Bilan quotidien de la 15ème édition du festival du film francophone d’Angoulême
Le film du jour : Annie Colère de Blandine Lenoir
Par le long temps nécessaire à son financement et sa fabrication, le cinéma a souvent tendance à courir en vain derrière l’actualité et à surgir à la fois un peu trop tard pour ne pas bégayer avec le traitement journalistique de la chose et un peu trop tôt pour avoir le recul nécessaire. Tout l’inverse de ce troisième long métrage de Blandine Lenoir (Zouzou, Aurore) qui vient – à son corps défendant, évidemment – percuter les événements récents outre- Atlantique où la Cour suprême a mis un terme à la protection fédérale du droit à l'avortement aux États-Unis. La preuve tragique que les combats qu’on croyait gagnés à jamais ne le sont jamais tout à fait. Et il y avait foule ce mercredi matin à la toute première projection du premier film en compétition du festival. Mêlant célébrités (Muriel Robin…) et quidams, ce public très féminin a donc replongé en février en 1974 où l’Annie qui donne son titre, ouvrière et mère de deux enfants, tombe enceinte de deux enfants. Et va dès lors entrer en contact puis devenir partie prenante, en dépit du quand dira t’on, du MLAC (le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception) qui pratique les avortements illégaux aux yeux de tous. Ce qui pourrait n’être qu’un film à sujet va bien au- delà. Grâce à la qualité de ses interprètes (Laure Calamy, présente dans les trois longs métrages de la réalisatrice, en tête). Mais aussi et surtout grâce à la qualité du scénario co- écrit par Blandine Lenoir et Axelle Ropert (Petite Solange) qui va au- delà des archétypes, soigne tout autant les personnages masculins que féminins et surtout raconte les « petites » histoires derrière la grande histoire officielle, rappelle que derrière la loi Veil il y a eu ces combats de femme, ces prises de risques insensées de leur part et leur crainte d’être récupérées ou plutôt que Giscard s’arrête au milieu du gué. Le tout avec une sororité joyeuse et contagieuse qui rend Annie Colère si attachant. Vous pourrez le vérifier par vous- même le 30 novembre
Le duo du jour : Jean- Paul Rouve et Grégoire Ludig dans Les Cadors
Certes, la trame des Cadors peut paraître un peu usée. L’histoire de deux frères que tout oppose : l’un rangé, marié, deux enfants, conducteur de bateaux ; l’autre, tonitruant, célibataire, chômeur et bagarreur pour peu qu’on dise du mal de son idole Renaud. Certes, on se doute dès les premières minutes que chez l’un comme chez l’autre les apparences sont trompeuses, et que le plus solide des deux aura besoin de celui qui a toujours rêvé d’avoir une famille sans jamais avoir eu le courage de fonder la sienne pour que lui et les siens s’en sortent. Oui, on sait tout ça et pourtant dans ce premier long métrage de Julien Guetta, inspiré par une partie de la vie de son co- scénariste et ex- auteur des Guignols, Lionel Dutemple, on s’en moque. Parce qu’on est bien en compagnie de ce duo mal assorti, qu’on prend plaisir à les voir retisser des liens au fond jamais détruits. Mais aussi et surtout pour l’alchimie entre ses deux interprètes, Grégoire Ludig et Jean- Paul Rouve, jouant sans cesse l’un avec l’autre, l’un pour l’autre et empêchant le film (qui sortira le 11 janvier) de s’abîmer dans le larmoyant facile.
L’actrice du jour : Kelly Depeault dans Noémie dit oui
Son visage ne sera pas inconnu aux bien trop rares qui avaient pu voir cette Québécoise de 20 ans débouler sur nos grands écrans voilà deux ans dans La Déesse des mouches à feu de sa compatriote Anaïs Barbeau- Lavalette. Mais avec Noémie dit oui, Kelly Depeault prend encore une dimension supplémentaire. Celle qui devrait donner envie à des agents, réalisateurs et producteurs français de travailler avec elle, toutes affaires cessantes. Sous la direction de Geneviève Albert, elle campe la Noémie du titre qui, vivant dans un centre depuis trois ans et ayant perdu tout espoir d’être reprise par sa mère, fugue pour rejoindre une amie et va accepter de devenir, comme, elle, escorte le temps d’un week- end. « Au début, j’ai été un peu hésitante parce qu’il y avait toutes ces scènes d’agression à jouer et j’avais besoin de savoir comment elles allaient être filmées, chorégraphiées », nous a-t-elle confié peu avant la toute première projection du film en compétition officielle. La rencontre avec la réalisatrice qui développe ce projet depuis 7 ans fera voler en éclats ses doutes. Et quand on voit le film, on comprend pourquoi. Le parti pris clinique dans la mise en scène des différentes passes, la manière de raconter la violence sans se vautrer dans la facilité de l’hypersexualisation et surtout cette façon de ne jamais enfermer Noémie dans un statut de victime mais de montrer une jeune femme qui se bat, qui au fond croit toujours en un avenir, aussi lointain et flou qu’ils puissent être sur le moment, force l’admiration. Tout comme évidemment la manière insensée dont Kelly Depeault se glisse dans la peau de cette ado, de 5 ans sa cadette. L’intensité, le charisme qu’elle dégage n’étouffent jamais la fragilité de son personnage. Bien au contraire. Ils épousent et renforcent le ton qui domine le film : un refus de tout pathos, de tout apitoiement. Le distributeur Wayna Pitch a eu la bonne idée de l’acquérir pour la France. Rendez- vous d’ici mars en salles. Et d’ici là, on prend le pari que Kelly Rebeault sera déjà engagée sur un projet français.
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