La comédienne américaine a de son côté remercié la France pour son "accueil toujours chaleureux."
Le 50e festival du cinéma américain de Deauville vient de se terminer, et ce week-end, Natalie Porman y a reçu un prix prestigieux, le Deauville Talent Award. Un trophée remis par l'une de ses consoeurs françaises, Isabelle Adjani, qui a livré devant le public un discours touchant, retraçant à la fois la carrière de la comédienne talentueuse de Léon et de Black Swan, mais aussi son parcours de femme.
Nous le retranscrivons ci-dessous, avec un extrait de cette prise de parole forte en vidéo, puis en fin d'article, la réponse de Natalie Portman, émue par cet honneur.
"You know, I think that movies are a conspiracy. They are a conspiracy because they set you up. They set you up to believe in ideals… and of course, love."
Extrait de dialogue de la grande Gena Rowlands dans Minnie and Moskowitz de John Cassavetes.
"C’est un drôle de mot, « conspiration », qu’est-ce que ça veut dire ? Ça pourrait vouloir dire que le cinéma n’est pas qu’une industrie ou un divertissement, et qu’il intervient sur le réel, et s’il conspire pour nous faire croire aux idéaux et à l’amour, il ne le fait pas seul ; l’écriture et la réalisation, portées par la production, sont complices de cette conspiration, et surtout, le deus ex machina de la conspiration, ça se passe du côté des acteurs, et à mes yeux, plus encore du côté des actrices ; je crois que vous, Natalie Portman, n’avez cessé d’incarner ces films qui ont conspiré pour ne pas nous nuire… Oui, vous êtes une sublime, grande conspiratrice, dont le cinéma a besoin.
Mais dans mon humble capacité, en préparant cet hommage, je me suis demandé... Qui est Natalie Portman ? Une actrice plurielle, qui joue et ne joue pas, une beauté de tous les temps, l’intellectuelle diplômée de Harvard, une égérie de luxe... L’air de rien, une féministe engagée, soutien de la cause animale, autrice d’un livre pour enfants, citoyenne du monde autant que star, réalisatrice, productrice ?
Comment êtes-vous devenue cette star de cinéma, du cinéma tout entier, qui se confond avec vous, et vous avec lui ? Que faut-il avoir de plus pour donner un sens puissamment humain, humaniste, à la définition de star ? Que faut-il ? Peut-être, justement, un chemin atypique et transfigurant comme le vôtre. Le cinéma et vous, ça a commencé très tôt et de façon fracassante.
Tu avais 13 ans, et personne n’a oublié le personnage de la petite Mathilda qui résistait si bien dans cet univers d’hommes. 13 ans, c’est aussi l’âge où tu as ouvert ta première lettre de fan, tu étais toute enthousiaste, jusqu’à ce que tu y lises le fantasme insupportable d’un homme qui t’a confondue avec le personnage. Les réseaux sociaux n’existaient pas encore, mais l’indécence et le harcèlement existaient déjà. A 16 ans tu refusais le rôle sexualisé de Lolita pour interpréter Anne Frank à Broadway. Je ne m’éloigne pas tant que ça du cinéma en insistant sur cet aspect de tes débuts…
On sait bien que MeToo a débuté dans notre monde étincelant du cinéma dont il a révélé l’envers du décor… C’est devenu un mouvement international, les témoignages ont été si nombreux que le monde, et aucune profession concernée, n’a pu continuer à les ignorer. Cette fois-ci il se passait quelque chose, cette fois-ci il y aurait un avant et un après. Les femmes ne sont pas seules.
MeToo a grandi, notamment grâce à vous, Natalie, qui avez été l’une des portes-parole du mouvement Time’s up créé en réponse à l’affaire Weinstein, on se souvient aussi de votre discours à l’UNESCO pour dénoncer les violences faites aux femmes. Merci, Natalie. Pareil engagement signe votre intégrité, votre cohérence, votre exigence par rapport à vous-même et par rapport aux autres, une exigence que vous enracinez dans votre histoire, vos valeurs, vos croyances."
Natalie Portman revient sur Léon : "Ce film m'a donné une carrière mais il est vraiment gênant""Reprenons le chemin du cinéma. Dans le désordre, tu t’es retrouvée propulsée dans les galaxies en devenant la nouvelle Reine de Naboo de Star Wars, la menace fantôme de George Lucas. Tu entres à Harvard juste après la sortie du premier volet, où tu entames des études de psychologie… la suite sera un rêve de cinéma : Closer de Mike Nichols, V for Vendetta de James McTeigue, rôle pour lequel tu fais preuve d’une grande résistance physique et émotionnelle, Heat de Michael Mann, où tu es la belle-fille d’Al Pacino, puis c’est un petit tour du côté de chez Woody Allen, puis Mars Attacks de Tim Burton, Goya’s Ghosts de Milos Forman, My Blueberry Nights de Wong Kar-Wai, Knights of Cups, et Song to Song de Terrence Malick, Ma vie avec John F. Donovan de Xavier Dolan… Sans oublier Garden State de Zach Braff ; ce que tu fais dans ce film a beaucoup influencé les années 2000.
Et puis le sacre ! Black Swan de Darren Aronofsky, forcément Black Swan, film dingue dans lequel ta performance est dingue, quoi dire de plus ? Un deuxième sacre, celui de ton interprétation dans Jackie de Pablo Larraín ; qui d’autre que toi pouvait incarner cette femme sous la forme de la déconstruction d’un personnage ?
La suite ? Une Professeure de biologie qui se bat contre sa réplique extraterrestre dans le film Annihilation. Et ça ne s’arrête jamais avec toi : May December de Todd Haynes, face à une formidable Julianne Moore, tu entames ton troisième sacre dans ce film génial d’une poésie inouïe hyper virtuose. Il y a eu All about Eve, il y aura désormais May December.
De toi, il faudrait trouver comment tout dire… Et ces images qui vont suivre et mettent ta carrière à l’honneur, dans un film conçu par le festival de Deauville pour sa 50e édition, seront bien sûr l’illustration prestigieuse de cet hommage à ta beauté, à ton intelligence, à ton talent, chaque qualité est unique chez vous… Mais cet hommage serait beaucoup plus facile, Natalie, si tu n’étais que cette actrice, une actrice et une carrière qui fait de toi une des stars les plus brillantes du septième art mondial. Mais tu es aussi Natalie Herschlag, américaine et israélienne, née à Jérusalem, devenue réalisatrice engagée en passant derrière la caméra pour adapter et réaliser A Tale of Love and Darkness, de Amos Oz. Et dans la série Lady in the Lake, réalisée par Alma Harel et dont j’attends de voir le dernier épisode, où tu crèvesl’écran comme toujours, cette fois pour utiliser, de façon magistrale, vos convictions féministes afin de témoigner de la lutte des femmes dans la société politiquement rance des années 1960.
Comment ne pas être ébloui par ta personnalité ? Chez toi, tout est si pensé, senti, empreint de présence et de mystère à la fois.
Bon, c’est quand même « trop chelou » les hommages… Chelou… Toi qui a appris le verlan, oui, oui… Tu as appris à dire ça en vivant à Paris…Il y en a une qui a su trouver les mots, et quels mots ! C’est Rihanna quand elle t'a dit « You are / one of the hottest bitches / in Hollywood / for ever ! » La petite vidéo de votre rencontre à Paris est devenue virale et c’est normal, c’est tellement drôle et puis vous exprimez toutes les deux quelque chose qui va devenir de plus en plus important : la sororité.
Merci Natalie, pour ce que tu représentes, une vision pleine d'espoir et de joie qui va du cinéma à la vie et de la vie au cinéma. Le cinéma a besoin de la force et de la vulnérabilité des actrices, il a besoin de leur corps et de leur cœur, il a besoin de leur silence et de leur musique, il a besoin de leur enfance et de leur avenir, il a besoin de leur éternité, il a besoin de toi, Natalie Portman. Tu es un guide pour les actrices, et pour moi également… Et comme dans la chanson, il a un si joli nom, mon guide…
Natalie."
Voici un extrait du discours de Natalie Portman, partagé sous-titré en français par les organisateurs du 50e festival de Deauville :
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