Première
par Sylvestre Picard
La Terre est menacée par une horde de Titans, créatures... euh, titanesques hautes comme des gratte-ciels, dotées de pouvoirs cosmiques et d'humeur destructrice. Monarch, une compagnie militaro-scientifique, utilise le lézard géant Godzilla pour empêcher les Titans de détruire la Terre. Pas question de reprocher une milliseconde à Godzilla II : Roi des monstres ce pitch hautement improbable, amoureux que nous sommes des blockbusters gigantesques au parfum estival. Le malheur, c’est que le film ne parvient presque à aucun moment à être à la hauteur de sa promesse de battle royale gigantesque et généreux. Un gros problème d’écriture plombe le film, à tous les niveaux : que ce soit l’écriture des personnages (aucun n’existe), la dramaturgie (aucun personnage ne prend une décision raisonnable de tout le film, certains disent une chose puis son contraire la scène suivante), ou enfin et pire que tout, au niveau du montage, rien ne va. Godzilla II filme des monstres géants : à aucun moment ce gigantisme ne se ressent à l’écran, car la mise en scène se révèle incapable de transmettre la différence d’échelle entre les êtres humains et les Titans. Le moindre Transformers de Michael Bay savait parfaitement gérer cette question d’échelle, et passer du micro au macro. Godzilla II est un blockbuster à l’échelle mondiale où l’on saute de la Chine à Boston en passant par l’Antarctique au mépris de tout respect de l’intégrité spatiale. Sans montée en puissance, pas un instant de répit pour souffler entre deux money shots -et il y en a une tonne, comme le montre la très, très belle bande-annonce ci-dessous, mais ils sont plaqués dans le métrage sans être pensés au sein d’une structure. Un dragon à trois têtes trône sur un volcan : belle image, mais au service de quoi ? Dans quelle histoire ? Sans contexte, la belle image ne sert plus à rien. Sauf à faire une belle bande-annonce.
Détail, ce manque d’écriture ? Non, car ce relâchement laisse passe un sérieux problème de fond : les Titans de Godzilla II ravagent la planète pour la purifier, comme une réaction planétaire à l’horrible pollution que constitue la présence humaine sur le globe. Un discours irritant et récurrent (Thanos dit à peu de choses près la même chose dans Infinity War) qui dévoie le discours écologique du film – plutôt que de détruire une ville d’Amérique Latine, les kaijus feraient mieux de boulotter la Silicon Valley ou la Trump Tower. Normal, dans ces conditions, que Monarch, cette incarnation militaro-industrielle de la pseudo-science, se place au-dessus des lois, et passe outre la commission d’enquête du Sénat au début du film pour faire leur propre loi face aux politiques mous du genou (la démocratie, décidément, ne sert pas à grand-chose). On pourrait se demander ce que vient faire la politique dans Godzilla : c’est pourtant, dès le premier film de 1954, dans l’ADN de la franchise que de faire d’un gros lézard radioactif l’incarnation d’une peur colossale et écrasante. Tant qu’à donner un sens au film de kaiju, Godzilla Resurgence (Shin Godzilla), écrit et co-réalisé par l’immense Hideaki Anno (Evangelion), est un film vertigineux et divertissant, politique et radicalement actuel, constamment épatant. Bref, tout ce que Godzilla II : Roi des monstres n’est pas. Dommage qu’il ne soit toujours pas sorti en France.