Première
par Frédéric Foubert
Résurgence de l’extrême-droite, cyber-terrorisme, révolte féministe contre les phallocrates et les prédateurs sexuels… Les thèmes des romans de Stieg Larsson n’ont jamais semblé autant d’actualité, plus de dix ans après leur publication. De quoi se réjouir du come-back de Lisbeth Salander dans notre monde post-MeToo. Sur le papier, la hackeuse goth est l’héroïne idéale de l’époque, l’une des silhouettes de fiction les plus pertinentes façonnées depuis le début du siècle. On espérait depuis 2011 une suite à Millenium – les hommes qui n’aimaient pas les femmes, cauchemar entêtant signé David Fincher. Rooney Mara en rêvait, mais Fincher a tourné autour du pot (comme souvent), Sony a renâclé (les résultats du film n’avaient pas été aussi mirobolants qu’espéré) et la suite/reboot qui nous arrive aujourd’hui à été prise en charge par une nouvelle équipe créative. Fede Alvarez, brillant espoir du cinéma d'horreur (le remake de Evil Dead, Don’t breathe) succède au roi Fincher, et c’est Claire Foy (qui conclut ainsi une année faramineuse, entre First Man, le Paranoïa de Soderbergh et son Emmy Award pour The Crown) qui s’est fait le look de la justicière aux idées noires. Les grands yeux tristes et la démarche mi-hagarde mi-conquérante de l’actrice font ici merveille, et donnent l’occasion de fantasmer Salander en néo-James Bond féministe et punk, un rôle générique que des actrices différentes investiraient tour à tour, pour apporter leur humeur, leur vision du personnage, leur idée personnelle de ce qu'il symbolise.
Horreur SM
Reste que passé l’excitation des retrouvailles, Millenium : ce qui ne me tue pas ne procure que des frissons très ponctuels, avec son intrigue ronronnante de thriller de série (une histoire de codes nucléaires que se disputent Lisbeth, des cyber-méchants et un employé de la NSA joué par Lakeith Stanfield). La faute au bouquin adapté (le quatrième tome de la saga, écrit par David Lagercrantz après la mort de Larsson) ? On sent en tout cas régulièrement l’envie de Fede Alvarez de dynamiter le matériau à coups de plans chocs et iconiques – dans le dernier tiers du film, quand les protagonistes se retrouvent dans une immense demeure isolée et que l’action commence à tendre vers l’abstraction, il suffit que la caméra s’attarde un peu sur un corps en train d’agoniser, étouffé par le latex, ou sur une bande de tueurs masqués venus en finir avec Lisbeth, pour qu’on se mette à fantasmer le grand film d’horreur SM que pourrait être Millenium – et qu’Alvarez a peut-être en lui. Mais celui-ci se contente la plupart du de recycler les idées visuelles du film de Fincher (les étendues enneigées de Suède comme paysage mental, la moto de Lisbeth fonçant comme une balle dans le canon d’un revolver…), sans folie, et emballe un thriller engourdi.