Le dernier long-métrage de l’américain Paul Schrader, sorti direct-to-video il y a deux ans, débarque sur Netflix. L’occasion de revenir sur les traces profondes qu’il a laissées.
Comment un tel film a-t-il pu débarquer dans les bacs vidéo sans passer par la case cinéma, qui plus est, affublé d’un titre pareil ? Sur le chemin de la rédemption (First Reformed en v.o) de Paul Schrader, présenté à la Mostra de Venise en 2017, est pourtant l’un des plus grands films de son auteur. Si Schrader est surtout connu pour être le scénariste de Taxi Driver ou de Raging Bull, le cinéaste a signé plusieurs sommets : Blue Collar, Hardcore, American Gigolo, Etrange séduction, Affliction... Sur le chemin de la rédemption avec Ethan Hawke et Amanda Seygfried est un remake à peine déguisé du Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson (1951), adaptation d’un roman de Bernanos autour du destin contrarié d’un prêtre catholique.
Bresson, cinéaste de l’épure et de l’ascèse est l'auteur également de Pickpocket (1959), film que Schrader vénère au point d’avoir écrit un essai sur le style transcendantal au cinéma en se basant quasi entièrement sur les théories bressioniennes. Les fans savent peut-être aussi que le dernier plan d’American Gigolo est calqué trait pour trait sur celui qui clôt Pickpocket. Il y a chez Schrader la recherche constante d’un état de grâce propre à cautériser les plaies des âmes en peine. Elevé au sein d’une famille calviniste membre de l’Eglise réformée en Amérique du Nord, Schrader a gardé de cet héritage religieux une violence intime, comme si le cinéaste devait constamment expier ses fautes. Il y a ainsi dans son cinéma une fascination pour les comportements extrêmes, de ceux qui obligent les êtres à choisir entre le bien et le mal, si tant est que la frontière soit très claire. A l’instar de Bresson, Schrader interroge l’humain, l’oblige à aller chercher aux fonds de ses tripes une vérité dont la pureté n’est bien-sûr pas toujours avéré. Mais avant d’en arriver là, il y aura bien-sûr eu une longue période de doute. Le pêcheur contemple les cieux attendant une réponse qui ne vient pas. C’est ce cheminement intérieur et ses bouleversements sur l’extérieur, qui rejaillit sur l’écran. Dans une interview donnée au journal Libération en janvier dernier pour accompagner la rétrospective de son œuvre au Forum des Images à Paris, Schrader résumait l’intrigue de ses films ainsi : « C’est l’histoire d’un homme masqué assis seul dans une chambre en attendant que quelque chose advienne... »
Notre interview de Paul SchraderEn attendant l’Apocalypse
Le masque du héros de Sur le chemin de la rédemption se fissure de partout. Ernst Toller (Ethan Hawke) est un révérend calviniste au teint pâle, solitaire et malade. On le voit d’ailleurs plusieurs fois la tête penchée sur la cuvette des toilettes crachant du sang. Appelé au chevet d’un couple dont le mari, un activiste écolo, lui annonce peu ou prou l’Apocalyspe, il se retrouve confronté à un dilemme moral : poursuivre sa mission au sein d’une église en grande partie financée par une entreprise polluante qui s’achète une virginité à coup de dollars ou poursuivre la mission suicide du pauvre bougre dont il n’a pu empêcher le suicide. On repense alors à ce magnifique plan d’ouverture, un lent travelling avant sur la façade d’une église dans l’obscurité cadrée en légère plongée. Ce mouvement portait déjà en lui les stigmates d’une inquiétude en marche.
Le turbulent Paul SchraderUn cadre fermé à double tour
L’action se passe dans une petite ville industrielle de l’état de New York. La lumière blafarde qui recouvre les rues enneigées embaument un peu plus Ernst Toller. En voix off les passages de son journal verbalisent ses doutes. Toller, on l’apprend assez vite, ne s’est jamais remis de la mort de son fils, mort en Irak quelques années plus tôt. Schrader le filme tel un spectre au pays des vivants (peu nombreux ici) et dont la mort effective semble annoncée. Que reste-il au bord de l'abîme? Une foi qui jamais ne vacille. Il y aussi l'amour pour son prochain, en l'occurrence ici, la jeune Mary (!), dont le révérend entend préserver la pureté. Dans une séquence absolument sidérante, on voit Mary (Amanda Seygfried) venue chercher un peu de réconfort chez son confesseur, s’allonger tout habillée sur le corps de ce dernier. Cette union chaste entraîne immédiatement une lévitation. Bientôt, un cosmos idéalisé et protecteur entoure le couple. Mais l’extase divine est vite réprimée par la vue de différents paysages de notre planète, abimés par la main de l’homme, au-dessus desquels volent nos « amants », impuissants.
Que regardait Paul Schrader durant le confinement?Pas de musique sur ce Chemin de la rédemption, sinon un bourdonnement inquiétant dont les surgissements indiquent l’inéluctable. Le format carré de l’image, emprisonne un peu plus les êtres dans un cadre fermé à double tour. La caméra le plus souvent statique impose un regard implacable sur ce crépuscule. C’est seulement aux deux extrémités du film que les mouvements surgissent. Au lent mouvement inaugural devant l’église répond un travelling circulaire et agité dans les derniers instants. L’arrêt brutal de cette danse, laisse le spectateur complètement désemparé. Quelque chose est bien advenue, le masque est tombé. Un miracle.
Sur le chemin de la rédemption (First Reformed) de Paul Schrader. Avec : Ethan Hawke, Amanda Seygfried... 1h53. Disponible sur Netflix.
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