l’écriture d’Endo appelle inévitablement ce traitement-là : hiératique, impérieux, austère, radical, ultra-violent. Les « vrais » remakes signés Scorsese (Les Nerfs à vif et Les Infiltrés) étaient des exercices de style, ouvertement commerciaux, un rien cyniques. Ici, « Marty » cherchait plutôt à établir un dialogue avec son prédécesseur, prolongeant son geste, corrigeant certaines scories (le père Ferreira incarné par Liam Neeson en impose plus que Tetsuro Tanba, bizarrement grimé), amplifiant l’écho des interrogations immenses que Shinoda mettait en scène (la foi, le doute, la frontière entre résistance et collaboration, l’ambiguïté de l’héroïsme...). Une découverte indispensable pour les « scorsesophiles » enragés qui estiment, comme nous, que Silence est l’un des films les plus impressionnants de leur réalisateur italo-américain préféré.
Frédéric Foubert
PREMIÈRE A AIMÉ
NEVADA ★★★☆☆
De Laure Clermont-Tonnerre
L’an dernier sortait un remarquable documentaire, The Ride, qui suivait la chevauchée de cavaliers sioux sur la trace de leurs ancêtres massacrés par les Blancs. Quel(s) rapport(s) avec ce qui nous intéresse aujourd’hui ? Il y en a plusieurs : les chevaux, la relation à l’Americana, la nationalité française de la réalisatrice, Stéphanie Gillard, une femme elle aussi exilée aux États-Unis pour son premier film de cinéma... À l’aune de ce joli précédent, Nevada semblerait confirmer, sinon une tendance, une convergence de vues et de personnes.
Christophe Narbonne
TOLKIEN ★★★☆☆
De Dome Karukoski
Les réalisateurs de biopics courent après une chimère : rendre palpable à l’écran l’inspiration de l’artiste dont ils ont choisi de narrer la trajectoire. À ce petit jeu, Milos Forman avec son Amadeus a poussé les choses très loin, faisant de son modèle (Mozart donc !) l’œuvre en elle-même. L’homme Amadeus à l’écran était tout à la fois une symphonie, une sonate, un requiem... Dès lors que tout vibre en et autour de lui, pas besoin de dérouler la fiche Wikipédia pour se faire comprendre. À quoi ressemble ce J. R. R. Tolkien ?
Thomas Baurez
BUNUEL APRÈS L’ÂGE D’OR ★★★☆☆
De Salvador Simo
C’est un épisode méconnu de la vie de Luis Buñuel que l’Espagnol Salvador Simo a choisi de mettre en avant dans ce portrait d’un jeune homme, bon vivant et à l’humour cinglant, loin de l’icône sérieuse qu’il deviendra. Il est alors l’assistant de Jean Epstein, le compagnon des surréalistes, et faisait partie des artistes en vogue dans le Paris de la fin des années 20, où son Chien andaloului avait apporté la renommée. Jusqu’à ce que, soudain, L’Âge d’or jette l’opprobre sur lui : on lance des bombes dans un cinéma où le film est projeté, les mécènes qui ont produit le film, Charles et Marie-Laure de Noailles, sont menacés. En 1930, Buñuel devient un paria à Paris. L’immigré espagnol retourne chez lui et retrouve son ami le sculpteur Ramón Acín. Ensemble, ils projettent de filmer l’Espagne des laissés-pour-compte. Cela donnera Terre sans pain, un court documentaire sur les paysans démunis. C’est ce tournage que s’applique à raconter le réalisateur Salvador Simo, spécialiste des effets spéciaux et de l’animation, dont Buñuel après L’Âge d’or est le premier long. Terre sans pain sera un tournant dans la carrière du jeune Buñuel, façonnant sa vision d’artiste comme ses convictions politiques. Il va redécouvrir le sens de son travail dans sa terre natale. Simo intègre avec délicatesse des extraits du documentaire à son film. L’ensemble, très réussi, ravira les cinéphiles comme ceux qui connaissent mal Buñuel. Prix du jury au Festival d’animation de Los Angeles, il révèle un futur grand de l’animation espagnole.
Sophie Benamon
DIRTY GOD ★★★☆☆
De Sacha Polak
La Néerlandaise Sacha Polak avance ici en terrain miné tant, sur le papier, chaque scène ou presque de ce Dirty God pourrait basculer dans un voyeurisme misérabiliste. On y suit le quotidien façon parcours du combattant d’une mère d’une enfant de 2 ans, au visage défiguré à l’acide par son ex-compagnon. Et si Sacha Polak a tendance à se complaire dans une obsession naturaliste « sous-loachienne » inutile, l’essentiel se situe ailleurs. Dans la manière dont elle capte la libido intacte mais frustrée de cette battante souffrant de l’incapacité de satisfaire ses désirs, tant les regards portés par la quasi-totalité des hommes sur elle ne sont que gêne ou dégoût. Des moments intenses et troublants où son interprète, Vicky Knight (elle-même grande brûlée), donne la pleine mesure de son impressionnant talent.
Thierry Cheze
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
NOUREEV ★★☆☆☆
De Ralph Fiennes
Vouloir raconter la révolution qu’un artiste comme Rudolf Noureev a provoqué dans la danse, mais aussi ses années de formation et son enfance mouvementée relève de l’impossible. Ralph Fiennes, fasciné par la Russie, a relevé ce défi pour son troisième passage derrière la caméra après Ennemis jurés et The Invisible Woman. Et malgré l’ampleur de la tâche, il s’en sort plutôt pas mal. D’abord, il réussit à échapper au classicisme du biopic en concentrant son action sur les quelques semaines que le danseur du Kirov vécut à Paris, en juin 1961, avant de passer à l’Ouest. De là, le scénario de David Hare (The Hours) orchestre des flash-back vers son enfance ou ses années d’études, n’hésitant pas à faire des ellipses considérables. Entre les trois temporalités, le spectateur voit se construire le caractère bien trempé du danseur le plus célèbre du siècle ainsi que son dévouement total à cet art. Ce qu’il manque à ce Noureev, néanmoins, c’est un peu de fantaisie. De l’avis de ses biographes et de ses contemporains, l’homme n’était pas seulement un athlète exceptionnel mais aussi un artiste inclassable. En 1961 déjà, on le présentait plus comme une icône pop que comme un représentant du ballet classique. Fiennes aurait pu donner au génie Noureev la folie d’un Amadeus. Et éviter ainsi que l’on ne retire une impression un peu lisse du personnage. Finalement, son film ne s’emballe que lors des scènes dansées particulièrement bien filmées et interprétées par Oleg Ivenko, absolument habité par le rôle.
Sophie Benamon
ANNA, UN JOUR ★★☆☆☆
De Zsofia Szilagyi
Le cinéma réaliste tout en caméra portée – et à hauteur de nuque ! – a fait ses preuves. Les Dardenne en figures tutélaires ont montré la voie. À la sauce hongroise, ça donne Anna, un jour, découvert à la Semaine de la critique cannoise l’année dernière. Une mère trimballe ses bambins d’un appartement à l’autre, prend sa voiture, se rend à son travail, récupère la marmaille de plus en plus agitée et repart dans l’autre sens. Le mari est là. Un peu à distance. Il trompe Anna. Anna tient quand même debout. Il le faut bien. La caméra aussi, même si on sent que tout peut se casser la gueule d’un moment à l’autre. C’est ce qui fait la force de ce premier long métrage, cette idée simple mais tenue de bout en bout, que tout est précaire : la vie, l’amour mais aussi la mise en scène. L’interprète principale y fait preuve d’un sens de l’équilibre étonnant.
Thomas Baurez
CONTRE TON CŒUR ★★☆☆☆
De Teresa Villaverde
Pour son premier long métrage depuis sept ans, la réalisatrice de Os mutantes aborde une thématique qui inspire fortement le cinéma portugais d’aujourd’hui : les dommages collatéraux causés par la crise qui a frappé durement le pays. Mais là où son compatriote Pedro Pinho transcendait son sujet avec le récent L’Usine de rien en mêlant audacieusement analyse politique et comédie musicale, Teresa Villaverde prend le parti de dérouler au premier degré le récit d’une famille menacée de paupérisation par le spectre grandissant du chômage. Sa mise en scène tout en précision et rigueur l’éloigne certes de la facilité misérabiliste. Mais son refus de toute dramaturgie saillante finit par rendre son récit artificiellement étouffant et faire rimer langueur et longueurs jusqu’à l’ennui, au terme de ses 2 h 16.
Thierry Cheze
BERNARD NATAN, LE FANTÔME DE LA RUE FRANCŒUR ★★☆☆☆
De Francis Gendron
Vous ne connaissez sans doute pas Bernard Natan, et pourtant, il fut une figure essentielle du cinéma d’avant-guerre, un producteur de génie qui remit à flot l’entreprise Pathé et fit construire les studios de la rue Francœur, ceux qui abritent aujourd’hui la Fémis. Cet homme aurait dû rester dans toutes les mémoires, mais Natan était juif et il fut, au milieu des années 30, l’objet d’une cabale antisémite avant d’être déporté en 1942 et de mourir à Auschwitz. Depuis, silence radio. Le principal mérite de ce documentaire est de lever le voile sur l’« affaire Dreyfus du cinéma français ». On regrettera cependant sa forme rébarbative voire maladroite, comme si l’absence de cinéma était un gage de qualité ou de respect pour parler d’un sujet aussi passionnant et d’une actualité toujours plus brûlante.
Pierre Lunn
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