L’acteur de la série Parlement est phénoménal dans Bis Repetita où il joue un thésard obsédé de latin. Rencontre avec un comédien et scénariste en pleine ascension.
On l’a découvert dans la série Parlement. Xavier Lacaille s'imposait alors dans le rôle de Samy Kantor, cet assistant parlementaire aux yeux bleus et à la tignasse ébouriffée. Avec son air de débarquer de la lune, une silhouette longiligne à la Buster Keaton, le garçon affirmait un caractère comique singulier. On le retrouve sur grand écran dans Bis Repetita, une comédie d’Emilie Noblet (réalisatrice de la série... Parlement) où il donne la réplique à Louise Bourgoin et Noémie Lvovsky. Il incarne Rodolphe un thésard, fan de latin, un peu coincé, un peu perché, qui va accompagner une classe de latinistes dans un concours de rhétorique en Italie. A la fois très intello et très burlesque (tout est résumé dans une scène où Lacaille chante du Céline Dion en latin), le rôle semblait taillé sur mesure pour ce type porté sur la théorie et les concepts, autant que sur l'instinct du jeu. On a décidé d'en savoir plus sur ce comédien scénariste de plus en plus demandé...
De Parlement à Bis Repetita, on a l’impression que vous façonnez un personnage très particulier : un héros décalé, intello et toujours un peu déconnecté…
Xavier Lacaille : C'est une zone naturelle pour moi. De fait, quand tu commences à jouer dans une direction et que tu t’entoures d’amis ou de gens qui te connaissent bien, il y a forcément une continuité, des passerelles. Je dois aussi inspirer aux réalisateurs quelque chose qui serait de l'ordre du… disons d'un faux sérieux. Un gars qui essaie d'être très structuré, mais qui dans le même temps est la maladresse incarnée...
Il y a comme une petite dichotomie...
Clairement. En revanche, ce que j'aime beaucoup, et ce sur quoi je travaille maintenant, c'est le physique. Les films vont arriver et ça va assez vite détonner avec ce que j'ai fait jusqu'à maintenant. C’est intéressant de voir comment, malgré toi, quand tu enchaînes des films ou des séries, même si ton parcours progresse, les gens t’enferment dans un carcan. Ca donne aussitôt envie d’aller ailleurs et de chercher autre chose.
Mais le carcan vous le construisez également par vous-même aussi, non ? Vous acceptez bien de jouer Rodolphe après avoir joué Samy dans Parlement, deux rôles finalement assez proches.
C'est vrai. Mais Rodolphe, c'est particulier parce qu’il fonctionne presque comme un double de moi-même. Je suis très scolaire, j'adore les études, j'en ai fait longtemps et je continue à distance...
Vous faites des études ?
Là, je suis en philo, enfin plus pour longtemps…
Pardon ?
Oui en L1 je fais de la méthodo essentiellement. Mais je n'ai pas pu passer mes partiels. C’était il y a quinze jours, et comme je jouais au théâtre le soir, je les ai loupés… Bref, je vais faire autre chose parce que je n'arrive pas à valider mes années. Trop compliqué et donc trop frustrant. Parallèlement, il se trouve que je suis un cursus dans une fac américaine sur l'image. Et je ne pense qu’à ça ! Ce soir je vais avoir un cours, deux heures de cinématographie, et c'est le truc le plus excitant de ma journée.
OK, je comprends mieux votre intérêt pour le Rodolphe de Bis Repetita…
Et pourtant, j'ai longtemps été un cancre, phobie scolaire et tout ce qui va avec... Et puis un jour la révélation. J'ai compris que ce que j'adore le plus c'est la théorie. Tout ce que je fais, j'essaie de le théoriser. J'aime aussi l'enseignement - j'enseigne un peu dans certaines écoles de cinéma, l’écriture de scénario - et c'est ça qui fait que, évidemment, Rodolphe était un rôle que je pouvais défendre et comprendre idéalement.
C’est un personnage taillé sur mesure donc.
Pour être honnête, j'ai fait de la consultation sur le scénario. A l’époque, il n’était pas question que je joue dans le film, mais j'ai apporté cette dimension-là au moment de l’écriture. Quand on m’a proposé le rôle je n’étais pas très étonné. Dès le début, toute l’équipe me disait que j’étais fait pour.
Vous parliez d'aller vers quelque chose de plus physique. C’est intéressant parce que Rodolphe lorgne vers le slapstick. Je le vois comme un mélange de Buster Keaton et de Mathieu Amalric.
Merci ! Quel compliment. J'adore Amalric !
Vous n’avez pas un peu pensé à Paul Dédalus (le personnage central de Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle)) au moment du scénario ou en jouant Rodolphe ?
En fait, vous devez comprendre qu'il y a deux phases totalement distinctes pour moi. En tant que scénariste, je suis à l'opposé de ce que je suis en tant qu'acteur. Au moment de l’écriture, je navigue dans la théorie. Je lis les bouquins et je théorise tout ce que je fais. Mais quand je joue, c’est fini. C’est l’intuition. Je suis vraiment au plus bas possible de l'intellect. Je vais vous donner un exemple. J'ai fait une série que j'ai co-créé, et dans laquelle je jouais. Parfois, sur le plateau, on me posait une question d'écriture et je ne pouvais pas y répondre. Pas pour faire le malin, mais parce que sur un plateau, je n'ai plus aucune idée de l'étape de l’écriture. Je deviens bête au sens noble du terme. Si je suis là, je suis con. Je suis là pour jouer, littéralement. Je suis un gosse, je suis dans une cour de récréation et je ne peux plus réfléchir. Je préfère même ne pas sortir de cette condition, sinon je perds mon intuition. Quand je parle de corps, c'est vraiment de cela que je parle. En tant que comédien, je ne travaille que sur le corps, je ne pose aucune question au metteur en scène et aux auteurs, sauf pour des questions purement techniques que j'ai besoin de comprendre. Comédien, c'est que du corps et de la voix.
En parlant de voix : dans Parlement vous jouez avec différentes langues. Dans Bis Repetita, il y a de l’italien et du latin… Qu’est-ce que ça change et surtout quel est le défi en tant qu'acteur ?
Jouer en latin c’était compliqué. Génial, mais compliqué. Pourtant, j’ai appris le théâtre aux Etats-Unis et j'adore improviser dans des langues étrangères - ça ne me fait pas peur. C'est comme des exercices scéniques pour moi. Tu es au théâtre, tu joues et parfois tu fais des scènes en tant qu'animal. Tu es un chien, un gorille ou ce que tu veux, et tu dois faire passer des émotions sans parler, juste avec ton corps. Jouer dans une langue étrangère, c’est pareil. Dans Bis Repetita, il y a des séquences où je jouais en italien, et pourtant, je parle trois mots d'italien.
Mais il y a cette scène où vous donnez la réplique à ce fabuleux acteur transalpin…
Oui, mais je te jure : je suis une quiche en italien. A contrario, l'acteur était une brute en impro. Et moi j'adore l'impro. Du coup, je ne comprenais pas un mot de ce qu'il me racontait, mais j'avais la structure. C'est là que je fais des sons, des borborygmes vaguement italiens - et d'un seul coup, je revenais à l'école de théâtre. Avec le latin, c’était impossible parce que là, je ne connaissais rien du tout. RIEN. Je ne pouvais pas improviser, j’étais en phonétique pure et c'était extrêmement dur. Sur certains textes je ne pouvais pas rajouter de virgules et j'étais dans une frustration totale. Le corps était bloqué quand je jouais en latin. Enfin bloqué... J'exagère, j’avais ma phonétique. J'avais le coach qui me disait "non, ça se prononce pas comme ça". En fait, je récitais une chanson apprise par coeur.
Ça pose la question de la maîtrise qui semble au coeur de votre jeu d’acteur. Qu'est ce que vous préférez ? Le contrôle ou le lâcher-prise ?
En fait, le moment où ça vrille peut être chouette. Quand tu lâches prise dans une autre langue, quand tu ne maîtrises pas, quand tu n’as pas peur de dire n'importe quoi et que tu peux y aller à fond. On en revient au corps. C'est des bruits, des bruits et des sons, et des mouvements. Et c'est là que ça devient génial, et que je me délecte. C'est... c'est un rire ventral en somme.
On évoquait Buster Keaton, mais on peut aussi citer Tati ou Pierre Etaix dont le surréalisme et la légèreté semblent trouver un écho dans votre jeu. Ce sont des gens qui vous ont influencé ?
De grosses références ça ! Oui. Pierre Etaix surtout. Il a écrit un livre qui est un des trucs les plus drôles que j’ai jamais lu. Je découvrais une forme d'écriture drôle. C’est pas des blagues, ni des punchline, c'est visuellement drôle. A certains passages, il écrit une phrase, puis barre un mot pour le remplacer; à d'autres moments, il saute une page... Etaix m'a bouleversé, en comédie. Parce qu'il a été iconoclaste, il m’a fait découvrir de nouvelles manières de faire rire à travers l'écriture et le corps. Keaton, Chaplin et Tati, évidemment. Mais ils furent tellement présents que je n'arrive même plus à dire que ça a été important pour moi. Dans mes références je dois aussi citer Steve Carell. Parce que c'est un gars qui a un clown naturel extraordinaire, et qui, en plus, a une technique folle. Quand tu vois les making of de The Office, tu le vois dans une folie ou une impro, et pourtant, il reste toujours très technique. Il peut vraiment revenir sur son corps. Le mec est fort : il module sa voix, revient, crée des effets, rien n'est dû au hasard. Quand tu commences à apprendre une scène, au début t'as un premier jet qui est parfois cool. Ensuite ton travail consiste à essayer de le refaire; et c’est souvent impossible. Mais c'est ce moment là, cette étincelle initiale que tu vas essayer de retrouver. Soit tu as un truc bien et tu t'arrêtes, soit tu passes des heures et des heures et des heures à essayer de retrouver ce truc naturel. Steve Carell, c'est ce mec dont tu crois que tout ce qu'il fait est naturel et spontané, mais qui en fait bosse comme un dingue. C'est une référence de sérieux et d'humilité. Je peux l'avouer : je lui ai tout volé.
Mais quoi précisément ?
Son truc c'est l'intensité. Il est toujours dans le premier degré, c'est d'ailleurs la règle essentielle de l'intensité. Pour moi Carell c'est ça : “la comédie, c'est intense”. Ne jamais "jouer" aucune blague. Trouve ton personnage naturel, ta persona, et sois dramatique et intense. Dramatise tout. Et quand je joue, même mon regard doit être intense, sinon ça va pas le faire...
Cette intensité, dans le film on la trouve notamment dans les scènes avec Noémie Lvovsky...
Dans Bis Repetita, ce fut une leçon de jeu pour moi. Noémie est arrivée et on a eu un coup de foudre artistique. Première prise, je ne la connais pas. C'est la prise avec le risotto raté. L'équipe se met en place. Et Noémie s'avance vers moi et me dit “t'aimes bien les conneries, toi ?”. Comme ça du tac au tac. Je lui réponds un truc vague genre “Ouais j’adore ça.” Mais je ne sais pas du tout où elle veut en venir. Par contre, je sens qu'elle frétille. Au texte, on avait un truc assez vague. Son personnage constate qu'elle raté le risotto et ensuite on part sur le véritable enjeu de la scène. C'est comme ça que la séquence était écrite. Emilie Noblet lance la prise. “Ca tourne au son, action”. Et là… rien. C'est elle qui avait la première réplique et avec Louise on attendait. Tout le monde attendait. Le plateau la regarde, suspendu, et elle, elle garde sa tête dans ses mains. Avec Louise on s'inquiète... “Ok, qu'est ce qui se passe là ?” C'est super bizarre. Dix secondes de silence. Et puis soudain, on l'entend renifler, elle commence un peu à chialer. Je crois que je vois même une larme tomber dans le risotto. Je me dis “Ça va pas en fait, y a un problème”. Elle se redresse et dit “Je vais prendre des médicaments, puis je vais m'endormir”. Première prise, rien n'est écrit. Rien. Je comprends qu'elle est partie en impro, et c'est génial. C'est ça dont je te parlais : une leçon de jeu, d'intensité dramatique. Immédiatement, je me dis que c'est extrêmement drôle, qu'il faut s'empêcher de rigoler et enchainer. Je réplique avec un “ça va, tati ! Faut pas dire ça”. Et on déroule. Elle a apporté ce truc là. Je ne sais pas si elle l'avait en tête avant, je ne sais pas si elle l’avait répété, si c'était son instinct, si elle l’avait réfléchi, j'en ai aucune idée. Mais voilà comment la scène est réhaussée. Voilà comment tu amènes quelque chose qui a une grande logique, qui apporte une backstory immense entre nos deux personnages. Il y a un neveu et sa tante et c'est lourd, c'est quand même mal parti. Il y a un lien en une phrase et tu projettes un imaginaire super fort. J'ai pas juste cette scène, j'ai une histoire qui vient de se créer entre ces deux là. Quel talent !
Il y a les acteurs, mais derrière, comment Emilie Noblet s'adapte-t-elle à vos impros ou à vos tempéraments de comédie ?
L'un des grands talents d'Emilie, c'est de te faire oublier que tu fais une fiction, et de trouver du naturel partout. Elle peut jouer avec n'importe quel accident. C'est une réalisatrice qui peut se saisir d'un accroc, d'un imprévu pour le traduire en drama. Un exemple concret : il y a une scène sur l'autoroute où la classe et les deux profs déjeunent ; on joue au Time's Up. C'était une scène compliquée parce que le découpage était complexe et qu'il était difficile de placer les ados - ce ne sont pas des professionnels. Emilie savait que ça allait être difficile. Elle a insisté auprès de la production pour que la scène ne soit pas tournée le matin mais juste après le déjeuner. Et pendant la pause, je l'ai vu rester en retrait. Elle observait comment les adolescents allaient s'asseoir pour manger, elle regardait leurs déplacements, leurs attitudes. Elle m'en a parlé et m'a donné quelques indications pour la scène et j'ai compris à ce moment là qu’elle avait toute la scène en tête, jusqu'au découpage. En trois minutes, elle avait fait un découpage de dingue. Le déjeuner s'est terminé, on ne s'est rendu compte de rien, mais l'équipe s'est mise en place. Et c’était parti. Le génie de l'instant.
On a l’impression d’un tournage où beaucoup de choses se sont improvisées.
Oui et en même temps c’était très cadré par Emilie.
Je pensais particulièrement au gag du micro dans Pompéi.
Ahah, ça c’est moi ! Mes alliés les plus précieux sur un tournage, ce sont les accessoiristes. A chaque début de tournage, je vais voir l'accessoiriste et je le préviens : "tu fais ce que tu veux, mais sache un truc : tout ce que j'aime c'est les obstacles. Tu mets ce que tu veux, je prends". Avec ce micro je me suis amusé, j'ai juste gérer ça avec l'ingé son pour savoir jusqu'où on irait... Quand c'est des trucs de feu, comme ça, faut faire gaffe : faut doser. L'intensité et le dosage : c'est ça la comédie.
Bis Repetita de Emilie Noblet avec Louise Bourgoin, Xavier Lacaille et Noémie Lvovsky est en salles.
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