Alors que la première moitié de cette ultime saison approche de son dénouement, Don Draper retrouve de sa superbe et dévoile enfin un plan d’action. Mais dans un épisode foisonnant où chaque personnage se montre déterminé à aller au bout de ses idées, l'expérience d'une souffrance aiguë pointe également le bout de son nez. Attention spoilers.
The Runaways, l'épisode 5 de la saison 7 de la série Mad Men. Review... Attention spoilers !Jusqu’ici marquée par un chaos généralisé et un manque de solidarité entre ses protagonistes, la saison 7 de Mad Men éclaircit sa direction avec The Runaways et montre désormais sur qui Don Draper peut compter. Consciente qu’il lui faut accélérer avant la coupure d’un an qui interviendra après la diffusion de l’épisode 7, la narration se recentre ainsi sur le destin de son héros et délaisse Roger Sterling, Pete Campbell ou Joan Holloway, absents de cet épisode. Et comme souvent depuis la saison 2, le déclic psychologique va s’opérer pour le personnage lors d'un détour par la Californie.Don occupe d'abord les conversations entre Megan et la hippie Stephanie (nièce de la défunte Anna Draper), qui se retrouve à la rue alors qu’elle est enceinte. Hébergée par l’épouse du publicitaire sur la recommandation de ce dernier, Stephanie dit au détour de leurs discussions connaître « tous les secrets de Don », ce qui a le don de vexer passablement Megan, peu amatrice de ces renvois au passé de son mari. Quand celui-ci, finalement libéré par un Lou Avery aux humeurs capricieuses, rejoint tardivement Los Angeles, Stephanie a déjà disparu suite aux manœuvres de Megan, qui lui a fait comprendre au moyen d’un chèque qu’elle désirait la voir partir.Débarrassée de cette menace extérieure, Megan profite du week-end pour tester les réactions de son époux et apporter une nouvelle dimension à leur relation. Lors d’une fête organisée dans son appartement, l’actrice danse de façon enthousiaste avec un petit camarade face à un Don qui observe cette initiative avec suspicion. Rythmée par le morceau jazz de Sidney Bechet, Petite Fleur, la séquence brille par sa mélancolie et rappelle, après le mariage de Roger Sterling dans la saison 3 et l’anniversaire de Don dans la saison 5 (avec le fameux Zou bisou bisou), à quel point les séquences de fête créent toujours dans le regard de Don un égarement lié à son incapacité à adhérer à l’allégresse générale. Megan poussera l’expérimentation à un degré supérieur en fin de soirée, puisque tout a été consciencieusement mis en scène pour que se déroule une nuit de triolisme avec une de ses amies. Surpris par l’insistance de son épouse et par l’implacabilité de la stratégie, le cobaye Don se laisse convaincre. Désireuse de pimenter la vie érotique de son couple et d’intégrer son époux au mouvement de libération sexuelle, Megan pense-t-elle avoir trouvé le meilleur moyen de sauver son mariage ?Car si Don paraît effectivement troublé au petit matin par l’expérience, il préfère se focaliser sur sa vie professionnelle, qui repasse rapidement au premier plan suite au verre pris la veille avec Harry Crane. Dans un souci de loyauté, Harry avoue ainsi que l’agence SC&P s’apprête à se débarrasser de Don, notamment parce qu'un contrat se prépare avec la marque de tabac Philip Morris, que le héros de Mad Men avait critiquée quelques années auparavant dans une tribune pour le New York Times.Comprenant que son heure a sonné, Don exécute pourtant un coup de poker qui offre de savoureuses dernières minutes à l’épisode. Il débarque dans le restaurant new yorkais où se tient la réunion secrète et prend de court ses collègues Jim Cutler et Lou Avery en se disant prêt à démissionner pour le bien du contrat avec Philip Morris. Mais il signale en même temps aux représentants de la marque que personne ne connaît mieux que lui leurs concurrents (Don a longtemps travaillé au service de Lucky Strike) et semble marquer un point en laissant la balle dans le camp du client. Vivant cette intrusion comme un affront, Jim et Lou ont des mots désagréables au moment de prendre leur taxi. « Vous êtres incroyable », dit Lou à un Don qui répond ironiquement "Merci".Retrouvant l’audace et le caractère frondeur qui l'habitaient dans le passé, Don Draper apparaît à nouveau comme un super-héros de la publicité. Capable, grâce à la vivacité de la narration, de multiplier comme par magie les sauts entre New York et Los Angeles, le héros de Mad Men se révèle plus détendu que jamais dans l’ultime plan de l’épisode, où il appelle un taxi en sifflant nonchalamment, comme le ferait Superman.
Parallèlement au retour vers la lumière de Don, The Runaways développe plusieurs arcs narratifs étonnamment sombres. L’atmosphère qui règne autour de Betty Draper devient par exemple irrespirable lorsque son époux Henry Francis lui reproche vertement d’avoir exprimé durant une réception mondaine ses opinions sur la guerre du Vietnam. Estimant que les jeunes opposants américains au conflit ne respectent pas assez l’autorité, Betty contrarie Henry, qui voudrait convaincre ses invités qu’il soutient les souhaits de désengagement du Vietnam formulés par le président Richard Nixon. Renvoyée à son rôle de simple épouse d’un homme politique et empêchée de s’exprimer librement en public, Betty est confortée dans son statut de personnage à l’aura hitchcockienne tant son destin évoque ici celui de la princesse Grace Kelly tel qu’il est dépeint dans le film Grace de Monaco.Les conflits qui rongent le couple Francis vont rejaillir sur les enfants de Don, victimes directes de ces dérèglements. Quand Sally revient à la maison après avoir subi une agression, Betty fait ainsi moins preuve de compassion que d’agressivité envers sa fille aînée dont elle désapprouve l'attitude libertaire. Sous-entendant que sa mère ne sert que de faire-valoir physique à Henry Francis, l’adolescente est envoyée avec virulence dans sa chambre. C’est là que Sally commence à nourrir des projets de fugue, soutenue par son petit frère Bobby : à travers ce rappel du manque d'attachement à Betty, la série prépare déjà sa dernière ligne droite, dont tous les spectateurs attendent qu’elle approfondisse le lien entre Don et sa progéniture afin de trouver une conclusion digne de ce nom aux dilemmes familiaux de Mad Men (l’ultime plan de la saison 6 se penchait en effet sur le personnage et ses trois enfants).Les désirs de fuite et d'évasion obsèdent aussi Michael Ginsberg lorsqu’il découvre les nuisances sonores créées par l'ordinateur IBM 360 qui est arrivé dans les bureaux de SC&P lors de l'épisode précédent. Devenu paranoïaque, le jeune rédacteur accuse cette imposante machine de rendre les hommes homosexuels lorsqu'il croit lire sur les lèvres de Jim Cutler et Lou Avery une discussion sentimentale (la séquence offre là une nouvelle allusion à 2001, l’Odyssée de l’espace). Michael s'incruste alors un soir dans l'appartement de Peggy pour échapper à la pression de l'engin. Au petit matin, il tentera sans succès d’embrasser sa collègue histoire de « permettre la reproduction » de l'espèce humaine. Si l’attitude de Ginsberg peut paraître amusante tant elle dénote une volonté de se faire remarquer, elle prend un tour tragique quand il tend plus tard un écrin à Peggy dans les bureaux de l'agence. On découvre à l’intérieur de la boîte un téton du jeune homme, qui s’est tailladé la poitrine à la manière d’un artiste maudit (on songe à Van Gogh se coupant volontairement l’oreille) et déclare sacrifier son corps pour mieux résister aux invisibles agressions de l'IBM.Horrifiée, Peggy réalise alors que Ginsberg est mentalement dérangé et appelle l’hôpital qui vient évacuer le rédacteur sur une civière. Les larmes aux yeux, elle contemple désormais avec crainte et rage cet ordinateur maléfique. A la manière de l’épisode de la tondeuse à gazon dans la saison 3, la brutalité du progrès techologique s’est ici exprimée par le surgissement inattendu d’une action sanglante, qui souligne en même temps les risques physiques encourus lors des mutations historiques.Alors que plusieurs personnages de The Runaways désirent ardemment fuir leur environnement, Don Draper constitue une figure à part qui s’adapte ici à toutes les situations grâce à son instinct de survie et exprime avec un calme olympien sa volonté de reconquérir son trône d'expert de la publicité. Reste maintenant à savoir si sa provocation à l’encontre de Lou Avery et Jim Cutler (qui a prévenu que les choses n’allaient pas se passer comme l’entend Don) lui coûtera des plumes ou si cette soudaine envie de jouer cartes sur table va ouvrir au personnage l’autoroute du succès et lui permettre d'atteindre un inédit équilibre intérieur.
Damien Leblanc
Proposée outre-atlantique sur AMC, Mad Men est diffusée en France sur Canal+ et Série Club.
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