Romane Bohringer Philippe Rebbot
Domine Jerome/ABACA

Prix du public au festival d’Angoulême, le savoureux et très autobiographique L’amour flou, co- réalisé avec son ex- compagnon Philippe Rebbot, marque le grand retour sur grand écran de Romane Bohringer. Retour sur cette première expérience derrière la caméra et son amour intact du cinéma.

L’amour flou marque vos débuts derrière la caméra. Est-ce que l’envie de réaliser vous taraudait depuis longtemps ?

Romane Bohringer : Ca correspond assez bien à mon tempérament. J’ai d’ailleurs mis en scène une pièce de théâtre il y a 15 ans. Mais comme une pulsion, quasiment sans réfléchir. Dès que je commence à gamberger, je ne vais pas au bout. Je le sais puisque j’ai déjà essayé d’écrire un court- métrage puis un scénario de long avant, à chaque fois, de renoncer. Je trouvais le résultat trop pesant, trop mélo. J’ai toujours eu cette sensation de ne pas savoir aligner deux mots intéressants à la suite.

En quoi L’amour flou a-t-il changé la donne ?

Parce qu’il n’y a eu aucun moment de gamberge. Tout est parti de ce qui nous est arrivé dans la vraie vie avec Philippe (Rebot) : notre séparation et le traumatisme qu’implique toute rupture. Puis, soudain, cette solution de deux appartements séparés, communiquant par la chambre de nos enfants – le « sépartement » - qui a tout transformé en gaieté. On s’est mis à raconter autour de nous ce qu’on vivait jusqu’à ce soir de Noël où un de nos amis nous a suggéré d’en faire un film.

Ca a été pour vous tout de suite une évidence ?

Oui ! Dès le lendemain, j’ai eu le film en tête. Une comédie sentimentale, mon genre préféré. Et dès lors, cela ne m’a plus quitté.

Ce fut une évidence que vous le réaliseriez vous- même avec Philippe Rebbot ?

On s’est évidemment posé la question. Mais puisqu’on allait raconter nos vies, on ne voyait pas qui allait nous diriger et nous indiquer comment être juste. On a donc décidé de le réaliser nous- même, accompagné d’un directeur de la photo, Bertrand Mouly, celui de Nos enfants chéris, le film où nous nous étions rencontrés. Et on s’est jeté à l’eau très vite. Car quinze jours plus tard, les travaux commençaient dans l’immeuble où nous allions nous installer. Il fallait donc filmer des images avant. On a écrit une première scène à quatre mains. Bertrand et l’ingénieur du son de Nos enfants chéris ont accepté de nous suivre et ont eu une croyance incroyable en notre projet. Cette première séquence tournée dans la joie a donné le la pour la suite.

Comment réussissez- vous ensuite à financer le film ?

Bertrand en a parlé à Sophie Révil d’Escazal Films qui a demandé à me voir dans les 48 h. Je lui ai alors pitché nos idées : mêler comédiens professionnels et amateurs, des choses très écrites et des improvisations, quelque chose de très intime et un ton classique de comédie. Le film était là, désordonné mais présent. Et avec son associé Denis Carot, elle m’a dit banco sans ne rien avoir lu. Ils m’ont confié 180 000 euros. Dès lors, on a vraiment construit le film en le faisant.

La réussite de L’amour flou tient dans la manière dont en racontant quelque chose de très intime, vous tendez vers un propos universel. Avez- vous douté d’y parvenir ?

Philippe comme moi sommes extrêmement pudiques dans la vie. Quand mon père avait réalisé C’est beau une ville la nuit qui racontait nos vies, j’avais par exemple été très gênée de jouer dans son film. Donc avec L’amour flou, j’avais la certitude que si, à un moment, on versait dans l’impudeur,  ça m’aurait instinctivement dérangée et j’aurais arrêté net. En tournant, j’ai d’ailleurs tout le temps eu l’impression de raconter une autre histoire que la nôtre ! Et les scènes où je sentais sur le plateau qu’on dépassait la limite n’ont pas résisté au montage

Et vous avez pris plaisir à mettre en scène ce petit monde ?

Enormément. Filmer Philippe est extraordinaire. Si je suis la locomotive du film, il en est l’âme et le poète. Sachant que rejouer des scènes que tu as déjà vécues dans la vie est un vrai défi pour un comédien. Vous ne pouvez pas savoir combien de fois j’ai pleuré de voir les scènes que j’ai écrites prendre vie. Cela ne m’a pas empêché d’être sans état d’âme au montage. De couper des scènes que j’adorais – dont celles avec Céline Sallette qui incarnait une fée – mais qui ne fonctionnaient pas dans l’ensemble.

L’amour flou a obtenu le prix du public à Angoulême où on percevait le plaisir des spectateurs de vous retrouver comme comédienne à l’écran. L’avez- vous ressenti ?

Les gens m’ont toujours témoigné de la sympathie. On me parle des Nuits fauves comme si c’était hier. Tout comme on me demande sans arrêt pourquoi on ne me voit pas plus au cinéma

Vous avez la réponse ?

Pourquoi le téléphone a-t-il arrêté de sonner il y a 10 ans ? Je n’en ai toujours aucune idée. Mais j’ai eu cette chance inouïe que le théâtre prenne une telle importance dans ma vie. Grâce à lui, j’ai pu continuer à faire mon métier avec des rôles de malade, des textes sublimes et des metteurs en scène qui m’ont fait grandir. Je suis une bien meilleure actrice que je ne l’étais il y a 20 ans. Je n’ai donc aucune amertume. Mais j’aime le cinéma. Profondément. Quand Yann Gonzalez vient me chercher pour Un couteau dans le cœur, je suis tout à la fois émue, fière et excitée de faire partie de son univers. Idem quand Maiwenn vient me proposer Le bal des actrices. Mais je n’ai pas fait L’amour flou pour me donner un rôle. Ca me rend évidemment heureuse que les gens soient contents de me voir sur grand écran. Mais le théâtre me nourrit tellement que mon rapport au cinéma a changé. Il reste sacré mais pas une obsession. J’attends les scénarios comme on attend un prince charmant…