La crise économique, c’est le vrai sujet de Lost River, ou juste un bon terrain pour explorer vos traumatismes d’enfance ?
(rire) Aucun des deux. Tout est parti de ma vision de Detroit. Je suis Canadien, et j’avais une vision totalement fantasmée de cette ville, qui est le foyer de la Motown, du rêve américain. Et quand j’ai fini par y aller, je suis tombé de haut. J'ai découvert des dizaines de kilomètres de quartiers abandonnés, où on ne croise plus que quelques familles qui luttent pour garder leur maison. Ca paraît irréel, fantasmé, mais c’est bien réel. J’ai été frappé par ces gens qui s’accrochent à leurs rêves mais vivent en fait un cauchemar. Et j’ai eu l’envie soudaine de faire un film sur eux, sur ce qu’ils étaient en train de vivre. Mais je ne voulais pas en faire un tract politique, ce qui m’intéressait c’était d’explorer les émotions, et il m’a semblé que d’en faire un conte était le meilleur moyen de connecter émotionnellement avec cette histoire.
Mais ces visions de quartiers dévastés, désertés de leurs habitants, ça dit quelque chose de très fort sur les ravages de la crise.
Oui, parce que ces visions dont vous parlez, en elle-même, paraissent absolument irréelles alors qu’elles sont la réalité. Et ça on n’a pas besoin de mise en scène pour le montrer, ça saute aux yeux. Et justement parce que la situation de ces gens est dramatique, c’était compliqué d’amener le public à la regarder en face, ça aurait fini en documentaire sur Detroit ou en œuvre engagée que personne n’aurait eu envie de voir. En faisant de ce réel un conte, sans intellectualiser, on pouvait peut-être réussir à toucher le public autrement, à lui parler d’émotion et non de politique
Vous croyez toujours au rêve américain ?
Je pense que le rêve de ces gens des quartiers est devenu un cauchemar, mais il ne s’agit que d’une partie de Detroit. Je voulais aussi tourner là-bas parce qu’il s’y passe un truc, la ville est en train de renaître et de se réinventer, de retrouver une énergie créatrice. C’était compliqué de trouver l’équilibre mais on voulait que Lost River garde quand même une lueur d’espoir, sans ignorer le désespoir des gens qu’on filme.
Le film n’aurait pas pu se passer ailleurs qu’à Detroit ?
Non. Parce que ce n’est pas comme si j’avais eu une idée et que j’avais cherché le bon endroit pour la réaliser. J’ai eu l’occasion d’aller travailler là-bas, et c’est en me promenant dans ces quartiers que l’envie de faire mon film est née. Tout est parti de là. C’est compliqué de séparer Lost River de Detroit, et en même temps Lost River est un conte précisément pour lui donner une portée universelle. Il y a des Lost River partout dans le monde.
Detroit est aussi devenu le modèle esthétique du film.
Oui. Les maisons qui brûlent, je les ai vues brûler. J’ai vu des familles assises devant leur maison en train de regarder celle de leurs voisins d’en face être détruites ou brûler, comme si de rien n’était, comme s’il s’agissait d’un truc totalement normal qui arrive tous les jours. Je me suis dit que si je ne filmais pas ça tout de suite, bientôt il n’y aurait plus rien à filmer. J’ai acheté une caméra RED et pendant un an, je suis allé à Detroit dès que je pouvais et je filmais les maisons en démolition. Sans m’en rendre compte, j’avais commencé mon film. L’équipe, les acteurs sont arrivés en cours de route.
C’est un projet très personnel. Comment vous avez géré la réception critique, assez dure, à Cannes et aux Etats-Unis ?
C’est mon premier film, je suis un débutant ; je pense qu’on ne peut pas monter sur le ring et se plaindre de prendre des coups. C’est le jeu.
Vous pensez que les critiques sont plus durs quand un acteur passe à la réalisation ?
Oui. Généralement, quand un acteur passe derrière la caméra, il a tendance à refaire ce qu’il a déjà fait avant. Moi j’ai fait un film très personnel, très différent des films dans lesquels j’ai joué, et en plus je ne suis pas à l’écran. Je savais que je m’exposais à la critique, mais ce n’était pas une raison suffisante pour me décourager.
Vous comptez recommencer ?
Oui, bien sûr. J’ai hâte.
Vous avez un projet ?
Non, pas encore. Mais vous savez, ce qui était super avec ce film c’est qu’il est né naturellement, d’une expérience vécue que j’ai eu envie de partager. Je crois que c’est comme ça que j’ai envie de faire du cinéma. Dans un élan spontané.
C’était nécessaire pour vous de travailler avec des gens avec qui vous aviez déjà travaillé avant ?
Oui. Je suis persuadé que c’est comme ça qu’on bosse le mieux, entouré de ses amis ou de gens en qui on a déjà confiance. Je travaille avec la même équipe quasiment depuis mes débuts. Pour le casting c'est pareil, j’ai écrit des rôles pour des acteurs que j'avais déjà en tête.
On peut parler de la séquence dingue de Ben Mendelsohn ?
Cette scène où il danse ne vient pas de nulle part justement : quand on tournait The Place Beyond the Pines, il débarquait sur le plateau avec sa chaîne stéréo sur l’épaule en train d’écouter 2 Live Crew, de chanter en se prenant pour Al Jolson (chanteur de music-hall d'avant guerre et star du Chanteur de jazz, 1927) et de danser. J’avais envie d’écrire quelque chose pour lui, une scène où on le verrait danser et montrer ces trucs dingues qu’il fait et que moi je n'avais jamais vus dans un film.
C’est volontairement que vous travaillez surtout avec des acteurs télé ?
Intéressant, je n’y avais pas pensé. Je viens aussi de la télé, c’est peut-être pour ça. Et il se trouve qu’on y trouve de très grands acteurs.
Vous savez que Lynch a annoncé qu’il laissait tomber la suite de Twin Peaks ?
J’ai entendu ça oui.
Vous pourriez réaliser à sa place ?
(rires) Je n’oserais pas ! Vous oseriez, vous ?
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