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Dans son premier long métrage, Label Cannes 2020, le cinéaste libanais raconte un pianiste résistant, au péril de sa vie, à la dictature de l’Etat Islamiste. Rencontre

Est-ce que vous vous souvenez du jour où vous avez eu l’idée du Dernier piano ?

Jimmy Keyrouz : Tout démarre en 2014. J’étais alors étudiant à New- York. Je suivais comme tout le monde la guerre en Syrie mais sans me documenter particulièrement. Mais quand, un jour, j’ai lu dans un article que la musique y avait été interdite, cette nouvelle a agi comme un déclencheur chez moi. Le désir de parler de ces artistes qui, en dépit de tout, malgré les obus, malgré les interdictions, allaient continuer à jouer au péril de leur vie. L’envie de célébrer cette forme de résistance mais dans l’idée d’un acte d’espoir. Dans Le Dernier piano, le personnage central, Karim va ainsi tout mettre en œuvre, au péril de sa vie, pour reconstruire le piano que des membres de l’Etat Islamique lui ont détruit… comme si ainsi il se reconstruisait lui- même.

Vous avez d’abord ce sujet dans un court métrage, Nocturne in black, en 2016. Vous aviez écrit et réalisé celui- ci pour vous préparer au long ?

Oui et non. J’ai effet voulu réaliser un court pour avoir quelque chose à montrer de mon travail à de potentiels investisseurs pour un long. Pour faire mes preuves en quelque sorte. Mais au départ, j’étais parti sur un tout autre sujet avant donc que ce qui se produisait en Syrie me rattrape et m »a conduit à imaginer ce personnage de pianiste au cœur d’un pays du Moyen- Orient ravagé par la guerre. Les situations de départ du court et du long sont donc identiques. Mais je n’avais forcément pas raconté tout ce que j’avais envie de raconter en 23 minutes. J’ai donc décidé de développer un long.

Un long dans lequel vous n’hésitez pas à emmener votre récit sur le terrain du mélo. Est-ce difficile à l’écriture de trouver un point d’équilibre pour ne pas tomber dans le larmoyant ?

Pas vraiment car je me fie à mon ressenti. On dit souvent que l’espoir est la dernière chose qui reste quand tout a disparu. Je partage ce sentiment. Je suis intimement convaincu qu’il y a toujours de la lumière au cœur des ténèbres. Raconter ici la seule noirceur aurait eu quelque chose de cynique selon moi. Car quelque part inattaquable. Se contenter de paraphraser cette réalité- là n’aurait pas été à la hauteur des tragédies que ces pays vivent. Ca aurait été la solution de facilité. En écrivant Le Dernier piano, j’ai cherché à me mettre dans la peau de Karim qui lui ne va cesser de chercher ces fameux éclats de lumière au milieu du chaos angoissant. J’ai construit ce film comme un combat pour la vie.

LE DERNIER PIANO: UN MELO AU COEUR DE L'ENFER [CRITIQUE]

Et comment en avez- vous construit l’atmosphère visuelle avec votre directeur de la photo Joe Saade ?

Je voulais que le spectateur puisse à chaque instant ressentir que même s’il s’agit d’une fiction, tout ce qu’on voit à l’écran est inspiré de faits réels. Moi comme réalisateur et Joe comme directeur de la photo devions donc nous effacer au maximum derrière le récit. J’ai donc fui toute stylisation. Et les lieux de tournage nous y ont aidés. Il était évidemment impossible de poser notre caméra en Syrie pour des questions de sécurité. On a filmé les intérieurs au Liban. Quant aux extérieurs, on a tourné 5 jours en Iran dans la ville de Mossoul, fin 2019. La ville n’avait été libérée du joug de l’Etat Islamique que deux ans plus tôt. Tout n’avait pas été déblayé, on sentait encore les odeurs de cadavres sous les décombres… Et forcément cela imprègne ce qu’on filme.

Pour ce film où la musique tient un rôle central, vous avez choisi un de vos compatriotes, Gabriel Yared, pour composer la bande originale. Quelles directions lui avez-vous donné ?

Honnêtement, je n’ai pas eu grand-chose à lui dire. Je pensais sincèrement qu’il n’y avait qu’une chance sur un milliard pour que Gabriel accepte un tel projet et ait le temps de s’y plonger. Mais on a malgré tout tenté. Il a vu Nocturne in black et il a accroché au scénario. Dès notre premier échange, j’ai vu qu’il avait immédiatement saisi ce que je recherchais à travers ce scénario : célébrer le beau en dépit de tout. La musique comme un moyen de s’évader. Et chaque note des morceaux qu’il a créés en sont la traduction parfaite.