Première
par Sylvestre Picard
Certaines visions de "Fury" vont rester longtemps dans les mémoires : les cadavres de civils pendus à des poteaux électriques, le corps écrasé par la chenille d’un tank et mêlé à la boue, Brad Pitt qui s’effondre en larmes en cachette de ses hommes et devant des prisonniers allemands, etc. Des visions qui éclatent au milieu d'un film assez classique, où l’équipage du tank massacre le plus d’ennemis possibles dans des gerbes de sang. Les scènes de guerre sont particulièrement bien shootées, évitant l’addition illisible shaky cam/jump cut au profit d’une utilisation intelligente de l’espace et du rythme. (...) Deux heures de massacre. Une longue scène au milieu de métrage où les soldats mangent chez deux civiles allemandes assez classique (la guerre qui sépare les peuples, les hommes et le femmes, tout ça) essaie de faire respirer le film, mais "Fury" ne joue pas la rupture. Avec ses citations récurrentes et littérales de la Bible, Ayer s’inscrit dans la tradition religieuse - voire déiste - du film de guerre américain, où le conflit est vu comme une expérience quasi mystique : affrontement du bien contre le mal et transformation de l’homme par le combat. A l’arrivée, on peut ainsi voir "Fury" comme le récit de la transformation d’un jeune homme à peine pubère (Logan Lerman, très bon) en machine à tuer (le surnom qu’il gagne auprès de ses camarades à la fin du film est éclairant) par le truchement de l’industrie lourde. Le film s’achève là-dessus et ne pousse pas plus avant l’analyse, non pas de peur qu’elle n’embourbe le tout dans les tranchées de l’intellectualisme mais bien parce qu’il ne s’agit pas du but de David Ayer avec "Fury". Qui est avant tout de livrer un gros film de guerre bourrin et explosif. C’est à la fois sa limite, et sa qualité. Et le monde passe, et sa convoitise aussi.