Première
par Thierry Chèze
Le Père restera une oeuvre à part dans la carrière de Florian Zeller. Celle des premières fois. Premier Molière de la meilleure pièce en 2014. Première réalisation d'un long métrage. Et premier Oscar, celui de la meilleure adaptation, suivi par celui du meilleur acteur. Oui, pour Zeller, Le Père fut un game changer à répétition. Et l'excellente rumeur qui précédait The Father depuis le festival de Sundance 2020 ne mentait pas. Portée au cinéma, cette oeuvre n'a en effet rien perdu de celle puissance émotionnelle qui vous étreint devant la trajectoire intérieure de cet homme de 81 ans perdant, peu à peu, sa mémoire et ses repères. Mais en passant derrière la caméra, Zeller a surtout eu la belle idée de faire vivre différemment son texte, loin du banal théâtre filmé. The Father se vit comme un puzzle dont, à chaque instant de l'intrigue, une pièce fera toujours défaut. Les mouvements de caméra, la construction du récit, ces personnages (fille, gendre, aide à domicile...) qui apparaissent et disparaissent abolissent la frontière entre la réalité, les souvenirs, les rêves et les cauchemars de ce père qui vacille. L'intelligence de Zeller est d'injecter de la cérébralité dans cet océan d'émotions et d'empêcher ainsi le lacrymal de tout emporter sur son passage. Et la remarque vaut pour l'interprétation d'Anthony Hopkins, plus intériorisée et dépouillée que celle de Robert Hirsch sur scène. Parce que Zeller a conscience que la caméra grossit tout et que chez ce duo aussi exceptionnel qu’Hopkins forme avec Olivia Colman, un simple regard échangé vaut souvent plus que mille mots.