Première
par Frédéric Foubert
Retour à la fiction pour Sergei Loznitsa, après une demi-douzaine de documentaires. Le cinéaste ukrainien dépeint dans Deux Procureurs le périple kafkaïen d’un jeune procureur de la ville de Briansk, au sud-ouest de Moscou. On est en 1937, au sommet de la terreur soviétique, et ce bolchévique idéaliste va peu à peu prendre conscience de la réalité des purges staliniennes, en voulant défendre un prisonnier politique qui est miraculeusement parvenu à lui envoyer un message de détresse, rédigé en lettres de sang. Format carré, plans fixes, couleurs ternes, le film est un voyage au ralenti, au cours duquel le protagoniste s’enfonce progressivement dans les entrailles de la machine totalitaire, au fil d’une succession cauchemardesque de portes de prison à déverrouiller, de conversations illogiques, de salles d’attente où on le fait poireauter des heures, de pérégrinations en train de nuit brinquebalant, à écouter des laissés pour compte de l’URSS raconter leur propre odyssée absurde. L’apprenti justicier finira par comprendre que le monde qu’il arpente a changé, que la vérité du bolchevisme a été redéfinie par les hommes au pouvoir, ceux qui décident qui a raison et qui a tort. La simplicité de la fable pourra surprendre, venant d’un cinéaste qui nous a habitués à des dispositifs plus complexes. Mais la force du film réside justement dans cette frontalité, ce caractère implacable, cette sensation de mauvais rêve qui s’insinue lentement, et dont Loznitsa nous dit très clairement que, loin d’être circonscrit au passé, il menace toujours de revenir nous hanter.