Loin du paradis
ARP Sélection

Ce film porté par Julianne Moore, Dennis Quaid et Dennis Haysbert revient ce soir sur Arte.

Dans l'Amérique provinciale dans les années 50, Cathy est une femme au foyer accomplie : son mari a réussi professionnellement et lui a donné deux enfants très mignons et fort obéissants, sa maison, son jardin et sa vie sont réglés comme du papier à musique. Elle est même plus que cela : elle est la femme d'intérieur idéale, interviewée par la gazette locale et chérie par toutes ses amies. Seulement voilà, un soir, elle doit aller chercher son mari au commissariat et, un autre, elle le surprend, dans son bureau, en train d'embrasser un autre homme. Le monde de Cathy s'écroule, mais il lui faut coûte que coûte sauver les apparences... 

Remarqué pour ses longs-métrages Safe et Velvet Goldmine à la fin des années 1990, Todd Haynes se lançait en 2002 dans le grand mélodrame avec Loin du paradis. Creusant le sillon des obsessions cinématographiques et narratives de Haynes (l'homosexualité, la vie dans la classe moyenne), le film permit au cinéaste de retrouver l'actrice Julianne Moore, qu'il avait révélée sept ans plus tôt avec Safe dans le rôle d'une femme au foyer de la middle-class qui décidait de changer de vie au contact d'une communauté new age.

Restée pour l'essentiel assez confidentielle en France (Loin du paradis n'a pas dépassé la barre des 500.000 entrées), l'oeuvre protéiforme de Todd Haynes s'épanouit ici au contact du mélo, entre tradition et modernité, pour un résultat qui emballa la presse, et notamment Première, qui écrivait en 2002 : "Stylisé à l'extrême mais terriblement incarné, Loin du paradis confirme que Todd Haynes n'a rien du petit malin mais tout du cinéaste inspiré".

 


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Cette stylisation qui donne sa patine si particulière à Loin du paradis, on la doit notamment aux mélodrames de l'âge d'or hollywoodien, et notamment ceux de Douglas Sirk, cinéaste allemand d'origine danoise devenu roi du mélo outre-Atlantique dans les années 50 après avoir fui le régime nazi. Entre hommage, pastiche et réappropriation, Todd Haynes signe avec Loin du paradis une œuvre qui fit le pont entre une génération du cinéma américain et une autre. À tous les points de vue, Loin du paradis ressemble à une œuvre de Douglas Sirk, y compris même au niveau de son titre, reprenant en partie la poésie de ceux des films de Sirk. Narrativement parlant, le film reprend en partie l'intrigue d'un des plus célèbres mélos de ce dernier, Tout ce que le ciel permet. On y voit en effet à chaque fois une femme au foyer de la petite bourgeoisie tomber amoureuse de son jardinier. Dans Tout ce que le ciel permetJane Wyman tombe amoureuse de Rock Hudson, beaucoup plus jeune et beaucoup plus pauvre qu'elle. Dans Loin du paradis, Julianne Moore se laisse quant à elle tenter par son jardinier noir, interprété par Dennis Haysbert, dans le Connecticut encore ségrégationniste des années 50.

Fidèle au sens du contraste sur lequel reposent la plupart des couples des films de Sirk, Loin du paradis multiplie également les oppositions (sociales, ethniques, culturelles) pour nourrir la romance supposément impossible, donc foncièrement vouée au drame, entre Cathy et Raymond. La question raciale, elle, renvoie également à un autre mélodrame de Sirk, Mirage de la vie, sortie en 1959. En cela, Haynes s'inscrit également dans la lignée d'un autre cinéaste ayant revendiqué l'héritage de Sirk, Rainer Werner Fassbinder, qui avait déjà transposé Tout ce que le ciel permet avec son Tous les autres s'appellent Ali en 1974. Mais la comparaison ne s'arrête pas là et s'incarne principalement d'un point de vue esthétique. Loin du paradis est en effet un quasi pastiche des films de Sirk, et cela grâce au travail d'ambiance méticuleux effectué avec son chef-opérateur Edward Lachman, mais aussi avec le compositeur Elmer Bernstein, légende de la musique de film de l'âge d'or qui signait sa dernière bande-son (il meurt en 2004, deux ans après la sortie du film). Le générique en est particulièrement révélateur : leur juxtaposition côte-à-côte montre comment Haynes a su recycler la grammaire de Sirk, ses couleurs, ses plans aériens... Il est à l'image du film, invoquant des visions de Douglas Sirk, mais aussi certaines de ses métaphores fétiches (les miroirs, les fenêtres, les escaliers...). 

Cela n'empêche pas cependant Todd Haynes de nourrir son film de ses propres thèmes qui lui sont chers. La thématique de l'homosexualité, latente dans l'oeuvre de Douglas Sirk (notamment grâce à la présence au générique de Rock Hudson) est ici plus directement explicitée par la relation qu'entretient Frank (Dennis Quaid), le mari de Cathy, avec un autre homme. Le tout parvient ainsi à créer un ensemble à la fois moderne et rétro, dans son époque et hors du temps. Un va-et-vient entre passé et présent qui a fait mouche puisque le film valut à Julianne Moore la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine, en plus de récolter quatre nominations aux Golden Globes et aux Oscars.

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