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Star bedonnantes, retraités botoxés, miss univers pulpeuse, dandys poudrés, putains flamboyantes, saintes édentées, naines alcoolisées et flamants roses qui décollent... Le cinéma de Sorrentino est à l'image de son bestiaire : chargé, baroque et transgressif; et surtout toujours limite. Sorrentino réactive au fond la grande tradition du cinéma italien, ogresque, qui mêle regard social, mélancolie, tendresse et férocité, mais en se mettant constamment sur le fil. Celui de la vulgarité, de l’excès et de l'indigeste. Du mauvais goût. Nietzsche disait : "le mauvais goût a son droit autant que le bon goût" et Sorrentino a clairement fait sienne la maxime. Ca passe très souvent, mais parfois ça casse.

La fête de La Grande Bellezza ou l'envol des oiseaux, l'apparition Droopy-esque de Sean Penn dans This Must Be The Place ou le concerto pour vaches de Youth... autant de moments qui montrent que l'italien n'a peur de rien et surtout pas du mauvais goût. Mais pas en soit ; pas pour la provoc uniquement. Sorrentino n'est pas un cinéaste kitsch, mais un artiste qui s'interroge sur un registre moral. Depuis L’Ami de la famille, c’est un des enjeux de son cinéma, mais Youth est celui qui pousse l'interrogation le plus loin. C'est le sujet qui hante le cinéaste joué par Harvey Keitel et le musicien incarné par Michael Caine; c'est aussi de cela qu'il est question quand Jane Fonda en star déchue prend la parole face caméra. Et comme pour enfoncer le clou, Caine dira que « les intellectuels n’ont aucun goût. » 

Paolo Sorrentino : “Où commence le bon gout et où commence le mauvais ? C'est au cas par cas. C’est un sujet qui me passionne, une idée qui me tient à cœur, mais qui est compliquée à expliquer. Je n’ai jamais pensé ça de manière générale et définitive. La scène de la soirée dans La Grande Bellezza par exemple, évite le mauvais gout par sa durée. Si elle n’avait duré qu’une minute, ça aurait été une mauvaise scène de boite de nuit de plus dans un film italien. Du mauvais gout. Là, elle est exténuante, et ça devient autre chose. Le mauvais gout est quasiment institutionnalisé. Je m’interroge sur les limites sur un sens quasiment existentiel ; jusqu’où est on capable d’aller pour s’amuser ? Le concerto pour vaches dans Youth est un autre exemple. C’était comme une symphonie, mais pas parfaite, précisément pour éviter le mauvais gout. Ca devient une tentative de symphonie.

Il faut se déplacer sur cette frontière. Sur cette ligne très mince. Je flirte avec le mauvais gout, mais sans tomber dedans… Soyon concret : j’aime les films sentimentaux d’Almodovar. Les films où il met en scène le kitsch me plaisent moins. La représentation du mauvais gout pour le mauvais gout, c’est du mauvais gout. Mais si on s’en sert pour créer quelque chose, un malaise, une problématique existentielle, alors là, ça m’intéresse”.