Stanley Donen vient de mourir
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Le réalisateur de Chantons sous la pluie s'est éteint à 94 ans. Avec Stanley Donen c'est un géant du cinéma et de l'âge d'or d'Hollywood qui disparaît.

On connaît la phrase : « Tourner un film, c'est comme faire l'amour, quand c'est bien, c'est très bien ; quand c'est pas terrible, c'est bien quand même… »

Ce qui est bien c'est qu'avec Stanley Donen ce fut souvent très bien. Et même plus que ça. C'est simple on lui doit au moins un chef-d'oeuvre (LE chef-d'oeuvre) du cinéma - Chantons sous la pluie - ainsi qu'une poignée de classiques connus (Mariage Royal, Beau Fixe sur New-York, Drôle de frimousse) ou moins connus voire méconnus (le génial Sept femmes de Barbe-Rousse ou Voyage à deux). C'était un cinéaste qui faisait des films comme son double, Gene Kelly, dansait : avec aisance, souplesse, élégance et surtout un sens du rythme terrassant.  

Donen est né à Columbia en Caroline du Sud en 1924. Issu d'une famille sudiste mais de confession juive, c’est dans doute ce qui explique son envie d’ailleurs. Enfant, le gamin se passionne très tôt pour le cinéma et fréquente les salles obscures de sa ville. C’est là qu’il découvre Fred Astaire. Le choc. Violent. Un peu de piano, de la clarinette, puis, la danse. « On me traitait de pédé, mais je m'en fichais » expliquait-il dans une interview. Il s’en moque d’autant plus que c’est cette discipline lui permet de tenter sa chance à New York à 15 ans. Donen décroche un premier emploi à Broadway dans Pal Joey et c’est là qu’il rencontre Gene Kelly. Entre le pied tendre qui sait architecturer les numéros de danse comme personne et la vedette bondissante qui est en train de s’imposer, c’est un coup de foudre professionnel d'où naîtra une amitié durable…  Kelly a besoin d'un assistant qui l'aide à mettre au point ses numéros, et il choisit Donen. Leur relation va plus loin : les deux danseurs traînent ensemble et font des fêtes somptueuses emmenant dans leur sillage des artistes new-yorkais célèbres comme Frank Sinatra, les auteurs Betty Comden et Adolphe Green ou le génie Leonard Bernstein.

Leur duo fait des étincelles que le milieu ne va pas pouvoir ignorer trop longtemps. Les pontes de Broadway comme les financiers d'Hollywood sentent qu'il se passe quelque chose. En 45, Kelly et Donen travaillent sur Escale à Hollywood de George Sidney. C’est Donen qui a l'idée du numéro entre Kelly et la souris de dessin animé, Jerry. La réputation du chorégraphe est faite. Ne manquait qu'un coup de pouce. Il viendra d'Arthur Freed. Sudiste comme Donen, le patron du département « musical » de la MGM a flairé le génie et il veut donner sa chance au duo. Il accepte de les laisser faire Un jour à New York. Racontant sur une journée les tribulations de trois marins permissionnaires dans New-York, le film révolutionne le cinéma et la comédie musicale parce que pour la première fois, et bien avant la Nouvelle Vague ou West Side Story, la caméra quitte le studio, s'aventure dans les rues, mélange le moderne et la tradition. Ca swingue, ca pleure, ça irradie de bonheur : c’est une merveille. Tous les techniciens sont contre (« ce qui ne peut pas se tourner à Culver City ne se tourne pas »), mais Kelly et Donen imposent une énergie, un sens du rythme, une jeunesse et une inventivité formelle que personne ne peut contrer et qui dépoussière le genre.

Donen a 28 ans (28 ANS !!) et il enchaîne avec son deuxième film. Les semelles de feu de Gene Kelly, la danse sous la pluie, les jambes de Cyd Charisse, « Good mornin »… Invention constante, satire légère, joie inoxydable et nostalgie colorée : Chantons sous la pluie est un film parfait. Un rêve de cinéma qui contient à la fois le style du cinéaste dans toute sa pureté – son énergie de vivre, sa manière folle de retranscrire la vie en dansant et son optimisme à toute épreuve - et résume le génie de Kelly tout en synthétisant la philosophie de la Freed Unit. Il ne fera jamais mieux. D'ailleurs, personne d'autre ne fera jamais mieux. 

Si les relations avec Gene Kelly se refroidissent un peu (ils feront un dernier chef-d'oeuvre ensemble quelques années plus tard, Beau Fixe sur New-York), Donen continue de montrer son talent et signe Les Sept Femmes de Barberousse en 54 et Drôle de frimousse trois ans plus tard qui lui permet d'offrir à Fred Astaire son dernier rôle dansé et surtout inaugure une collaboration fructueuse avec Audrey Hepburn. Le duo va en effet collaborer sur trois films : cette comédie musicale, une parodie de film noir pétillante et stylée (Charade) et une comédie dramatique déchirante (Voyage à deux). Trois films à la thématique et à la tonalité différentes, mais qui outre le sens du tempo, la compétence technique, montrent la vraie force de Donen : sa compréhension des acteurs.

Après les 60's, le genre s'effondre et Donen abandonne le musical pour la comédie romantique. Il y aura des films plus modestes (Bedazzled), mais à toutes les époques, on retrouvait toujours sa patte (ironie, génie des couleurs jusqu'au kitsch, chatoiement des dialogues) et son envie débordante d’explorer des territoires nouveaux (l’espionnage parodique avec Charade ou Arabesque, la comédie sentimentale avec l’incroyable Voyage à deux, la comédie musicale engagée avec Pique-nique en pyjama). 

Sa fin de carrière est plus oubliable, mais c'est sûr, ce soir une partie de la magie hollywoodienne vient de quitter la terre. Et on va tous avoir envie de chanter sous la pluie...