Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
LA SALLE DES PROFS ★★★★☆
De Ilker Çatak
L’essentiel
Nommé à l’Oscar du meilleur film étranger, un thriller éprouvant sur l’école qui amène une réflexion pertinente sur les difficultés du métier de professeur.
La Salle des profs s’ouvre sur un portrait kaléidoscopique d’une école, dans laquelle les professeurs s’échinent à faire au mieux face à des élèves souvent en difficulté. Au centre de l’équation, Carla, jeune prof faussement idéaliste qui fait passer son travail avant tout se retrouve dans la tourmente en accusant une collègue de l’administration de lui avoir volé son argent. A partir de là, le film va subrepticement basculer vers le thriller psychologique en se penchant sur les causes et effets d’une telle accusation, qu’elle soit fondée ou non. Parmi les victimes, le fils de l’accusée, élève dans la classe de Carla, se rebelle, et emmène le récit vers un questionnement terriblement actuel : celui du pouvoir aliénant que peut exercer un élève sur un professeur, et de la violence physique qui finit toujours par s’en suivre. Un film plus important que jamais.
Yohan Haddad
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A BEAUCOUP AIME
BLUE GIANT ★★★★☆
De Yuzuru Tachikawa
Tourné par le même réalisateur que Détective Conan : Le Sous-marin noir (sorti l’an dernier), Blue Giant est encore une adaptation d’un manga à succès : l’histoire d’un jeune saxophoniste passionné qui fait tout devenir « le meilleur jazzman du monde » et monte pour cela un groupe avec un pianiste hyper doué (mais trop propre sur lui) et un batteur brouillon (mais assidu). Le trio habituel des mangas d’action type shonen (ça marche aussi bien dans Naruto que dans Hunter X Hunter). Blue Giant joue une tension très excitante entre le respect des clichés du shonen et leur rejet, tension illustrée par un joli procédé de cinéma : utiliser la capture de mouvements de vrais musiciens lors des scènes de concert, en opposition à l’animation traditionnelle du reste. L’histoire est classique, l’effet est épique.
Sylvestre Picard
INCHALLAH UN FILS ★★★★☆
De Amjad Al Rasheed
Premier long métrage réalisé par Amjad Al Rasheed et premier film jordanien de l’histoire à avoir été projeté au Festival de Cannes, ce drame contemporain suit les pas de Nawal, trentenaire jordanienne plongée dans une situation épineuse après la mort de son mari. Mère d’une petite fille alors qu’il lui faudrait avoir un garçon pour bénéficier directement d’un héritage, Nawal va se retrouver dépendante des choix opérés par les frères de son époux. Partant d’une loi qui frappe effectivement les femmes en Jordanie, le cinéaste crée un haletant suspense et réussit le portrait d’une héroïne qui ne perd jamais sa lucidité et lutte avec confiance pour faire valoir ses droits. Grâce à une minutieuse mise en scène où le personnage tente en permanence de s’extirper de décors étouffants pour gagner sa liberté, ce récit aux dialogues ciselés procure au final des sensations poignantes, lumineuses et apaisées.
Damien Leblanc
PREMIÈRE A AIME
LA VIE DE MA MERE ★★★☆☆
De Julien Carpentier
Pierre, fleuriste dont la petite boutique cartonne voit sa mère, fantasque et excessive redébarquer dans sa vie après deux années passées loin de lui. Un éloignement volontaire de sa part à lui pour faire soigner la bipolarité dont elle souffre, dans un lieu spécialisé. La Vie de ma mère parle de cette maladie si singulière où on passe de l’euphorie la plus totale à la dépression la plus profonde, presqu’en un claquement de doigts. Mais sans une once de misérabilisme ou d’obsession d’un happy end hors sol à marche forcée. Grâce à une écriture des personnages tout en subtilité et un duo de comédiens au diapason. William Lebghil- Agnès Jaoui qui, dans la peau de ces personnages que tout a priori oppose, déploient des trésors de nuances au fil de ces scènes où ce qui les lie va prendre peu à peu le pas sur tout le reste.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéBOLERO ★★★☆☆
De Anne Fontaine
Après Police et Présidents, la très éclectique Anne Fontaine explore les affres de la création du Bolero par Maurice Ravel, longtemps incapable de trouver l’inspiration de cette commande passée par la danseuse Ida Rubinstein (Jeanne Balibar, irrésistible). Même si son récit évoluant entre flashbacks et forwards ne se concentre pas sur 1928, ce parti pris permet d’éloigner Bolero du biopic classique qui va de la naissance à la mort. Aidée par la belle lumière de Christophe Beaucarne, Anne Fontaine se montre moins académique que dans Coco avant Chanel et réussit à faire éprouver la manière dont Ravel ressentait physiquement la musique. Raphaël Personnaz séduit, lui, par sa composition traduisant parfaitement l’effacement de celui que le monde allait ensuite célébrer. Dommage alors que la cinéaste n’aille pas au bout de son parti pris et ne clôt pas son récit, dans la foulée de la première du Boléro. Le geste aurait été plus fort.
Thierry Cheze
HOLLY ★★★☆☆
De Fien Troch
Ce matin- là, la jeune Holly a eu une prémonition et prévenu son collège qu’elle ne viendrait pas. Un pressentiment tragiquement juste : l’établissement sera dans la journée la proie d’un incendie qui fera dix victimes. Dès lors, celle qui était la fille bizarre, harcelée, devient celle qu’on courtise pour son don qui semble même soulager les gens de leur chagrin. A travers le portrait de cette ado (Cathalina Geeraerts, fascinante), tout à la fois sainte et sorcière, tiraillée entre la pression de plus en plus grande qui l’étouffe et la gratitude de se sentir enfin considérée, la belge Fien Troch signe un film passionnant sur la question de la foi et ce besoin d’une figure de madone pour se rassurer. Le tout en équilibre constant et remarquablement orchestré entre le réalisme des situations et un climat de cinéma d’horreur (angoissant mais jamais sanglant) qui tient en haleine jusqu’au bout.
Thierry Cheze
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME
IMAGINARY ★★☆☆☆
De Jeff Wadlow
Les oursons tueurs sont des monstres alléchants, quoique celui-ci paraît mal léché. Il s’appelle Chauncey. Et alors que Jessica retourne dans sa maison d’enfance avec sa famille, sa plus jeune belle-fille Alice développe un attachement étrange pour cette peluche qu’elle a trouvée dans le sous-sol. Sous sa forme rétractée, le design poussiéreux de l’ourson parvient à faire son effet poupée maléfique, comme satisfaite de torturer le spectateur par son cache-cache psychologique. Mais encore aurait-il fallu exploiter un imaginaire original… Pas moins d’une dizaine de références de films d’horreur jaillissent explicitement, comme autant de signatures extérieures apposées sur l'œuvre, de Poltergeist à Coraline en passant par Paranormal Activity, Insidious ou Esther. Imaginary étouffe sous ses références.
Manon Bellahcene
Lire la critique en intégralité14 JOURS POUR ALLER MIEUX ★★☆☆☆
De Edouard Pluvieux
A la demande de sa fiancée (par ailleurs fille de son patron qui le pressurise) qui le juge trop stressé et en fait une condition non négociable pour leur mariage, un cadre (Maxime Gasteuil, dans son premier vrai grand rôle au cinéma) se retrouve embarqué avec son futur beau- frère dans un stage de bien- être. La comédie d’Edouard Pluvieux (Amis publics) joue sur le choc des contraires, entre ce cartésien et les autres stagiaires tous plus perchés les uns que les autres. L’entame paraît prometteuse avec un humour cinglant (dans lequel Zabou Breitman excelle en coordonnatrice de stage) qui s’éteint hélas à petit feu, les aspérités fondant comme neige au soleil pour tendre vers l’inéluctable happy end. Dommage car 14 jours pour aller mieux est peuplé de saynètes hilarantes et mérite le détour pour la composition, elle impeccable de bout en bout, de Romain Lancry en beau- frère naïf et diablement attachant.
Thierry Cheze
COMME UN FILS ★★☆☆☆
De Nicolas Boukhrief
C’est un sujet passionnant et qui, comme la plupart des films de Nicolas Boukhrief, résonne fort avec l’actu. Un prof qui a perdu la flamme tombe sur un mineur isolé parti en vrille. L’enfant sauvage est un rom et a des ennuis avec la police. L’ancien prof décide alors de le sauver. Malgré lui. Contre lui. Mais jusqu’où pourra-t-il aller dans cette croisade ? Mise en scène à l’os, réalisme étouffant : on se croirait chez les Dardenne au début (un gamin, l’entêtement, une mission, et le réel comme véritable obstacle). Sauf qu’il y a Vincent Lindon, qui est à la fois le meilleur atout du film et son pire ennemi. Sa présence impressionne d’abord, brute, dense, avant de tout écraser, de ne plus laisser respirer la fiction et les autres personnages.
Pierre Lunn
HLM PUSSY ★★☆☆☆
De Nora El Hourch
Trois amies inséparables exposent en ligne l’agression sexuelle de l’une d’entre elles. Une étincelle de révolte qui, au lieu d’unir, finira par fragiliser leur lien. Pour son premier long, Nora El Hourch prend le pouls d’une jeunesse de banlieue parisienne sans filtres mais à fleur de peau, en explorant les intrications complexes de l'amitié, de la justice et des pressions sociales, à l'ère des réseaux sociaux et de MeToo. HLM Pussy ne parvient cependant pas à s’élever au-delà de ses nobles ambitions, laissant ses personnages féminins se débattre dans des rôles convenus et un marasme d'archétypes adolescents desservant la puissance émotionnelle et sororale qui aurait dû émerger de leur « révolution » annoncée. Si les dialogues n’enlèvent rien à la fougue et la spontanéité de ses trois interprètes attachantes, ils échouent à véritablement transcender l’enjeu social et féministe de la lutte.
Lou Hupel
LETTRE ERRANTE ★★☆☆☆
De Nurith Aviv
Voilà un titre de film poétique et évocateur, pour un documentaire dont le sujet l’est tout autant : la lettre « R » et ses multiples prononciations à travers les langues. Seulement, la magie du cinéma s’arrête là. Avec un dispositif formel élémentaire, réduit à une simple succession d’entretiens face caméra et de trop discrètes liaisons lyriques, le documentaire déçoit en ce qu’il n’embrasse jamais pleinement la puissance sensible de son sujet. Parmi les six personnes invitées à raconter leur rapport à cette lettre ainsi que sa prononciation, interviennent une professeure de littérature d’origine japonaise, une écrivaine russe ou encore une psychologue algérienne. En donnant un écho mondial à sa problématique, le film soulève en effet des questions politiques, relatives à la migration notamment. L’on regrette alors que la mise en scène du film, son montage notamment, ne le soit pas autant.
Nicolas Moreno
PREMIÈRE N’A PAS AIME
LES CARNETS DE SIEGRFRIED ★☆☆☆☆
De Terence Davies
Le Siegfried du titre, c’est Siegried Sassoon, poète anglais, célèbre notamment pour ses écrits pacifistes inspirés par l’horreur de la Première Guerre mondiale. Terence Davies, dans l’ouverture de son ultime long-métrage (le cinéaste est mort en octobre dernier), plaque les mots de Sassoon sur des images d’archives des combats – un dispositif minimaliste mais puissant. Le film retrouve ensuite les rails d’un biopic plus classique, faisant longuement le récit des amours homosexuelles malheureuses de son héros dans le Londres mondain des années 20, ponctué de sauts temporels hasardeux vers les sixties, quand l’écrivain, au soir de sa vie, se convertit au catholicisme. Davies veut faire ressentir la douleur d’une existence brisée à plusieurs reprises – par la guerre, l’amour, les interdits sociaux – mais la durée excessive du film, les scènes de disputes très répétitives entre Sassoon et ses amants, et le jeu guindé des comédiens donnent à l’ensemble un aspect monotone et suranné.
Frédéric Foubert
SHIKUN ★☆☆☆☆
De Amos Gitaï
Adaptation audacieuse de Rhinocéros d’Eugène Ionesco, Shikun capte les quotidiens croisés des habitants d’un bâtiment du désert israélien mais peine à se défaire de ses racines théâtrales. Le nouveau projet d’Amos Gitai trouve un écho contemporain en traitant l’émergence de la haine au sein d’un groupe hybride et polyglotte. Pourtant, le film ne dépasse pas son concept et le défilé de personnages déclamant leur histoire par quelques traits d’esprit ne permet pas d’apprécier la poésie qu’il prétend atteindre.
Bastien Assié
Reprises
Rivière de nuit, de Kôzaburô Yoshimura
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