Dans l'ombre
France TV

Comment imaginer une série politique hyper réaliste, qui puisse malgré tout rester dans la fiction ? Pierre Schoeller et Gilles Boyer nous racontent.

L'ex-premier ministre Edouard Philippe, candidat déclaré à la future Présidentielle, a coécrit une série qui débute cette semaine sur France 2. Forcément, c'est un événement. Adaptation de son roman avec Gilles Boyer (2011), Dans l'ombre raconte une campagne pour l'Elysée, depuis le camp de la droite, avec ses communicants et ses apparatchiks en mission. Le réalisateur et showrunner, Pierre Schoeller, explique ce qu'il a voulu faire, en compagnie de l'actuel Eurodéputé Gilles Boyer, qui a coscénarisé la série avec Edouard Philippe. Rencontre.


PREMIÈRE : Pourquoi avoir fait de Paul Francoeur un homme politique de droite ?
Gilles Boyer : Dans notre livre, il n'y avait pas de couleur politique précise. Ca pouvait marcher sur le papier, mais pour la série il fallait poser l'intrigue dans un univers politique et c'est pour ça que j'ai proposé que ce soit celui de la droite. Baron Noir avait déjà exploré le terrain de la gauche et je trouvais bien qu'il y ait une série qui campe clairement l'univers de la droite. On a donc dessiné comme un monde politique parallèle, avec une opposition et tout ce qui va avec. On a inventé des affiches, des sujets de division, des thèmes de campagne etc. Et dans chaque épisode, on décrit l'entourage, tous les métiers qui papillonnent autour à travers des archétypes de personnes qu'on a rencontrées, avec Edouard (Philippe) dans la réalité. Mais qui ne font pas référence directement à des personnes existantes. L'idée générale, c'est de mieux faire connaître ceux qui font tourner la machine derrière les têtes d'affiche. Que ce soit à droite ou à gauche finalement.

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Compte tenu de l'expérience d'Edouard Philippe, est-ce que vous avez dessiné la série politique la plus réaliste possible ?
Pierre Schoeller : Pas nécessairement. Parce que je crois qu'elle est assez barrée. Il y a plein de trucs irréalistes. Tout dépend où l'on met le focus. Là, on a mis la lumière sur une équipe en campagne, sur un doute qui s'installe. C'est une série qui raconte ce qui se passe quand on se met à douter du patron et de son engagement. Pour qui je travaille ? Qui est cet homme que je croyais connaître ? Cette question est cruciale en politique, parce qu'en politique, on ne peut s'appuyer que là-dessus : la foi en un homme à qui l'on donne sa vie. Alors comment on fait quand on s'est trompé ?

Vous aviez remporté le César du Meilleur scénario pour L'Exercice de l'Etat (en 2011). La politique est un milieu qui vous attire particulièrement ?
Pierre Schoeller : Non. Ce qui m'intéresse, c'est de filmer le temps présent. Je trouve que la politique est l'endroit idéal pour faire une photographie de l'époque. L'Exercice de l'Etat m'a permis d'être reconnu par le milieu politique. Il est même étudié à Science-Po. Donc je crois qu'il montre quelque chose de juste.
Gilles Boyer : On avait trouvé, avec Edouard, que c'était l'un des films les plus justes ayant été écrits sur le monde politique. En tant que spectateur averti, avec un regard presque clinique sur tout ce qui touche au politique, on avait trouvé le film très proche de la réalité.

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Quelles ont été vos influences pour Dans L'Ombre ?
Pierre Schoeller : Forcément, il y a À la maison blanche (The West Wing) mais l'écriture d'une série américaine n'est pas du tout la même qu'une série française... Personnellement, j'ai été très frappé par Dont Look Up (d'Adam McKay) qui est visuellement très efficace. Très disparate dans son imagerie. On est dans un réel qui opère une diffraction avec les sources d'image. Un réel qui est utilisé comme un écho au cœur des images. J'avais très envie de faire ça et de jouer ainsi avec les images dans la série.

Pour Dans L'Ombre, comment avez-vous fait pour décorréler la fiction du réel ?
Pierre Schoeller : Il ne faut pas confondre le réel et l'actualité. Notre fiction ne vient pas faire de clin d'œil à l'actualité, on ne titille pas ce qui se passe dans l'actualité. En revanche, on est dans le réel ! La scène où Marie-France (Karin Viard) apprend sa défaite, c'est un vrai morceau de réelle politique, ce moment de la chute, rarement montré à l'écran. C'est quelque chose de fort.



D'ailleurs, la série se déroule dans un clivage gauche / droite assez traditionnel, mais un peu dépassé aujourd'hui non ?
Gilles Boyer : Votre question voudrait dire qu'un duel gauche/droite a quelque chose d'incongru, alors que pendant des décennies c'était la norme. Ce sera peut-être à nouveau la norme demain. De toute façon, ça n'a pas vraiment d'importance dans l'histoire. Tout ça aurait pu se dérouler avec d'autres partis. On a voulu détemporaliser l'action et dire aussi, qu'au fond, le clivage gauche / droite n'a pas disparu pour toujours. Ca paraît invraisemblable que ça revienne aujourd'hui, et pourtant, il faut se souvenir qu'il y a 10 ans, ça paraissait invraisemblable que ça n'existe plus !

Montrer la réalité du milieu, avec ses coups bas, est-ce que ça ne risque pas d'alimenter la défiance de l'opinion vis-à-vis du politique ?
Pierre Schoeller : L'époque est comme ça. On est dans un temps d'hyper-violence. Et je crois que mettre à l'écran un brin de lucidité, un brin de justesse, peut permettre de provoquer l'inverse. On donne des repères d'une certaine manière, pour mieux comprendre la politique. Déconstruire un peu le système, ça ne le dévalorise pas je crois.
Gilles Boyer : Dans la politique, y a des choses jolies et des choses moins jolies. Quand on regarde Dix pour cent, quelle image cela donne du milieu des acteurs à la fin ? On le connaît mieux. Mais est-ce qu'on en sort avec une meilleure image du monde des agents ? Je n'en suis pas sûr.

Pourquoi les séries politiques, comme Baron Noir ou La Fièvre avant Dans L'Ombre, arrivent toujours à créer l'événement ?
Pierre Schoeller : Il y a une vraie demande de politique. Un besoin profond même. C'est pour ça que la fiction s'empare autant de la politique avec succès. Ça permet de renouer entre le monde politique et les citoyens d'une certaine manière. Après, mon travail, ce n'est pas de rendre sympathique ou antipathique, mais d'explorer l'humanité.

Dans l’ombre, en 6 épisodes, à voir sur France 2 à partir du mercredi 30 octobre et déjà en intégralité sur France.tv.