Première
par Sylvestre Picard
Les biographies de stars, qu’elles chantent du rock ou pas, se divisent en deux grandes catégories : les "autorisées" et les "non autorisées". Rocketman, produit par Elton John, se range d’emblée dans la première catégorie, la biographie officielle, validée par leur sujet lui-même. Qui a accepté donc qu’on le mette en scène comme le narrateur de sa propre dépression, de son propre narcissisme et de ses addictions diverses – le film est raconté au cours d’une séance entre alcooliques dans une clinique où le chanteur, travesti comme un démon, se met peu à peu à nu et raconte sa carrière fulgurante. L’enfance, le père qui s’en va et la mère indifférente, la rencontre avec le piano et avec son parolier Bernie Taupin, puis la gloire planétaire, la drogue, l’homosexualité, tout y passe, jusqu’à l’épiphanie et la promesse de se pardonner à soi-même pour avancer. Soit ça, soit le suicide et l’autodestruction. Bref, le programme classique d’une star du rock d’après-guerre. Mais ce qui fait le prix de Rocketman, c’est que le film assume pleinement son statut de biopic pop et devient une comédie musicale authentique, où les acteurs chantent eux-mêmes des versions réorchestrées des tubes d’Elton lors d’électrisantes séquences dansées, justement kitsch et follement divertissantes.
Rocketman possède toute la flamboyance la joie qui manquaient à Bohemian Rhapsody, la comparaison avec ce dernier est inévitable puisque le réalisateur Dexter Fletcher a terminé le biopic de Freddie Mercury à la place de Bryan Singer. Mais Fletcher avait aussi tourné Eddie the Eagle, biopic pas terrible sur un skieur anglais nul à lunettes, interprété par Taron Egerton : ce dernier incarne avec un charme et une énergie folles un Elton John arlequin, vortex autour duquel tourbillonne les tout aussi charmants et énergiques Jamie Bell (le parolier Bernie Taupin), Richard Madden (le manager/amant roublard John Reid incarné en moins requin par Aidan Gillen dans Bohemian Rhapsody)…
A la façon d’une comédie musicale du West End transformant sa matière musicale en énergie scénique pure (le film est d’ailleurs écrit par Lee Hall, qui a adapté Billy Elliott sur scène avec une musique d’Elton John),Rocketman ne cherche pas finalement pas une quelconque vérité sur Elton John, mais la beauté et la joie, un peu dans la lignée de ce que voulait faire Clint Eastwood avec Jersey Boys. Si l’on voit les mécanismes, mais c’est également l’un des traits des musicals de nous montrer qu’au cinéma tout est mécanisme, ordonnance, machinerie, chorégraphie.