Interstellar revient en salles, pour célébrer ses dix ans. Alors chez Première aussi, on ressort nos archives !
Interstellar de Christopher Nolan, a souvent été comparé à 2001, L'Odyssée de l'espace, de Stanley Kubrick. A sa sortie en novembre 2014, Première avait rencontré le réalisateur et évoqué les points communs, mais aussi les différences entre cette fresque spatiale et celle datant de 1968. A l'occasion de sa ressortie au cinéma, en version restaurée 70mm IMAX, nous repartageons cet entretien.
Stanley Kubrick révèle le sens de la fin de 2001, L’Odyssée de l’espace dans une interview perduePremière : Après un blockbuster aussi conceptuel et ambitieux, que reste-t-il du cinéaste de Memento ?
Christopher Nolan : Au niveau physique pas grand chose (rires). Sérieusement, à mesure que l’on vieillit, tous les atomes qui nous composent changent, notre corps se modifie en vieillissant... La personne dont on se souvient enfant ou ado est totalement différente. Pardon, mais c’est le genre de chose qui m’obsède depuis quelques temps. Toutes ces notions de physique concrètes m’intriguent.
Evidemment la question était à un niveau artistique...
J’avais bien compris… Je ne sais pas. Réaliser reste le même procédé. Rien n’a changé de ce point de vue.
Alors pouvez-vous nous dire comment s’est passé le travail sur ce film ? Et surtout au niveau du script.
Mon frère a travaillé sur ce projet pendant plusieurs années ; il écrivait avec un physicien, Kip Thorne. Au coeur de son projet, il y avait cette idée d’un film SF où la science serait réaliste. Quand je suis arrivé, quand j’ai repris le script, je l’ai fusionné avec un autre sujet sur lequel je travaillais, une idée de scénario qui explorait le même genre. J’ai gardé des idées auxquelles je tenais. Deux axes notamment : la relation entre un père et son enfant. Et cette volonté de faire un film de SF qui s’empare d’une problématique existentielle ; un film d’anticipation qui s’attaque à un moment crucial de l’humanité, ce moment où la terre devient comme un nid d’où nous devons partir.
A quel moment avez-vous refusé de faire le film en 3D ?
Ca ne s’est jamais posé en ces termes. A mon sens, la 3D permet d’avoir une forme d’émotion très intime. Mais Interstellar est un film aux dimensions cosmiques… Du coup, pour ressentir cette sensation épique, pour donner de l’ampleur, j’avais besoin de la plus grande échelle possible, et la 3D, qui rétrécit un peu les choses, ne permettait pas ça.
Jusqu’à quel point la technique conditionne-t-elle votre mise en scène ? Est-ce que vous avez choisi l’IMAX à cause des idées de mise en scène verticales que vous aviez ou est-ce que c’est ce format qui vous amène à modifier vos choix esthétiques ?
Quand je fais un film, j’essaie de trouver la technique appropriée à mon histoire. Faire dialoguer l’artistique et la technologie. Que l’un réponde à l’autre. Le format, la technique est pour moi un outil au service de l’art. Et le choix du format informe, influe sur et participe à la narration. L’IMAX - c’est la troisième fois que je l’utilise - impose forcément des choix esthétiques. Je ne le dis pas de manière péjorative… Au contraire, on cherche sa propre technique, son propre format pour raconter son histoire.
Vous parlez comme un explorateur au fond… Vu le sujet du film, c’est amusant.
Je ne sais pas si je suis un aventurier du cinéma comme Cooper est un aventurier de l’espace, mais l’idée du voyage, de l’exploration sont pour moi constitutives de la réalisation d’un film. Dans mon esprit, le voyage du héros me fait penser au voyage du cinéaste. Le voyage spatial est l’un des derniers endroits où la pratique, la technique rencontrent le monde des idées. Filmer est une micro version des défis d’un spationautes, c’est un champ où tout dépend de la technologie qu’on utilise, on prend des risques pour emmener les gens dans des endroits inconnus.
A ce propos, vous pensez vraiment que l’humanité doit être exportée ?
Oui ! Je suis un optimiste. Ce qui m’a toujours plu dans la conquête spatiale, c’est qu’il s’agit d’une aventure qui montre le meilleur aspect de la condition humaine. Le fait de se regrouper pour trouver des solutions à des problèmes techniques, la recherche scientifique pure, l’élan collectif... c’est l’homme à son sommet qui ressort à ces moments-là.
C’est la première fois que vous abordez le genre du mélo. Au fond, est ce que ce n’était pas le plus grand défi d’Interstellar ?
Les spectateurs auront - j’espère - une réponse émotionnelle plus forte à Interstellar que dans mes films précédents. C’est le film où les émotions des personnages sont les plus importantes. Il s’agit d’un moteur essentiel de l’histoire. Et s’il était important de creuser les émotions des personnages, il fallait que ces sentiments soient simples, accessibles. Clairs et compréhensibles. Et ce fut le plus compliqué.
Pourquoi ?
Parce que ces émotions soulignent les concepts, et le discours scientifique qui se déploie dans les films. Ces discours sont parfois ardus, très compliqué, et je ne voulais pas perdre les spectateurs. Je voulais des émotions évidentes pour que ceux qui ne comprennent pas la partie scientifique puissent suivre et adhérer au film.
Mais même les émotions sont parfois traitées de manière conceptuelle… L’amour par exemple.
Ce n’est pas si compliqué que ça. A mon sens, le film célèbre les mystères de l’amour. En suggérant qu’il y a peut-être une base scientifique à ce phénomène, une base géométrique à notre rapport aux gens, je ne complique rien, j’offre une nouvelle dimension aux sentiments. Le film présente le temps comme une dimension en soi, un artefact concret, un espace qu’on peut toucher. Peut-être que les humains sont tous reliés de manière physique, sensorielle. Je ne peux pas trop parler de ce thème sans déflorer le film. Mais quoi qu’il en soit, l’amour doit rester mystérieux, même si j’aime l’idée qu’en voyant la vie humaine d’un autre point de vue, en prenant un peu de recul, on peut quantifier l’amour, on peut le comprendre différemment, scientifiquement.
Il n’y a pas que l’amour, il y a aussi, comme dans tous vos films, le deuil et la mort.
Je fais des blockbusters, des films de genre mainstreams. Et le mélo est une composante essentielle de ces films, c’en est même le moteur. Et la mort est un ressort majeur du mélo… Mais dans Interstellar je voulais traiter ça de manière un peu différente. Pas seulement comme une motivation pour les personnages, mais de manière un peu plus... philosophique. C’est le thème du plan A / plan B qu’on trouve dans le film. Dans l’espace les distances sont impossibles à appréhender et l’histoire d’Interstellar court sur des générations. Du coup, il est question du gouffre des générations, de la relation aux enfants et du temps aussi ! La mort, les enfants... tous ces thèmes parlent finalement de l’immortalité qui est l’un des thèmes les plus excitants qui s’offre à la réflexion humaine.
Quels sont les cinéastes qui vous ont marqué ?
Pour Interstellar ? Ridley Scott, Malick, Kubrick, Nicholas Roeg, Tarkovski, et surtout Mirror que mon chef op m’a fait découvrir en préproduction et qui a été une énorme influence sur Interstellar.
Vous évoquez Kubrick. Il faut pas être un peu fou pour se mesurer à lui comme vous le faites ?
Ce serait fou de me comparer à Kubrick, je vous l’accorde. Mais on ne peut pas faire un film de SF en faisant semblant que 2001 n’existe pas. On peut faire du mieux possible pour offrir quelque chose de neuf, de différent, mais il vaut mieux reconnaître cette influence, l’honorer et lui être fidèle plutôt que de cacher la référence et de faire semblant de ne pas la voir.
Pourquoi citez-vous les vers de Dylan Thomas ("Do not go gentle in that good night") ?
Certainement pas pour faire le malin. Juste pour les deux lignes que j’utilise, qui résument de manière éloquente le combat de l’humanité contre le temps.
Interview Pierre Lunn
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