Memories of Murder, Parasite, Les Bonnes étoiles : Song Kang-ho commente sa filmographie
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Figure essentielle de la nouvelle vague coréenne, l’acteur est à l’affiche des Bonnes Étoiles de Kore-Eda. L’occasion de revenir sur les moments marquants d’une carrière exceptionnelle.

JSA :Joint Security Area de Park Chan-wook (2000)

Histoire d’une amitié fatale entre quatre soldats du Nord et du Sud dans la zone démilitarisée, ce chef-d’œuvre offre à l’acteur un rôle complexe et ambigu. Et surtout son premier vrai carton public.

« Ma première apparition au cinéma, ce fut dans Le jour où le cochon est tombé dans le puits de Hong Sang-soo ; j’avais un tout petit rôle. Le film était emblématique de la nouvelle vague coréenne, mais pour moi, le cinéma était surtout un moyen d’arrondir mes fins de mois. J’ai enchaîné avec Green Fish de Lee Chang-dong et Nom de code : Shiri de Kang Je-gyu qui m’a fait un peu connaître. Ensuite, JSA a tout changé. C’était le troisième film de Park Chan-wook. Les deux précédents n’avaient pas marché. Je ne le connaissais pas à l’époque, mais lui avait vu Foul King, le film de catch de Kim Jee-woon. Il avait aimé mon côté humoristique et pathétique à la fois et c’est ce qui l’avait décidé à m’approcher. Park Chan-wook est un réalisateur très “scientifique”, très rationnel. Son scénario est toujours très précis ; tout est réglé au millimètre. JSA a été très important : c’était un film produit par une major et ce fut un immense succès. D’un point de vue culturel, il a changé notre manière de voir les choses : beau- coup de Sud-Coréens avaient une image très stéréotypée des Nord-Coréens. JSA nous a permis de les regarder comme des êtres humains. C’est le génie de Park Chan-wook : il posait un problème et nous offrait en même temps la solution. »

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Song Kang-ho dans JSA
La Rabbia

Sympathy for Mister Vengeance de Park Chan-wook (2002)

Song Kang-ho est le monsieur Vengeance du titre. Il n’arrive qu’à la moitié du film, mais fait vriller le thriller racé pour l’entraîner vers le gore et la folie. Une performance inoubliable.

« J’ai d’abord refusé le rôle. Trois fois de suite. À l’époque où Park Chan-wook me l’a proposé, ce genre de film était impensable – évidemment aujourd’hui on fait des choses bien plus radicales ou violentes. Mais au début des années 2000, c’était choquant. En lisant le script, je m’étais de- mandé : “Pourquoi est-ce que des gens auraient envie de voir un truc pareil ? Ce ne sera jamais commercial ! Et d’ailleurs personne ne sera assez fou pour le produire...” Ce n’était pas seulement la violence qui me repoussait : son esthétique aussi me gênait. Et puis Park Chan-wook est venu une dernière fois me demander de jouer le père. Et j’ai dit oui... pour les mêmes raisons qui m’avaient conduit à refuser auparavant. C’était anti- commercial ? Choquant ? Est-ce qu’un film pareil était même possible ? Oui, c’était effrayant, anxiogène, et c’est précisément pour cela qu’il fallait que je le fasse. Ça peut paraître paradoxal mais c’est au fond le di- lemme de l’acteur, son ironie même! À un moment donné, je me suis dit : “Ce que pense le public, je m’en fous. Ce qui compte c’est de savoir si j’en ai envie.” J’ai adoré ce tournage, à tel point que je me disais que ce film serait peut-être un succès. Évidemment, ce fut un échec. Mais Park Chan-wook avait le sentiment d’avoir réalisé un film important. Et c’était vrai : de nombreux jeunes cinéastes étaient stupéfaits, jaloux même de Mister Vengeance. “Comment avez-vous pu faire un film pareil ?” »

Song Kang-ho dans Sympathy for Mr. Vengeance
Metropolitan Film

Memories of Murder de Bong Joon-ho (2003)

Le rôle du flic un peu frustre qui écrase la gueule des suspects avec la même délicatesse qu’il refuse de voir les indices permet à l’acteur de montrer l’étendue de son jeu subtil. Consécration.

« J’ai découvert mon potentiel d’acteur entre 2000 et 2003. C’est là que j’ai commencé à prendre du plaisir au cinéma, en enchaînant Foul King, JSA, et Memories of Murder... Mon premier souvenir de Bong Joon-ho, c’est sa voix. C’est un détail auquel je suis très sensible. Elle lui donnait une réelle crédibilité. Il était aussi très courtois, presque trop poli. J’avais vu Barking dogs never bite, son premier film, qui m’avait beaucoup plu. C’est pour ces raisons que j’ai accepté. J’ai tout de suite su qu’il n’était pas comme les autres. La manière dont il porte son regard sur notre société est unique. Sa puissance, son acuité, sa pertinence sont redoutables... Et son œuvre a une vraie cohérence. Pour Bong Joon-ho, la course folle dans laquelle s’est engagée la société humaine met à nu nos pires travers et nos ambiguïtés individuelles. C’est un constat très sombre, mais fait avec humour et mis en scène avec un sens artistique profond. Ce que j’aime chez lui, c’est la liberté qu’il m’accorde. Nous ne discutons jamais des personnages ou des rôles. Il a compris dès le premier jour com- ment je travaillais et m’a depuis laissé une liberté totale. »

Le tueur de Memories of Murder s'étonne ne pas avoir été attrapé plus tôt
Les Bookmakers / La Rabbia

Secret Sunshine de Lee Chang-dong (2007)

Le vrai chef-d’œuvre de Lee Chang-dong, un mélo qui avance en équilibre entre horreur psychologique et naturalisme retors. Song Kang-ho joue un garagiste provincial consummé par son amour pour l’héroïne, qu’il n’arrive jamais à exprimer... Fabuleux.

« Je n’ai fait que deux films avec Lee Chang-dong mais bizarrement, humainement, c’est la personne dont je me sens le plus proche. C’est un homme taiseux, mais on arrive à communiquer sur le plan purement émotionnel. Sans doute parce qu’on est originaires de la même province... Quand on se croise, pas besoin de se parler, on se comprend immédiatement. Sur Secret Sunshine, j’ai beaucoup réfléchi au personnage. J’ai essayé de me mettre dans sa peau. Il n’a vraiment rien pour lui et l’approche que j’en ai eue a été plutôt philosophique et littéraire. J’ai beaucoup pensé à la rédemption. Où se trouve-t-elle? Est-ce vraiment Dieu qui la donne ? Lee Chang-dong est un cinéaste très difficile d’accès. Son univers est d’un niveau tellement élevé que même les acteurs en ont peur... Mais je m’y sens parfaitement bien. »

Song Kang-ho dans Secret Sunshine
Diaphana Films

Le Bon, la Brute et le Cinglé de Kim Jee-woon (2008)

Devinez qui joue le cinglé dans cette relecture orientale et barrée du classique de Leone ? Aussi excitant qu’épuisant et porté par un Song Kang-ho en roue libre !

« Kim Jee-woon a un humour très original. C’est le roi des variations du genre et c’est ce que j’aime chez lui : chaque film mélange des approches différentes. Dans Le Bon, la Brute et le Cinglé, il y a du western, de l’action, de l’humour et tout s’agrège de façon organique. Le cœur de son cinéma, c’est le rythme. C’est d’ailleurs ce qui fait que travailler avec lui est compliqué : ça requiert de la technicité et une grande concentration, mais le résultat est toujours fantastique. »

Song Kang-ho dans Le Bon, la brute et le cinglé
ARP Sélection

A Taxi Driver de Jang hoon (2017)

L’histoire vraie d’un papa chauffeur de taxi, pleutre et combinard, qui accepte d’emmener un reporter au cœur d’une des répressions les plus sanglantes de l’histoire coréenne des années 80. Un beau road-movie qui confirme l’acteur en incarnation parfaite de la « coréanité » ordinaire.

« Je joue souvent les monsieur Tout-le-monde. Chez Bong Joon-ho, Lee Chang-dong, ou ici. Sans doute à cause de mon physique. Dans le cinéma, les acteurs sont tous très beaux. Moi je ne suis pas beau, je n’ai pas la classe. Du coup, quand j’interprète des personnages ordinaires, ça paraît plus naturel. Si dans un film il y a un chauffeur de taxi trop beau, on n’y croit pas vraiment ! Et c’est amusant parce qu’on me demande souvent qui est mon acteur préféré. Je n’ai pas de modèle, mais il y a un acteur que j’ai aimé particulièrement : Steve McQueen. Il n’était pas beau au sens traditionnel du terme, mais il avait du charme, une élégance folle. Sa mélancolie et sa solitude me touchaient. J’aimais aussi son style de jeu très minimaliste, la manière dont il captait la caméra par sa seule densité. »

Song Kang-ho dans A Taxi Driver
Koch Films

Parasite de Bong Joon-ho (2019)

Entre comédie, film d’horreur social et fable politique, le film qui a tout changé. La filmo de Bong Joon-ho, l’art de Song Kang-ho (arrivé à un degré de maîtrise inouïe) et le cinéma coréen.

« Quand Bong Joon-ho me dit qu’il a un rôle pour moi, je dis oui sans même lire le scénario et après je me débrouille. Pour Parasite, j’ai choisi de comparer mon personnage à un invertébré. C’est un Coréen ordinaire qui se rend compte un jour que sa vie n’a pas pris la tournure qu’il voulait. Mais il doit s’adapter et trouver un moyen de survivre... Physiquement je devais être mou, flexible. Ki-taek, au fond, est un mollusque, il n’a pas d’épine dorsale, il est indécis et inefficace en tant que chef de famille. Je me suis posé beaucoup de questions : comment a-t-il pu réussir à vivre jusque-là ? Comment est-ce que j’allais l’incarner dans les tourments à venir ? C’est le moment où je rentre dans une zone d’incertitudes angoissantes ; pareil pour Bong Joon-ho. On est très excités et anxieux à l’idée de savoir ce qu’il va se passer parce que quand on commence un film, on ne sait jamais où il nous emmènera... »

Parasite Bon Joon-Ho
Les Bookmakers / The Jokers

Les Bonnes Étoiles de Hirokazu Kore-eda (2022)

Sous la direction de Kore-Eda, Song Kang-ho joue Song-yeon, un trafiquant d’enfants abandonnés plongé dans une histoire qui va le dépasser. Puissance mélo et prix d’interprétation cannois à la clé.

« Les films de Kore-Eda ont quasiment tous été distribués en Corée. Alors, on connaît bien son cinéma, sa grammaire, et les sentiments que dégagent ses films... Le Japon et la Corée sont très proches. Il y avait la barrière de la langue, mais plutôt que d’essayer de parler avec Kore-Eda, j’ai essayé de réduire le décalage entre nos sensibilités. Travailler avec lui fut une expérience importante pour moi. Encore un réalisateur qui possède un univers très réglé, qui opère dans des cadres millimétrés et j’ai choisi de me laisser guider par les émotions. J’ai mis l’accent sur la consistance et la cohérence des personnages. J’ai retrouvé chez Song-yeon des traits de caractère de mes rôles précédents : j’interprète souvent des hommes “incomplets”, des personnages qui n’ont pas fini de grandir et qui gardent leur âme d’enfant. Et ce sont des personnages que l’on voit souvent chez Kore-Eda. C’est un cinéaste qui pratique l’art de l’estampe, un réalisateur de l’ellipse : il ne montre pas tout. Mais à travers ce qu’il ne raconte pas, à travers ces manques, il révèle beaucoup de choses. Sa mise en scène, très intense, donne beaucoup d’indices sur ses personnages et permet au spectateur de re- constituer qui ils sont vraiment... »  

GALERIE
Metropolitan Filmexport