-
"Ma sœur, tu vas porter ces gants !", ordonne un islamiste à une commerçante à qui on a déjà imposé le voile. "Porter des gants pour vendre du poisson ? Comment je les arrose avec des gants ?", lui répond-elle avec aplomb. Ce genre de dialogue trivial teinté d’absurde jalonne Timbuktu, qui évoque l’occupation de la ville malienne avec un humour salvateur. Au lieu de se focaliser sur le sort des otages occidentaux (comme c’est souvent le cas dans nos médias) ou de montrer la violence de façon spectaculaire et manichéenne comme dans tout film "coup-de-poing" qui se respecte, Sissako utilise son arme personnelle : un gant de velours. Chez le réalisateur de "Bamako" (2006), la brutalité se double en effet de poésie, le montage parallèle faisant coexister danse et lapidation. On croise un soldat d’Allah qui prend des leçons de conduite, une vache nommée GPS ou encore une illuminée avec un coq sur l’épaule. Parce qu’elle est folle, cette dernière peut se permettre de ne pas porter le voile et d’insulter les oppresseurs. Elle se pose ainsi en alter ego du cinéaste dont la charge politique épouse également les formes du conte, du mythe et même du western, en particulier lors d’une scène de duel inoubliable : un plan large, deux silhouettes au crépuscule, un coup de feu, corps qui reste au sol. C’est dépouillé et implacable,"à l’instar de ce beau film tragique.
-
Nous sommes donc à Tombouctou : la ville, peu à peu, est conquise par les membres de la "police islamique" (comme l'affirment leurs gilets pare-balles) : AK-47 brandies, les djihadistes font régner l'ordre en interdisant la musique et en ordonnant aux femmes de se voiler, de porter chaussettes et gants face au sable du désert. Pendant ce temps, un éleveur vit heureux dans les dunes voisines avec sa femme et sa fille. Mais il tue son voisin par accident, et se retrouve prisonnier des djihatistes. Timbuktu adopte une structure lente, desserrée, peu linéaire, où le rythme de l'intrigue générale est constamment brisée par des vignettes de vie quotidienne, quand les soldats patrouillent en ville pour maintenir leur loi, aussi violente qu'absurde. La première force du film est de nous les montrer terriblement ordinaires (notamment un excellent Abel Jafri). La deuxième est de nous frapper d'images et de situations parfois très puissantes : on n'est pas près d'oublier cette séquence de match de foot sans ballon (puisque le jeu est désormais interdit), ou cette scène atroce de lapidation d'un couple enterré jusqu'au cou. Mais le réalisateur Abderrahmane Sissako n'est pas un cinéaste manipulateur : au moment où la lapidation commence, il fait habilement le choix de couper dès l'impact des premières pierres, de faire une ellipse pour souligner l'horreur de l'événement.
Afrique adieu
Sissako, abonné au Festival, porte l'espoir d'une Palme d'or pour l'Afrique, continent jamais suprêmement récompensé par un jury cannois. Le premier film de la compète donne déjà la température d'une sélection cannoise que Thierry Frémaux avait promise impliquée, en prise avec le monde d'aujourd'hui, tel qu'il fonctionne et tel qu'il débloque. Avec son sujet social fort, son actualité terrible et son refus de la facilité et du spectaculaire Timbuktu ne fera pas tâche à côté des films des Dardenne, du Loach ou des docs sur la Syrie ou Maidan qui seront présentés ici... Mais, pour parler cinéma, le film se disperse un peu, et il aurait pu, aurait dû être encore plus radical. On aurait pu notamment se passer du symbolisme parfois un peu trop évident : dès l'ouverture du film, les djihadistes s'entraînent au tir sur des fétiches (le terrorisme contre la tradition), une femme fouettée chante pendant son supplice alors que son crime a été justement de chanter (l'art vaincra, camarade !). La structure polyphonique du film engendre des ruptures de tons parfois injustifiées, comme le dialogue sur les mérites de l'équipe de France en foot, ou la scène où un jeune djihadiste n'arrive pas à réciter le discours de propagande devant une caméra vidéo, assez burlesque. Mais face à cette légèreté vite dispersée, la force de Timbuktu, malgré ses lenteurs, reste longtemps après que le plan final se soit évaporé à l'écran.
Toutes les critiques de Timbuktu
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
-
Uun des films les plus accomplis du réalisateur. Une oeuvre à la force poétique et testimoniale salutaire autant qu'indispensable. "Timbuktu" foudroie, bouleverse, mobilise et galvanise... Un magistral moment de cinéma.
-
Cri de colère et ode à la liberté, ce grand film humaniste est un chef-d’oeuvre.
-
La beauté du film réside dans le mélange savant entre horreur et beauté. La photographie superbe met à l’honneur un décor que Sissako a pu observer dans ce Mali où il arriva enfant. La ville ocre balayée par les sables et les vents, les paysages désertiques traversés par un fleuve scintillant. Le réalisateur glisse également plusieurs situations et répliques savoureuses, comme des contrepoints aux décisions aberrantes des extrémistes.
-
Absurdes et cruelles, les lois arbitraires imposées au nom du djihad, et la résistance pacifique des habitants, sont filmées avec une grande humanité. Des images superbes, et beaucoup d'humour.
-
Un film d'une rare puissance. Très esthétique, "Timbuktu" rend notamment hommage aux paysages africains époustouflants. Le film dénonce très finement l'intolérance, l'obscurantisme religieux, et l'arbitraire.
-
Un film choquant et un antidote aux manichéismes qu’on nous inflige pour parler de l’extrémisme : ici, avec les nuances qui n’enlèvent rien à l’horreur, on a l’impression de saisir un peu plus cet absurde qui veut qu’on tue au nom de la vérité religieuse.
-
Un humour en forme de politesse du désespoir et une poésie dépourvue de mièvrerie (...) Un film profondément engagé (...) d'un cinéaste au sommet de son art.
-
A hauteur d’homme, le cinéaste mauritanien met en scène l’absurdité brutale de djihadistes en contraste avec un Islam modéré. Sans jamais forcer le trait, en utilisant aussi l’humour, la poésie ou l’onirisme, il rejette l’affront intégriste. "Timbuktu" est un film fort et bouleversant.
-
La force du film réside dans le contraste entre la cruauté des situations et la vénusté des visages et des panoramas. Une oeuvre maîtrisée portant la patte d'un vrai auteur et racontant notre présent avec une rare subtilité.
-
Le film constitue un choc. La poésie réussit à se faufiler dans cet univers d'absurdité et d'épouvante (...) La beauté éclate à chaque plan. Un chef d'oeuvre.
-
"Timbuktu" a une exceptionnelle qualité artistique les résonances funestes de l’actualité. Sissako (...) fait exploser dans ce film à tableaux couleur de sable tout un bouquet de réminiscences.
-
Une fiction magnifique où la beauté de la forme - lumière impeccable, plans au formalisme abouti - épouse la pertinence du fond, très loin du manichéisme et de la caricature qui s’emparent des esprits occidentaux dès lors que s’agite le thème du jihad.
-
"Timbuktu" est un chef-d’oeuvre qui palpite d’émotion, fait vibrer notre colère et suscite notre admiration.
-
Le plus beau film de l'année. Le plus intelligent. Le plus fort. Le plus poétique. Drôle, citoyen, humaniste, surprenant, émouvant.
-
TIMBUKTU progresse de sentence en sentence, de procès expéditif en procès expéditif, de mariage forcé en peine de mort, de lapidations en coups de fouet par lot de 40, et dresse la carte des souffrances d’un village suspendu aux interdictions et à leurs conséquences mortelles. Là-bas, il y a des orphelins à la pelle. Mais la liberté résiste tant qu’elle peut, quitte à ce que des mômes détournent cette « loi » anti-football en organisant un match sans ballon, sans aucun doute une scène qui marquera le festival par sa soif de vie.
-
Abderrahmane Sissako trouve le juste équilibre comme la juste distance. Ses armes si salutaires (la nuance, l'humour, la ludicité) lui permettent de dénoncer les ravages de l'obscurantisme religieux et d'affronter les horreurs du monde droit dans les yeux.
-
C’est cette atteinte aux droits de l’Homme, la violence qu’elle génère et l’absurdité des situations endurées par les habitants de la ville qu’Abderrahmane Sissako dénonce avec justesse, tout en évitant de tomber dans un manichéisme grossier ; il nuance et humanise ses personnages, allant même jusqu’à introduire quelques notes d’humour dans un contexte lourd en conséquences.
-
"Timbuktu" est d'une actualité brûlante, notamment avec l'enlèvement de ces 276 jeunes nigérianes par la "secte" "Boka Haram" qui ne croit sans doute pas plus à leur thèse que les envahisseurs de "Timbuktu". Film d'une très grande force visuelle, dans le récit et l'interprétation, il confirme, au-delà de son message, la continuité d'un cinéma en provenance du continent africain, rare car confrontée à de très grandes difficultés financières (supplées en partie par la France), mais d'une inventivité constante.
-
Malgré des facilités, Abderrahmane Sissako a réussi son pari, canaliser sa colère et son indignation palpables à la vue du film, pour dénoncer avec subtilité et intelligence une situation longtemps ignorée.
-
Cette réserve, cette froideur apparente font la force de "Timbuktu", qui pointe les ridicules sans appuyer, expose sans complaisance ni hystérie les tourments inouïs infligés par les djihadistes. Pour exalter la résistance à l’oppression, à la cruauté, à la sottise, Sissako a misé sur la dignité, celle que bafouent les djihadistes, celle dont il a fait la pierre de touche de son cinéma.
-
La force de cette œuvre admirable tient à son sens de la contemplation, au rappel de traditions fondatrices depuis la nuit des temps, à l’amour qui soude une famille. Le cinéaste offre des images d’une grande beauté où perce sa tendresse pour ce monde à l’écart du monde, soudain violé par des envahisseurs qui déboulent avec leurs 4 × 4 et leurs téléphones portables pour assujettir au nom de principes arbitraires. Des dialogues intenses ponctuent le film, comme un rappel à la raison et à la sensibilité.
-
L’humanisme n’est pas la complaisance, c’est avant tout la connaissance de son espèce, de son prochain et de soi-même. On ne peut guère douter de celui de Sissako, qui met cette humanité au cœur de "Timbuktu".
-
une œuvre abrasive, rayonnante, qui est aussi un grand film politique.
-
Des situations tendues et intolérables que le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako filme en alternant dureté et absurdité, montrant une population confrontée à des extrémistes qui interdisent la musique et le foot, et obligent les femmes à porter des chaussettes. Un portrait saisissant de l’Afrique contemporaine (...).
-
le Timbuktu d’ Abderrahmane Sissako qui mêle l’absurde au tragique dans un seul but, dénoncer. Un long-métrage qui montre l’horreur oui, mais aussi l’envie de liberté, de bonheur, d’amour, de danse, de musique, de vie en somme.
-
Abderrahmane Sissako montre une petite ville malienne tombée au mains des djihadistes. Formellement très réussi, mais un peu caricatural.
-
Remarquablement servi par ses acteurs non professionnels, "Timbuktu" parvient à instaurer un climat à la fois menaçant et serein, contemplatif et inquiet, parsemé de scènes d’une densité qui laisse sans voix. A l’heure où les médias font leur beurre sur les apprentis terroristes recrutés sur Facebook, ce film tombe donc à point nommé pour rappeler avec justesse l’absurdité du fondamentalisme.
-
Un grand film : "Timbuktu", œuvre captivante sur l’espace commun et le souffle de la rumeur, qui ne s’ébruite pas dans les couloirs mais siffle doucement entre les dunes ; avec une délicatesse et un raffinement qui pourraient l’ériger en Inconnu, cette fois-ci pas du lac, mais du désert.
-
"Timbuktu" n'a rien de ces films à chaud, mimant l'urgence d'une réalité bouleversée. C'est une oeuvre réfléchie qui affirme ses choix, souvent audacieux. Une oeuvre de courage.
-
Le cinéaste mauritanien compense la langueur ambiante de son film par la force de son propos et surtout des idées de cinéma brillantes, ou quand une partie de foot sans ballon prend des airs de moment en suspension, magnifique dans l'absurde.
-
"Timbuktu" est un film étrange, veiné de fulgurances visuelles incroyables dont la beauté et la puissance évocatrice n’évitent pas, hélas, l’ensemble de s’embourber dans un ronron narratif moralisateur et académique.
-
"Timbuktu" est parfois maladroit dans son désir d’entrelacer plusieurs récits dans la grande Histoire, mais il est une réponse poétique et cinématographique à la barbarie, un geste artistique fort de recréation du Mal pour mieux le conjurer.
-
La tension est ici à son comble et la machine judiciaire sans pitié.