Rencontre avec l'actrice, qui a toujours évolué sans bouder son plaisir entre comédies populaires et d’auteur.
Après avoir été membre du jury de l’édition 2016 (qui avait couronné La Vache) et présenté sur place plusieurs de ses films, Karin Viard est cette fois présidente du festival du film de comédie de l’Alpe d’Huez 2023. Un univers qu’elle connaît bien car c’est dans ce registre qu’elle a fait ses débuts au cinéma dans Tatie Danielle puis Delicatessen. Et même après avoir remporté son premier César en 2000 avec le poignant Haut les cœurs !, elle ne s’est jamais éloignée du terrain de la comédie et ce, sous toutes ses formes, dramatique, chorale, absurde et romantique. Une manière de ne pas renier d’où elle vient mais surtout la preuve d’une absence de snobisme chez une des comédiennes les plus populaires du cinéma français. Du choc de sa découverte adolescente des Monty Python au bonheur pris à jouer dans le perché L’Origine du monde en passant par son lien avec Franck Dubosc, elle nous a raconté son rapport à un genre souvent regardé de haut. Pas par elle.
Quel rapport entreteniez-vous enfant avec la comédie ?
Karin Viard : J’ai été élevée par mes grand-parents et mes premières comédies, je les ai vues à la télé avec eux, même si ce que les faisait hurler de rire n’avait pas forcément le même effet sur moi.
C’était quoi ? Des De Funès ?
Voilà exactement. Et je dois avouer que j’aimais bien mais sans plus. De Funès fait surtout aujourd’hui pour moi partie d’un premier pan de ma culture comme les films de cape et d’épée. Avant qu’à 14 ans, je rencontre une copine qui me fait découvrir le cinéma indé américain et, plus largement, tout un tas de comédies anglo-saxonnes dont je n’avais jamais entendu parler car elles ne passaient pas à la télé. C’est comme si je réveillais soudain d’un long sommeil.
Quel a été votre premier choc de comédie à ce moment- là ?
Ma découverte des Monty Python. J’ai eu l’impression que le ciel se déchirait sous mes yeux. Leurs films m’ont ouvert l’appétit et donné envie de regarder aussi bien des comédies anglaises que celles de l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Avec une fascination particulière pour Katherine Hepburn que je trouvais d’une insolence folle, tout en répondant aux codes d’Hollywood. Puis, au fur et à mesure et surtout en commençant à faire moi-même du cinéma, le périmètre de mes goûts n’a cessé de s’élargir.
Vos débuts au cinéma se font d’ailleurs sous l’égide de la comédie avec des petits rôles dans Tatie Danielle et Delicatessen. C’est aussi un emploi que vous aviez au Conservatoire de Rouen où vous avez fait vos gammes ?
Quand je me lance, je me vis comme une grande actrice dramatique ! Pour le concours du Conservatoire, je passe d’ailleurs une scène dramatique. Et là, un prof vient me voir pour m’expliquer… que j’ai un emploi comique. C’est tout mon monde qui s’effondre (rires) Car dans les comédies des années 50 que regardaient mes grand- parents, celles qui faisaient rire, c’était des moches alors que je me vivais dans ma tête comme une princesse ! C’est bien plus tard que j’ai compris qu’avoir la comédie en moi était un grand avantage. Mais pas à la sortie de l’adolescence où on tente de se construire malgré ses complexes
Et vous vous sentez comment dans vos premiers rôles comiques ?
Je me sens chez moi ! Et ce n’est qu’en 1999 avec Haut les cœurs et ce rôle de femme atteinte d’un cancer que m’offre Solvig Anspach que je vais sortir de ce qui était mon emploi. Mais je vous assure que la comédie est un art bien plus complexe que le drame. Pour une raison basique : si les émotions peuvent réunir le plus grand nombre, peu de gens au fond rient des mêmes choses.
Quel regard posez-vous sur Tatie Danielle aujourd’hui ?
Ca m’amuse beaucoup même si je ne me trouve quand même pas très bonne. On voit toutes les coutures. Mais il fallait forcément en passer par là, se lancer… et corriger par la suite
C’est avec Les Randonneurs et La Nouvelle Eve que vos comédies remportent pour la première fois le public…
Des comédies revendiquées comme telles mais avec d’autres ingrédients : de la douleur, de la déception, de l’émotion. Des comédies douces-amères. Cette période constitue un moment charnière car je noue dès lors un lien indéfectible avec ce type de comédies-là. Elles m’ont permis de débloquer mon instrument en quelque sorte.
Avoir fait de la comédie vous a aidé dans vos premiers emplois purement dramatiques ?
Non, car je dissocie vraiment les deux. Dans le drame, tu dois être très concentrée, très connectée à toi-même tout en ayant la sensibilité ouverte. Dans la comédie, il faut avoir en plus cette vis comica pour ne pas être dans la convenance de ce qui est censé faire rire. Toujours chercher des choses étonnantes, parfois dissonantes mais sans perdre de vue le rythme.
Mais ce rythme dépend aussi de vos partenaires…
Absolument ! On ne peut pas jouer la comédie toute seule.
Or, comme vous l’avez dit plus tôt, tout le monde ne rit pas des mêmes choses…
C’est pour cela que des comédies qui me semblaient sur le papier très réussies ne marchent pas à l’écran. Mais quand tu réussis une comédie, ce que ça génère est sans commune mesure. Je me souviens avoir vu Bienvenue chez les Ch’tis en salles et ça reste un grand moment ! Une salle comble qui rit à ce point-là ensemble crée une émotion et une joie à la puissance indépassable. C’est pour ces moments-là que j’aime autant la comédie
C’est donc plus compliqué pour vous de choisir des comédies que des drames sur scénario ?
Oui beaucoup plus, notamment aussi parce qu’au fond il y en a très peu de très bonnes. Alors imaginez ce que j’ai ressenti quand j’ai lu L’Origine du monde. Je me suis sentie la plus chanceuse des comédiennes. Laurent (Lafitte) aurait pu proposer ce rôle à mille autres actrices et toutes auraient accepté tellement la partition est barrée. Tu lis ça d’une traite, tu hurles de rire à chaque réplique, tu vois tout de suite ce que ça va donner sur le plateau. C’est un Affreux, sales et méchants d’aujourd’hui renouant avec un politiquement incorrect pas vraiment dans l’air du temps. Ca déborde du cadre. Moi, c’est ce côté irrévérencieux, impoli qui me fait rire. J’ai beaucoup de mal avec cette façon de penser qui veut que tu ne dois surtout égratigner personne. Pour moi, ce n’est pas compatible avec la comédie. Ce politiquement correct de la pensée bride les choses. Pas par censure mais par auto-censure. Si seul le juif peut se moquer des juifs, le musulman des musulmans et le chrétien des chrétiens, comment on s’en sort ? Je revendique en tout cas le fait de pouvoir rire de tout avec tous ceux qui aiment aller dans l’irrévérence.
Franck Dubosc était élève au Conservatoire de Rouen en même temps que vous. Vous parliez comédie ensemble ?
Mieux que ça : on a basé notre amitié là-dessus ! On riait des mêmes choses, on a monté une troupe, Le petit théâtre de Bernard, on écrivait des sketches ensemble, on les jouait. Et j’ai pu vérifier récemment que ce lien- là est resté intact. Je viens de tourner Nouveau départ de Philippe Lefebvre avec lui et on a ri des mêmes choses qu’il y a 30 ans, comme si on reprenait la conversation où elle s’était arrêtée. Car au fond, ce qui te fait rire dit précisément celui que tu es. Par exemple, moi, les calembours me laissent de glace. Raymond Devos, je n’ai jamais accroché… Alors que les productions d’Apatow me font hurler de rire, American trip et Frangins malgré eux en tête. Car, par-delà les situations délirantes, je suis bluffée par la qualité de l’interprétation et le bonheur fou des comédiens à jouer. Comme je sens la jubilation de Meryl Streep, peu habituée aux comédies, quand on lui donne une partition comme Mamma mia !.
Dans le cadre de la comédie, on ne sent chez vous aucun a priori, vous allez de L’Origine du monde aux Visiteurs : La Révolution, de Dany Boon (Rien à déclarer) aux frères Larrieu (21 nuits avec Pattie)…
Je revendique cet éclectisme et mon absence de snobisme. Et je pense que je tiens ma popularité très exactement de ça. Je n'appartiens à aucune famille. Je ne résonne jamais en fonction de ce qui serait de bon ton de penser, de dire ou de faire. Quand je vois Camping, je ris franchement. Comme actrice, je ne l’aurais peut-être pas fait faute d’une partition suffisante offerte par le rôle. Mais comme spectatrice, je ne boude pas mon plaisir. Et j’ai la chance qu’on me propose des choses très différentes tout en ayant conscience que pour certains cinéastes, je ne suis pas assez chic pour faire partie de leurs univers. C'est le jeu !
Il y a cependant une famille dont vous avez tourné avec chacun des membres ou presque, c’est celle des Bronzés…
Comme spectatrice, j’ai adoré leur insolence, leur décontraction, leur liberté… Ma mère travaillait au Club Med donc Les Bronzés me parlait ! Toute jeune, j’avais envie d’en être. Et à part Jugnot, j’ai en effet bossé avec tous. Ca prouve qu’on a un humour compatible. Sans en faire partie, je me sens de cette famille.
Quel est votre dernier coup de cœur en matière de comédie ?
L’Innocent. J’aime comment la franche rigolade et des sentiments plus profonds s’y mêlent harmonieusement. Et les acteurs qu’on a peu l’habitude de voir dans ce registre y sont merveilleux. Noémie Merlant en tête.
Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez. Du 16 au 22 janvier.
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