Le goût des autres : la recette du succès pour le tandem Agnès Jaoui – Jean-Pierre Bacri
Pathé

Aussi complices sur qu'en dehors des plateaux, ils ont frappé un grand coup en 2000 avec leur première réalisation commune.

Dans le cinéma français, ils incarnaient l'image du duo d'auteurs par excellence. Amoureux du verbe, des dialogues et de l'étude des caractères humains, Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri ont construit ensemble leur touche personnelle qui a fait d'eux des talents multi-casquettes dont le cinéma hexagonal raffole : acteurs et scénaristes en duo, elle passant parfois à la réalisation, ils ont signé plusieurs oeuvres remarquées ces trente dernières années. Notamment Smoking/No Smoking et On connaît la chanson pour Alain Resnais (sortis en 1993 et 1997), Un air de famille pour Cédric Klapisch (1996), Le Goût des autres (2000), Comme une image (2004), Au bout du conte (2013) ou encore Place publique, mis en scène par Jaoui... "Jabac" était synonyme de réussite. Jusqu'à la triste disparition de Jean-Pierre Bacri, en ce début d'année 2021.

L'un des films qui symbolise le mieux leur style ? Le Goût des autres a marqué un tournant dans la carrière du couple. Après près d'une décennie à se faire un nom parmi les scénaristes les plus pointus du milieu, Jaoui et Bacri décident de passer derrière la caméra pour au début des années 2000 pour cette "dramédie chorale" devenue rapidement culte, qui reviendra ce mercredi soir sur France 2. Elle sera suivie d'On connaît la chanson, à 23h, dont la création est à (re)lire ici.

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L'aboutissement d'une longue success story

Les noms d'Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri sont tellement indissociables l'un de l'autre qu'on finirait presque par oublier les circonstances de leur rencontre. En 1986, les deux acteurs vont être rapprochés non pas par le cinéma, mais par leur autre passion, le théâtre. Le metteur en scène Jean-Michel Ribes les réunit en effet à la distribution de son adaptation de L'anniversaire d'Harold Pinter. Le début d'un coup de foudre artistique et amoureux, l'un n'allant jamais véritablement sans l'autre.

Désireux de continuer à collaborer ensemble, c'est par l'écriture que leur tandem commence à s'enraciner dans les esprits. En 1991, ils signent la pièce de théâtre Cuisine et dépendances qui fait salle comble au Théâtre La Bruyère puis au Théâtre Montparnasse. Philippe Muyl en tourne l'adaptation cinmatographique qui connaît à son tour un grand succès en salles en 1993, et cimente un peu plus la troupe des fidèles du duo, où l'on retrouve notamment Jean-Pierre Darroussin, Zabou Breitman et Sam Karmann.

Leur succès leur vaut d'être remarqués par celui qui deviendra leur mentor de cinéma, Alain Resnais. Les "Jabac", comme Resnais les surnommait, signent en effet pour lui dans les années 90 les scénarios de Smoking/No Smoking (1993), adaptation d'une des des pièces d'Alan Ayckbourn que le cinéaste a porté à l'écran, et d'On connaît la chanson. En une décennie, Jaoui et Bacri signent en tout cinq scénarios... et décrochent trois César : deux pour les films de Resnais, et un troisième pour Un air de famille, adaptation de leur propre pièce avec Cédric Klapisch.

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Une méthode sans certitudes

Pour ceux qui sont devenus des artistes multi-casquettes à la fois acteurs, réalisateurs et producteurs (ils fondent leur propre maison de production, Les films A4, avec leur ami Sam Karmann en 1997), il reste encore un cap à franchir : celui de la réalisation. Ce sera chose faite en 2000 avec Le Goût des autres. Un film marqué aussi bien par leur amour du théâtre (du Bérénice de Racine à l'Hedda Gabler d'Ibsen) que par leur sens affûté des dialogues, de l'observation sociale et de leur expérience commune.

La genèse du Goût des autres ne fut pourtant aussi fluide qu'on pourrait le penser, puisqu'à l'origine, il avait été pensé comme un film de genre radicalement différent. Dans une interview accordée à L'Express en 2013, Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri revenaient sur leurs méthodes de travail et expliquaient en quoi Le Goût des autres était à l'origine un projet nettement différent de celui qui était envisagé au départ.

"Agnès Jaoui : La vérité, c'est que lorsque l'on balise trop dès le départ, en général, c'est un échec et on abandonne. Le goût des autres devait être un film policier. Nous avons travaillé deux mois avec ces contraintes avant de lâcher prise.

Jean-Pierre Bacri : Il reste certains éléments : le chauffeur, le garde du corps, la dealeuse de shit... Les figures imposées du polar nous ont fatigués. Lorsque nous abandonnons la forme, ce qui reste, ce sont les relations entre les gens. C'est ça qui nous intéresse, au fond".

Aux côtés d'Anne Alvaro, Alain Chabat ou Gérard Lanvin, on retrouve également quelques habitués du clan des "Jabac" comme Wladimir Yordanoff, déjà à l'affiche d'Un air de famille, Sam Karmann (toujours lui) ou encore Robert Bacri, le père de Jean-Pierre, dans un petit rôle. Un casting à l'image de l'esprit tribu qui habite souvent les créations du tandem.

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Un succès qui en appela d'autres

À sa sortie en salles, Le Goût des autres fut un très grand succès, attirant pas moins de 3,8 millions de spectateurs en salles. La critique, elle, accueille chaleureusement le film, à l'image de Première, qui écrit au moment de la sortie en salles : "les gens normaux de Bacri et Jaoui ne sont pas seulement exceptionnels, c'est leur exactitude à retranscrire leur normalité qui est extraordinaire". Pour parachever la réussite de ce coup d'essai, Le Goût des autres rafle neuf nominations aux César et repart avec ceux du Meilleur Film, du Meilleur acteur et de la Meilleure actrice dans un second rôle, ainsi que celui, encore une fois, du Meilleur scénario. Quelques jours plus tard, le film représente même la France à l'Oscar du meilleur film étranger, avant d'être battu par Tigre et Dragon.

Il n'empêche, Jaoui et Bacri se sont désormais également fait un nom comme cinéastes. Et s'ils continuent à tourner devant la caméra, seuls ou ensemble, ils enchaîneront par la suite les succès avec Comme une image en 2004 (Prix du scénario au Festival de Cannes), Parlez-moi de la pluie en 2008, Au bout du conte en 2013 (un million d'entrées chacun), et enfin Place Publique, leur dernier film sorti au cinéma en 2018.

Le succès ne s'écrit jamais mieux qu'à deux, donc, même depuis la séparation du couple en 2012. Une séparation qui ne leur a pas empêché de continuer à travailler ensemble, comme l'expliquait Agnès Jaoui dans un entretien à Paris Match en août 2012 : "On a toujours fait la part des choses. J'aime écrire avec Jean-Pierre, j'aime voir Jean-Pierre. Je pense que ce qu'on fait à deux est mieux que ce que je ferais seule. Enfin, ce serait différent, mais je ne suis pas lasse de continuer à explorer l'écriture avec lui. Au contraire". Séparés mais inséparables donc.

Fin 2014, Jean-Pierre Bacri évoquaient leurs multiples collaborations en ces termes : "On n’est pas fans des films centrés sur des couples par exemple, avec des faire-valoir autour qui n’ont que des scènes inintéressantes ou indigentes à jouer. On fait appel à des acteurs pour qu’ils assument de vrais rôles. Un esprit de troupe nous anime, en quelque sorte. C’est devenu notre goût, comme une habitude devient un goût." (l'interview complètes est à lire ici)

L'histoire du Goût des autres : Castella est un chef d’entreprise peu porté sur la culture. Pourtant, un soir, en allant par obligation assister à une représentation de ’’Bérénice’’, il tombe en adoration du texte et de l’actrice principale, Clara. Par une coïncidence, celle-ci va lui donner des cours d’anglais, nécessaires à son travail. Castella tente de s’intégrer à ce milieu artistique mais sans grand succès. On ne bouscule pas ainsi les cadres de références et les barrières culturelles sans faire d’histoires.

Bande-annonce :

Place publique : Tous publics [Critique]