Rencontre avec l’acteur-réalisateur oscarisé autour de son nouveau film très ambitieux
Quatre ans près l’Oscar du meilleur film pour Argo, Ben Affleck revient derrière la caméra avec Live by Night. Une nouvelle adaptation d’un roman de Dennis Lehane, un mélo étouffant et lyrique qui pourrait l’imposer comme un cinéaste à part entière. Rencontre.
De Mystic River à Live by Night, Dennis Lehane commente les adaptations de ses romans
Live by Night n’est pas seulement votre deuxième adaptation de Dennis Lehane après Gone Baby Gone. Il s’agit également de votre deuxième film de gangsters après
The Town et de votre deuxième film
en costumes après Argo. Cela a-t-il une signification pour vous ?
À part que j’ai intérêt à être bon dans ces trois registres ? J’ai eu un galop d’essai pour chaque, je n’aurais donc aucune excuse en cas de ratage ! Que dire ? Je suis attiré par le film de genre, mais au-delà des points communs que vous soulignez, j’avais justement l’intention – et l’impression – de faire quelque chose de très différent. Live by Night, c’est d’abord ma lettre d’amour aux gangsters movies de la Warner, ces films avec des enjeux moraux très forts mais qui n’hésitent jamais à être sexy, flashy, fun.
Ce qui ne l’empêche pas d’être la suite logique de chacun de vos trois films précédents. Trois deuxièmes fois.
Ce qui est sûr, c’est que je n’aurais jamais été capable de le réaliser si je n’avais pas fait les trois autres. Live by Night est beaucoup plus formel, j’espère beaucoup plus élégant et plus « designé » que tout ce que j’ai pu réaliser jusqu’ici. Plus précis dans sa construction également. Pour The Town, je tournais en fonction de l’inspiration et ensuite, je montais les meilleures scènes. Là, il fallait que je sois beaucoup mieux préparé. J’ai fait un story-board parce que je voulais moins de coupes au montage afin que les spectateurs soient plus impliqués. Et j’ai utilisé des cadres plus larges, comme dans les vieux films. Aujourd’hui, on ne fait que des plans très serrés, moi j’aime les superproductions romanesques des 70s, Le Docteur Jivago ou Reds. Avec de l’ampleur.
Vous avez progressé en tant que réalisateur ?
J’espère. (Sourire.) Disons que je suis moins angoissé aujourd’hui. Prenez Gone Baby Gone, j’ai compris récemment que c’était un peu l’anti Live by Night, une histoire très simple que j’ai filmée de la manière la moins prétentieuse possible. Pas parce que je ne suis pas prétentieux. Mais tout simplement parce que je ne savais pas comment le faire autrement...
Désormais, vous vous autorisez
à une certaine prétention ?
En vieillissant, j’ai bien peur que ça me pende au nez. (Sourire.)
L’Oscar du meilleur film doit aussi y être pour quelque chose ?
(Rire.) À vous de me le dire... En tout cas, j’ai choisi cette fois de pousser tous les compteurs dans le rouge. J’ai essayé de voir grand et de rendre cette histoire la plus sexy possible : big love, big crime, big fun... Et tout est métaphorique. C’est une histoire de vie et de mort. À tout moment, on peut se faire tuer parce que c’est la nature même de l’environnement décrit – un monde dangereux, mortel. C’est ça le cinéma !
C’est aussi comme ça dans
les romans de Dennis Lehane. Qu’est-ce qui vous attire chez lui ?
La moitié de mes films sont tirés de ses romans, c’est un fait. Je ne suis pas le seul. Son univers parle visiblement à Clint Eastwood et à Martin Scorsese aussi... Dennis compose ses personnages de manière très cinématographique. Ses dialogues sont au cordeau et il construit des histoires amples comme des cathédrales, mais avec une narration très ramassée. C’est un système fascinant et on voit très vite comment on peut le traduire à l’écran. Leonardo DiCaprio m’avait donné Live by Night, juste avant que Argo ne sorte en salle. Quand je l’ai lu, je me suis dit que c’était ce que je cherchais : une histoire hollywoodienne à l’ancienne.
Il est frappant de constater
combien les thèmes de Dennis
Lehane résonnent avec vos propres obsessions. Je pense notamment
aux relations parents-enfants.
Vous avez raison : c’est un thème que je développe dans Gone Baby Gone et dans Live by Night. Qui paie pour les fautes des parents ? Les enfants. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce qu’on doit à nos parents ? Mais ce sont des idées qui étaient à l’origine dans les romans...
C’était aussi dans Argo. Et celui-là, Lehane n’y était pour rien...
C’est juste. Disons que cela me travaille alors. Depuis que j’ai des enfants, c’est encore plus clair. On se débat tous avec l’idée qu’on est façonné par ses parents et l’éducation qu’ils nous ont apportée, non ? À la fin, qu’est-ce qu’il nous reste comme libre arbitre ? Dans notre construction d’adulte, on a l’impression de devoir perpétuellement payer des dettes. La psychologie et le drame moderne nous enseignent à regarder en arrière, à revenir sur notre enfance pour essayer de mesurer qui on est.
C’est ce qui expliquerait la présence d’une scène récurrente dans
vos trois derniers longs métrages ? Un homme et un enfant communiquent en regardant un film.
Personne ne m’avait encore fait cette remarque. (Sourire.) Je deviens trop lisible. Il va falloir que je sois plus malin à l’avenir.
Mais encore ?
Je trouve cette idée simplement émouvante. Le cinéma m’a tellement apporté ! Je me souviens de tous les films que j’ai vus en salles. J’y ai vécu les plus fortes sensations de ma vie d’ado. J’ai compris le monde en regardant des films et je me suis compris moi-même. Je me comparais à mes héros et c’est ainsi que je grandissais : est-ce que je suis comme ce type que j’aime ? Est-ce qu’il prend les bonnes décisions ? Est-ce que j’aurais fait la même chose ? Exactement le genre de questions qu’on se pose en observant son père. À travers les scènes dont vous parlez, je paie cette double dette.
Zoe Saldana et Sienna Miller nous disent tout sur Live by Night
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Live by Night sort en salles le 18 janvier. Bande-annonce :
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